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Cambyse regretta Crésus, ce que voyant ses serviteurs, lui dirent qu'il était en vie. Cambyse fut aise d'apprendre que Crésus était encore en vie; mais il dit que ceux qui l'avaient ainsi conservé ne s'en trouveraient pas bien et qu'il les tuerait, comme il fit.

Il commit plusieurs tels excès contre les Perses et alliés durant le temps qu'il fut à Memphis, ouvrant les vieilles tombes et regardant les morts; il entra dans le temple de Vulcain, fit à l'image force moqueries. Car là l'image de Vulcain ne diffère en quoi que ce soit des Pataïques de Phénicie, que mettent les Phéniciens à la proue de leurs trirèmes ; et qui ne les a vues je lui dirai c'est la figure d'un homme Pigmée.Pareillement il entra dans le temple des Gabires, où n'est permis d'entrer qu'au prêtre, et ces images il les brûla, non sans en faire grande risée. Elles sont semblables aussi à celles de Vulcain; même on dit que ce sont ses enfants.

En somme il me paraît sans doute que Cambyse était hors de sens; car il n'eût pas pris en moquerie les religions et les coutumes; car si l'on proposait aux hommes de choisir entre toutes les lois établies les meilleures, après y avoir bien regardé, chacun s'en tiendrait aux siennes propres. A'nsi pense chacun ses lois être les meilleures de Feaucoup et

parlant il n'est pas à croire qu'autre qu'un insensé ait pu se rire de telles choses. Et qu'ainsi soit que tous les hommes pensent de la sorte en ce qui concerne les lois, d'autres preuves le font connaître et singulièrement celle-ci. Darius un jour ayant mandé des Grecs qui demeuraient près de sa résidence, s'enquit d'eux pour combien d'argent ils voudraient manger leur père mort. Eux répondirent que pour rien au monde; et Darius alors fit venir de ces Indiens nommés Calaties, lesquels ont pour usage de manger leurs parents, ct leur demanda devant les Grecs, qui par un interprète entendaient ce qui se disait, pour combien ils consentiraient à brûler le corps de leur père. Ils s'écrièrent haut, le priant de ne proférer telles paroles: Ainsi sont ces choses réglées par l'usage des différents peuples; et Pindare me semble avoir bien rencontré, disant coutume être reine du monde.

Au temps même de cette expédition de Cambyse contre l'Égypte, les Lacédémoniens en firent une aussi contre Samos et Polycrate, qui s'étant soulevé tenait Samos, et d'abord avait départi la ville entre lui et ses deux frères, Pantagnote et Syloson, depuis ayant tué l'un et chassé le plus jeune. Syloson tenait Samos toute,et la tenant contracta hospitalité avec Amasis roi d'Égypte, auquel il en

voya des dons et en reçut d'autres de lui. Polycrate bientôt s'accrut, devint fameux en Ionie et dans le reste de la Grèce. Quelque guerre qu'il entreprît, tout lui succédait à souhait. Il avait à lui cent galères à cinquante rames et mille archers, attaquait, pillait tout le monde indistinctement, disant qu'il obligeait davantage un ami en lui rendant son bien qu'il n'eût fait ne lui ôtant rien. Il s'empara de plusieurs îles, et de beaucoup de villes en terre ferme, prit les Lesbiens qu'il défit en combat naval allant avec toutes leurs forces au secours de Milet, et qui depuis creusèrent enchaînés tout le fossé autour de la forteresse dans Samos..

Amasis n'était point sans entendre parler des prospérités de Polycrate, voire même y prenait intérêt, et comme ses succès allaient tou jours croissant, il écrivit ceci dans une lettre qu'il lui adressa en Samos: « Amasis à Polycrate ainsi dit: C'est bien douce chose d'apprendre le bonheur d'un hôte et ami; toutefois tes grands succès ne me contentent pas. Je sais que la divinité est de sa nature envieuse. Partant j'aime mieux, moi et les miens, avoir chance dans mes affaires tantôt bonne, tantôt contraire, que non pas réus sir en tout. Car oncques je n'ouïs parler d'ancun qui n'ait eu triste fin en prospérant tou

jours. Toi donc, si tu m'en crois, voici ce qu'il faut faire à ton trop de bonheur. Songe en toi-même ce que tu peux avoir de plus précieux et qui plus te fâchât à perdre, et le perds et l'abîme tellement que jamais n'en soit nouvelle au monde ; et si dorénavant ton heur n'est mêlé de semblables disgraces, use du remède que je t'enseigne. »

Ces paroles lues, Polycrate, comme il comprit que l'avis d'Amasis était bon, chercha lequel de ses bijoux lui ferait plus de peine à perdre; et cherchant voici ce qu'il trouva. Il avait un anneau monté en bague d'or qu'il portait au doigt; c'était une pierre d'émeraude, et l'ouvrage était de Théodore fils de Téléclès de Samos. Ayant délibéré de le perdre, il fit ainsi. Sur une galère à cinquante rames il mit des gens et s'embarqua, puis fit voguer en haute mer. Quand il fut loin des côtes de l'île, ôtant cette bague de son doigt, aux yeux de tous ceux qui étaient quand et lui à bord, il la jette dans la mer, et cela fait, s'en revint à terre; et retourné en sa maison était chagrin de ce malheur. Cinq ou six jours après lui àvint ce que voici. Un pêcheur avait pris un poisson grand et beau, et tel qu'il lui parut mériter d'être offert en don à Polycrate, et pour cela s'envint aux portes, disant qu'il voulait être admis en sa

présence, ce qui lui étant octroyé, il parla en ces termes : « Roi, j'ai pris celui-ci et ne l'ai pas voulu porter vendre au marché, pauvre homme que je suis toutefois, qui en ce faisant gagne ma vie ; mais il m'a semblé digne de toi, pourquoi je l'apporte et te le donne.>> Lui aise d'entendre ce propos, repart : « Tu as grandement raison, et double grâce t'en est due de ton dire et de ton présent, et nous t'invitons à souper. » Le pêcheur qui tint à grand heur cette invitation, s'en retourna en son logis; et cependant les serviteurs coupant le poisson, trouvèrent dans son ventre la bague même de Polycrate, laquelle ils pri rent dès qu'ils la virent, et joyeux la portèrent vitement à Polycrate, et la lui donnant lui contèrent en quelle sorte ils l'avaient trouvée. Lui, comme il crut y avoir en cela quelque chose de divin, écrit dans une lettre tout ce qu'il avait fait et comment lui en avait pris, et tout étant écrit, il dépêche en Égypte. Ayant donc le roi Amasis lu cette lettre, qui venait de la part de Polycrate, comprit qu'homme ne peut préserver un autre homme de chose qui lui doit avenir, et que Polycrate ne devait pas faire bonne fin, ayant heur en tout', à tel point de retrouver même ce qu'il avait voulu perdre exprès. Si lui envoya en Samos un héraut, disant qu'il rom

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