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lère à trois rangs, était son plus fidèle eunuque, lequel de fait le prit en Lycie, mais pris ne le sut ramener. Car Phanès, plus fin, l'abusa. Car, ayant enivré ses gardes, il se sauva en Perse et fut trouver Cambyse, qui pour lors se préparait à marcher contre l'Égypte, et était en peine comment passer le désert. Il lui conte tout ce qu'il savait des affaires d'Amasis, lui donne des avis pour sa marche. Son conseil était d'envoyer au roi des Arabes demander sûreté pour le passage.

Ce n'est que par là seulement qu'on trouve l'entrée de l'Égypte. Car, de la Phénicie aux confins de la ville de Cadytis, c'est terre des Syriens de Palestine, comme on les appelle. De Cadytis, ville à mon sens peu inférieure à celle de Sardes, jusqu'à Jenyse, tous les ports où l'on se peut approvisionner sont à l'Arabe. Puis de Jenyse, c'est encore pays syrien jusqu'au lac Serbonide, au long duquel le mont Casius s'étend vers la mer. A partir du lac Serbonide, où Typhon se cacha, diton, de-là c'est Égypte. Tout entre Jenyse, le mont Casius et le lac Serbonide (qui n'est pas si peu de pays qu'il n'y ait bien trois jours de marche), tout cela est désert sans eau.

Une chose peu remarquée de ceux qui voyagent en Égypte, c'est cela que je vais dire. De toute la Grèce et encore de la Phénicie,

deux fois l'an, il vient en Égypte grand nombre de jarres pleines de vin, et si n'y en voiton pas une, par manière de dire, ni le moindre yase de terre à serrer le vin. Que deviennentelles donc ? Le voici. Chaque chef de tribu est tenu de ramasser toutes les jarres qui se peuvent trouver dans sa ville, pour les conduire à Memphis, et ceux de Memphis, de les porter à leur tour pleines d'eau dans le désert de Syrie, tellement que ce qu'il en arrive de dehors chaque année, enlevé se va joindre aux autres en Syrie; et ce sont les Perses qui ont imaginé ce moyen d'assurer leur marche en Égypte, faisant ainsi provision d'eau depuis qu'ils eurent conquis l'Égypte. Mais lors n'y avait point encore de ces amas d'eau. C'est pourquoi Cambyse, par conseil de l'homine d'Halicarnasse, envoya vers l'Arabe et lui fit demander sûreté pour le passage, laquelle

il obtint en donnant et recevant la foi.

Les Arabes gardent la foi autant que peuple qu'il y ait, quand ils l'ont jurée, ce qui se fait en cette manière. Deux voulant se jurer la foi, un troisième se met entre eux deux, et avec une pierre tranchante leur incise le dedans des mains près des grands doigts, puis, prenant du vêtement de chacun une floche imbibée de leur sang, il en frotte sept pierres posées à terre entre eux deux, et en

će faisant invoque et Bacchus et Uranie; et cependant celui qui engage sa foi présente à ses amis l'étranger ou le citoyen, si c'en est un, avec lequel il s'engage et les amis sont garants de la foi jurée. Ils ne reconnaissent de dieux que Bacchus et Uranie, et disent que leur façon de se couper les cheveux en rond, se rasant le tour des tempes, est celle-là même de Bacchus. Ils appellent Bacchus Ouroutal et Uranie Alilat.

Ayant donné la foi aux envoyés de Cambyse, l'Arabe, pour lui faire service, usa d'une telle invention. Il remplit d'eau des outres de peau de chameau, et les chargeant sur tout autant qu'il put trouver de chameaux vivants, les mena dans le désert, où il attendit la venue de Cambyse et de son armée. C'est là récit qu'on en fait le plus vraisemblable; si faut-il dire le moins problable aussi, puisqu'autrement se raconte. Un grand fleuve est en Arabie nommé Coris, lequel donne dans la mer qu'on appelle Erythée. De ce fleuve donc on prétend que le roi des Arabes, par un tuyau qu'il fit de peaux de boeuf crues et autres, cousues ensemble de longueur à venir jusque dans le désert, conduisit l'eau; que, dans le désert il fit creuser de grands réservoirs, pour recevoir et garder l'eau conduite de la sorte en

trois différents endroits par trois tuyaux. Il y a du fleuve au désert douze journées de chemin.

Or, campé à la bouche du Nil qu'on appelle Pélusiaque, Psamménite, fils d'Amasis, attendait Cambyse. Car Cambyse ne trouva pas, lorsqu'il vint en Égypte, Amasis vivant. Après quarante et quatre ans de règne, il était mort, n'ayant éprouvé durant ce temps nul événement désastreux, et mort et embaumé fut mis dans les tombeaux, dans le lieu sacré où lui-même les avait bâtis. Régnant Psamménite en Égypte, un prodige arriva. Ce fut la pluie à Thèbes d'Egypte, où jamais pluie n'était tombée, ni ne s'est vue oncques depuis, à ce que disent les Thébains. Car il ne pleut du tout point dans la haute Égypte, et toutefois il plut à Thèbes alors quelques gouttes.

Les Perses donc, après avoir traversé le désert, comme ils furent près des Égyptiens sur le point d'un venir aux mains, les alliés de l'Égyptien, Grecs et Cariens, voulant mal à Phanès de ce qu'il amenait une armée étrangère, pour s'en venger, inventent ceci. Phanès avait laissé des enfants en Égypte; ils les font venir au camp, et à la vue du père, ils placent un cratère entre les deux armées; puis amenant là ces enfants, l'un après

Fautre les égorgent jusqu'au dernier dans ce cratère, où ils versèrent après cela de l'eau et du vin; et tous ayant bu de ce sang, vont -au combat qui fut terrible. De part et d'autre y demeurèrent grand nombre de gens, et les Égyptiens furent défaits.

Là j'ai vu chose surprenante, dont je m'enquis à ceux du pays, les ossemens de tous ces morts sur le champ de bataille séparés (car ils étaient à part, ceux des Perses d'un côté, comme d'abord on les mit, de l'autre ceux des Égyptiens), et les crânes des Perses si faibles, qu'à les frapper d'un petit caillou sculement tu les percerais, ceux des Égyptiens au contraire tellement solides, qu'à grand peine les rompras-tu d'une grosse pierre; et la raison qu'ils m'en donnèrent, laquelle je crois aisément, c'est que les Égyptiens dès l'enfance vont la tête rase, dont les os se durcissent au soleil, et cela est cause en même temps qu'ils ne deviennent point chauves. Car il n'est pays où se voient moins de chauves qu'en Égypte. Voilà donc la raison pour quoi ils ont la tête si forte. Les Perses l'ont faible au contraire, parce qu'ils la tiennent couverte, portant dès leur bas âge des tiares de feutre, et qui plus est vivent à l'ombre. Voilà ce que je puis dire avoir vu. A Paprémis aussi j'ai vu chose pareille de ceux

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