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nulle fâcheuse odeur, ni rien qui soit désagréable, ayant toutes choses visibles pareillement au mort lui-même. Pendant l'espace d'une année, on le garde au logis des plus proches parents, lui offrant prémices de tout, et on lui sacrifie. Au bout de ce temps, on l'emporte et on le dresse quelque part autour de la ville.

Ces choses vues, les envoyés s'en retournèrent devers Cambyse, auquel ayant de de tout rendu compte, lui, sur le champ mu de colère, voulut marcher en Éthiopie, sans ordonner nulles provisions, ni prendre temps de considérer que cette fois il s'agissait de porter la guerre aux extrémités du monde ; mais comme furieux et hors de sens, aussitôt ouï le rapport des Ichthyophages, il se mit en marche, laissant ce qu'il avait de Grecs à l'attendre, et menant avec soi toute l'armée de terre. Venu à Thèbes il détacha cinquante mille hommes environ, et à ceux-là il donna ordre d'aller réduire en esclavage les Ammoniens et brûler le temple de Jupiter; lui cependant, avec le reste, tira droit en Éthiopie. Ainsi marchant, ils n'eurent pas fait la cinquième partie du chemin que ce qu'ils emportaient de vivres leur faillit, et pareillement leur faillirent les bêtes de somme qu'ils mangèrent après leurs provisions finies. Si. Can

byse connaissant sa faute alors eût rebroussé chemin et ramené l'armée, il était homme sage; mais n'écoutant nulle raison, il alla toujours en avant. Les soldats, durant que la terre leur offrit du vert à cueillir, se repaissant d'herbe, vécurent; mais quand ils furent dans les sables, ce que firent aucuns est hor rible à conter. Entre dix ils tiraient au sort un d'eux, et celui-là les autres le mangeaient; ce qu'ayant su, Cambyse eut peur de cette rage et revint sur ses pas, quittant son entreprise. Il s'en revint à Thèbes avec faute d'une grande part de ses gens, et de Thèbes descendu à Memphis, il renvoya les Grecs par mer. Ainsi réussit l'entreprise du voyage d'Éthiopie.

De leur part ceux qui allaient contre les Ammoniens, étant partis de Thèbes, marchèrent avec des guides. Ce qu'on sait c'est qu'ils arrivèrent en une ville, Oasis, peuplée de Samiens qu'on dit être de la tribu Eschrionienne. Ils sont distants de Thèbes de

sept jours de chemin par les sables, et cet endroit s'appelle, en la langue des Grecs, Macaron Nesi, qui veut dire Iles-des-Bienheureux. Jusque-là donc vint cette armée. Au partir de-là, ce qu'elle devint, hors les Ammoniens eux-mêmes et ceux qui l'ont pu savoir d'eux, nul n'en cut jamais connais

sance; car ils n'arrivèrent pas chez les Ammoniens ni ne retournèrent en arrière. Au reste voici ce qu'en content les Ammoniens. Que d'Oasis venant contre eux à travers les sables, ils se trouvaient à mi-chemin environ d'eux et d'Oasis et que comme ils étaient à repaître, il leur survint une bourrasque de vent du midi, qui levant des grèves de sable, les laissa dessous ensevelis, et ainsi disparurent tous. Tel récit font les Ammoniens du succès de l'expédition.

Peu après le retour de Cambyse, apparut en Egypte Apis que les Grecs nomment Épaphus, et aux premières nouvelles de son apparition, tous les Égyptiens en liesse mirent leurs plus beaux vêtements; ce que voyant Cambyse, persuadé que par là ils témoignaient être joyeux de sa mésaventure, fit venir devant lui les gouverneurs de Memphis et les interrogea, pour quelle cause auparavant, lors de son séjour à Memphis, rien de semblable ne s'était fait, mais bien à T'heure qu'il revenait, ayant perdu part de ses gens: eux lui dirent que depuis peu un dieu se manifestait, lequel avait coutume de rirement se montrer, et que quand il apparaissait, toute l'Égypte en faisait fêtes. Cette réponse ouïe, Cambyse dit que c'était

mensonge que cela, et comme menteurs les fit mourir. Ceux-là morts, il manda les prêtres, et eux disant les mêmes choses, il répartit 'qu'il voulait voir si leur dieu était bonne bête, et commanda aux prêtres de lui amener Apis, et ils l'allèrent quérir. Or cet Apis ou Epaphus naît veau d'une vache, qui ne peut après cela en porter d'autres, sur laquelle vache il descend du ciel un éclair, au dire des Égyptiens, dont elle engendre Apis: et de ce veau qu'on nomme Apis les marques sont telles le corps noir, sur le front un blanc à quatre angles, sur le dos la semblance d'un aigle, tous les crins doubles à la queue, et sur la langue un scarabée.

Apis étant venu amené par les prêtres, Gambyse feru qu'il était de méchante folie, tire sa dague, dont lui voulant donner dans le ventre, il l'atteint à la cuisse, et riant dit aux prêtres: « Coquins, voilà vos dieux qui ont de la chair et du sang et qui sentent les coups du fer: digne en effet des Égyptiens un dieu tel que celui-là. Mais je vous apprendrai à vous moquer de moi. » Cela dit, il commande à ceux qui avaient charge de telles choses de fouetter les prêtres et tuer quiconque des Egyptiens serait trouvé à faire fête, moyennant quoi la fête cessa. Les prêtres furent traités ainsi qu'il avait dit, etApis ma

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lade de sa blessure était gisant dans le temple, où finalement il mourut et fut enseveli par les prêtres à l'insu de Cambyse.

Cambyse, au dire des Egyptiens, pour avoir commis ce méfait, aussitôt après devint fou, étant auparavant peu sage, et premièrement fit mourir son frère de même père et mère, Smerdis qu'il avait par envie renvoyé de l'Égypte en Perse, parce que seul entre les Perses il tendait l'are, à deux doigts près qu'avaient apporté d'Ethiopie les Ichthyophages. Nul autre Perse que Smerdis n'en sut autant faire. Lui parti, Cambyse cut en songe une vision. Il lui fut avis qu'un messager venant de Perse apportait nouvelle que Smerdis assis sur le siége royal touchait de sa tête le ciel, à raison de quoi ayant peur que son frère le tuant, ne devînt roi, il envoie en Perse Prexaspès, qui lui était le plus dévoué entre tous les Perses, lequel montant à Suses fit mourir Smerdis, aucuns disent à la chasse, d'autres dans la mer Rouge et qu'il le fit

noyer.

Par là commencèrent, dit-on, les méchan cetés de Cambyse. Depuis il fit mourir sa sœur venue quand et lui en Egypte, et qui lui était pareillement sœur des deux côtés, et voici comme il l'épousa. Car les Perses auparavant n'avaient du tout accoutumé d'ha

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