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ce soit, est peut-être encore à faire: La chose passe pour difficile, à tel point que plusieurs la tiennent impossible. Il y a des gens persuadés que le style ne se traduit pas, ni ne se copie d'un tableau. Ce que j'en puis dire, c'est qu'ayant réfléchi là dessus, aidé de quelque expérience, j'ai trouvé cela vrai jusqu'à un certain point. On ne fera sans doute jamais une traduction tellement exacte et fidèle, qu'elle puisse en tout tenir lieu de l'original, et qu'il devienne indifférent de lire le texte ou la version. Dans un pareil travail, ce serait la perfection qui ne se peut non plus atteindre en cela qu'en toute autre chose; mais on en approche beaucoup, surtout lorsque l'auteur a, comme celui-ci, un caractère à lui, quoique véritablement si naïf et si simple, qu'en ce sens il est moins imitable qu'un autre. Par malheur, il n'a eu long-temps pour interprètes que des gens tout-à-fait de la bonne compagnie, des académiciens, gens pensant noblement et s'exprimant de même, qui, avec leurs idées de beau monde et de savoir vivre, ne pouvaient goûter ni sentir, encore moins représenter le style d'Hérodote. Aussi n'y ont-ils pas songé. Un homme séparé des hautes classes, un homme du peuple, un paysan sachant le grec et le français, y pourra réussir si la chose est

faisable; c'est ce qui m'a décidé à entreprendre ceci où j'emploie, comme on va voir, non la langue courtisanesque, pour user de ce mot italien, mais celle des gens avec qui je travaille à mes champs, laquelle se trouve quasi toute dans La Fontaine, langue plus savante que celle de l'académie, et comme j'ai dit, beaucoup plus grecque : on s'en convaincra en voyant, si on prend la peine de comparer ma version au texte, combien j'ai traduit de passages littéralement, mot à mot, qui ne se peuvent rendre que par des circonlocutions sans fin dans le dialecte académique. Je garantis cette traduction plus courte d'un quart que toutes celles qui l'ont précédée; si avec cela elle se lit, je n' pas perdu mon temps encore est-elle plus longue que le texte ; mais d'autres, j'espère, feront mieux et la pourront réduire à sa juste mesure, non pas toutefois en suivant des principes différents des miens.

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LIVRE TROISIÈME.

CONTRE cet Amasis marcha Cambyse, fils de Cyrus, menant entre autres peuples qui lui obéissaient, des Grecs Eoliens et des Ioniens, pour une telle raison: il avait envoyé en Égypte un héraut demander à Amasis sa fille; et il la lui demandait par le conseil d'un Égyptien, qui, voulant mal à Amasis, faisait cela pour se venger de ce que lui seul des médecins alors en Egypte, avait été par Amasis enlevé à sa famille et livré aux Perses, quand Cyrus lui fit demander le meilleur médecin pour les yeux qui fût en Égypte; dont se voulant venger l'Egyptien, par conseil induisit Cambyse à demander la fille d'Amasis, afin que la donnant il eût du déplaisir, ou que la refusant il devînt ennemi de Cambyse. Amasis donc, qui redoutait la puissance des Perses et les haïssait en même temps, ne savait à quoi se résoudre, assuré que Cambyse la voulait, non pour femme, mais pour concubine; et dans cet embarras, voici le parti qu'il prit.

Il y avait du roi Apriès, dernier mort, une fille, grande et belle personne, seul reste de cette maison, ayant nom Nitétis. On lui fit mettre de beaux habits avec de l'or, et ainsi parée, Amasis l'envoie en Perse comme sa fille. A quelque temps de là, Cambyse l'embrassant l'appelait du nom de son père, et elle s'en va lui dire: «O roi, tu ne vois pas qu'on te trompe, et qu'Amasis m'ayant parée de beaux atours me donne à toi comme sa fille, tandis que vraiment je suis née d'Apriès son maître, qu'il a fait périr en soulevant les Égyptiens contre lui. Ce fut cette parole qui fut cause à Cambyse grandement courroucé de mouvoir guerre à l'Égypte. Ainsi le racontent les Perses. Mais les Egyptiens font Cambyse de leur pays et veulent que Cyrus, non Cambyse, ait demandé la fille d'Apriès, quoi disant, ils ne disent pas vrai. Ils savent (car ce n'est pas à eux qu'il faut apprendre les coutumes et l'histoire de Perse)que d'abord, par la loi, le bâtard n'y peut régner, y ayant enfants légitimes, et que de plus la mère de Cambyse était Cassandane, la fille de Pharnaspès Achéménide, et non pas cette Égyptienne. Ils confondent ainsi les faits pour paraître en quelque manière tenir à la maison de Cyrus; mais il n'en est que ce que ce j'ai dit. Toutefois on fait encore ce conte, peu

croyable à mon sens, qu'un jour une femme persane entra chez les femmes de Cyrus, et voyant près de Cassandane ses enfants beaux à merveille, en fit de grandes louanges.; sur quoi Cassandane, qui était femme de Cyrus: «Moi, dit-elle, mère de tels enfants, Cyrus cependant me méprise, et cette étrangère égyptienne, il la tient chère et l'honore. >> Ainsi parlait-elle par haine qu'elle portait à Nitétis; et que là-dessus l'aîné de ses enfants, Cambyse, se prit à dire : Quand je serai grand, j'irai en, Égypte et je mettrai tout sens dessus dessous; qu'il pouvait avoir bien dix ans lorsqu'il tint ce langage; dont les femmes s'émerveillèrent, et qu'en ayant toujours gardé le souvenir, lorsqu'il fut homme et roi, il fit l'expédition d'Égypte.

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Une chose avint qui aida l'entreprise de cette guerre. Dans les troupes auxiliaires d'Amasis y avait un homme d'Halicarnasse, son nom était Phanès, brave de sa personne et d'esprit avisé; lequel Phanès ayant possible à se plaindre d'Amasis, un jour fuit d'Égypte par mer, pour aller devers Cambyse, et attendu qu'il n'était pas personnage peu considérable entre les alliés, instruit d'ailleurs de toutes choses concernant l'Égypte, Amasis envoie après lui, désirant fort le ravoir, et celui qu'il envoya sur une ga

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