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fille, faire ce qu'ordonne ton père, quelque péril qu'il y puisse avoir; car s'il n'est le fils de Cyrus, Smerdis, mais celui que je pense, couchant avec toi et prenant pouvoir sur les Perses, qu'il n'en ait pas long-temps la joie, mais soit puni comme il mérite; toi donc à présent fais ceci, quand tu seras au lit avec lui et le sentiras endormi, tâte à ses oreilles ; si tu le trouve ayant des oreilles assure-toi que tu habites avec Smerdis fils de Cyrus; s'il n'en a, c'est le mage Smerdis. Phédyme là-dessus renvoie, disant que le péril est grand à telle chose faire, car si lui n'ayant point d'oreilles se sent toucher à cet endroit, elle sait qu'il la détruira, que toutefois elle le fera. Ainsi promit-elle à son père d'exécu ter ce qu'il voulait. Cambyse régnant avait fait, pour quelque raison non petite, couper les oreilles à Smerdis le mage. Cette Phédyme donc, la fille d'Otanès, afin d'accomplir ce qu'elle avait promis à son père, quand lui échut d'aller chez le mage, car c'est la coutume des Perses d'appeler leurs femmes tour à tour, vint et dormit auprès de lui; le sentant au fort de son somme, tâte à ses oreilles où sans peine elle put connaître que cet homme n'avait point d'oreilles, et sitôt qu'il fut jour, dépêchant vers son père, lui mande la chose comme elle était, lequel en fait part à deux

autres, Aspathine et Gobryas, les premiers des Perses et de qui plus il se fiait, leur déclarant tout de point en point. Eux qui déjà en avaient eu quelque méfiance, furent aisés à persuader et des raisons et du récit que leur fit Otanès, et fut convenu que chacun se donnerait un compagnon, celui des Perses dont il croirait la foi la plus sûre. Otanès choisit Intapherne, Gobryas Mégabyze, Aspa thine Hydarnès. Etant donc ceux-là six en tout, arrive à Suzes Darius fils d'Hystapès venant de Perse où son père était gouverneur; les six apprenant sa venue, d'un commun accord résolurent de le mettre des leurs.

Assemblés, ces sept qu'ils étaient se jurèrent la foi et se mirent à délibérer, et quand ce vint à Darius à déclarer son sentiment, il leur dit ces mots : « Je pensais vraiment seul savoir que c'est le mage qui règne à présent, le fils de Cyrus ayant péri; pour cela j'étais venu exprès afin de brasser mort à ce mage; mais puisqu'il se trouve que vous le savez aussi, non pas moi seul, je suis d'avis d'agir sur l'heure, non différer, car il n'est bon en nulle sorte. » A quoi Otanès répondit: «Enfant d'Hystapès, tu naquis de père vaillant, et me sembles bien n'avoir pas moins de valeur que ton père; toutefois, en cette entreprise, garde-toi de précipiter rien: il nous

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faut être plus nombreux pour commencer l'exécution.» Darius à cela repart: «< Hommes ici présents, sachez, de la façon que veut Otanès, que si vous suivez son avis, vous mourrez tous de male mort; car quelqu'un vous dénoncera au mage pour en avoir profit: vous deviez dès l'abord prendre sur vous le tout; mais puisqu'il vous a plu diviser ce péril et m'en faire participant, mettons la main à l'œuvre aujourd'hui, ou sinon comptez que passé ce jour, je ne me laisse point prévenir par quelqu'autre, mais que j'irai moi-même vous déférer au mage. » A quoi Otanès le voyant avoir tant de hâte, répond:

Puisque tu nous contrains et ne souffres point de remise, voyons, toi-même, dis-nous un peu de qu'elle manière nous pourrons entrer au palais et les assaillir; car les gardes, comme tu sais, pour l'avoir vu ou bien ouï dire, étant placées l'une devant l'autre à distances, comment les passerons-nous toutes?» « Darius alors lui repart: » Otanès, il est force choses qui ne se peuvent démontrer par discours mais bien par effet: et d'autres belles en propros, d'où ne sort puis après aucun notable effet apprenez donc, vous, que toutes ces gardes, comment qu'elles soient établies, ne sont point difficiles à passer; car d'abord étant ce que nous sommes, nul

n'osera nous arrêter, chacun ayant de nous ou crainte ou révérence : puis j'ai un prétexte tout propre à nous faire passer sans obstacle, qui est que j'arrive de Perse et viens porter au roi paroles de mon père; car où il est besoin de mensonge, mentons; car nous avons tous même désir, ceux qui parlent vrai comme ceux qui usent de tromperie: les uns mentent pour abuser et en tirer profit après, les autres veulent acquérir bruit de sincérité, pour profiter de la confiance qu'on peut mettre en eux. Ainsi, par moyens différents, nous cherchons tous mêmes avantages. S'ils n'y devaient rien profiter, l'un n'aurait souci de mentir non plus que l'autre de dire vrai or donc, celui des garde-portes qui nous aura laissé passer, quelque jour s'en trouvera bien; qui nous arrêtera soit traité en ennemi, en entrant à force, faisons œuvres de nos mains. >>

Après Darius, Gobryas dit : « Amis quelle occasion plus belle aurons-nous jamais de sauver et de recouvrer l'empire, ou sinon mourir, nous que voilà, Perses commandés par un mage, par un Mède, lequel encore n'a point d'oreilles. Ceux d'entre vous qui se trouvèrent présents au trépas de Cambyse, vous savez les imprécations qu'il fit mourant, contre les Perses, s'ils ne tâchaient par tous

moyens à reprendre le commandement, ce qu'alors vous écoutâtes peu; car nous pensions qu'il le disait à dessein de tromper : maintenant donc, moi je me range au sentiment de Darius, qu'il ne nous faut quitter ce lieu, sinon pour aller droit au mage. »

Voilà ce que dit Gobryas, et que tous approuvèrent; mais tandis qu'il délibéraient, une chose avint hasard. Les mages entre par eux résolurent de se rendre ami Préxaspès, parce qu'il avait tout sujet de haïr Cambyse qui lui tua son fils d'un coup de flèche, et parce que seul il savait la mort de Smerdis fils de Cyrus, l'ayant tué de sa propre main, davantage était homme grandement estimé des Perses. Ils l'appellent donc pour tâcher à se l'acquérir, et l'obliger aussi par la foi du serment de tenir secrète et ne dire à qui que ce fût la tromperie qu'ils faisaient aux Perses, lui promettant grandes récompenses, et qu'il aurait tout à souhait. Puis, comme il consentit à ce qu'ils désiraient, ils lui proposèrent après, disant qu'ils allaient assembler les Perses sous le fort royal, l'enga gent à monter sur une tour, de là parler et certifier à tout le peuple que c'était Smerdis fils de Cyrus, non autre qui régnait. Ce qu'ils en faisaient était à cause qu'ils pensaient que son témoignage aurait créance parmi les

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