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reux aussi qu'avant la révolution; mais il faut l'avouer, il est bien moins dévot. Nous allons à la messe le dimanche à la paroisse, pour nos affaires, pour y voir nos amis ou nos débiteurs, nous y allons; combien reviennent (j'ai grand honte à le dire) sans l'avoir entendue, partent, leurs affaires faites, sans être entrés dans l'église. Le curé d'Azai, à Pâques dernières, voulant quatre hommes pour porter le dais, qui eussent communié, ne les put trouver dans le village; il en falfut prendre de dehors, tant est rare chez nous, et petite, la dévotion. En voici la cause, je crois. Le peuple est d'hier propriétaire, ivre encore, épris, possédé de sa propriété; il ne voit que cela, ne rêve d'autre chose, et nouvel affranchi de même, quant à l'industrie, se donne tout au travail, oublie le reste et la religion. Esclave auparavant, il prenait du loisir, pouvait écouter, méditer la parole de Dieu et penser au ciel où était son espoir, sa consolation. Maintenant il pense à la terre qui est à lui et le fait vivre. Dans le présent ni dans l'avenir, le paysan n'envisage plus qu'un champ, une maison qu'il a ou veut avoir, pour laquelle il travaille, amasse, sans prendre repos ni repas. Il n'a d'idée que celle-là, et vouloir l'en distraire, lui parler d'autre chose, c'est

perdre son temps. Voilà d'où vient l'indifférence qu'à bon droit nous reproche l'abbé de la Mennais, en matière de religion. Il dit bien vrai; nous ne sommes pas de ces tièdes que Dieu vomit, suivant l'expression de SaintPaul, nous sommes froids, et c'est le pis. C'est proprement le mal du siècle. Pour y remé dier et nous amener, de cette indifférence, à la ferveur que l'on désire, il faut user de ménagements, de moyens doux et attrayants, car d'autres produiraient un effet opposé. La prudence y est nécessaire, ce qu'entendent mal ces jeunes curés, dont le zèle admirable, d'ailleurs, n'est pas assez selon la science. Aussi leur âge ne le porte pas.

Pour en dire ici ma pensée, j'écoute peu les déclamations contre la jeunesse d'à présent, et tiens fort suspectes les plaintes qu'en font certaines gens, me rappelant toujours le mot vengeons-nous par en médire (si on médisait seulement; mais on va plus loin); pourtantil doit y avoir du vrai dans ces discours, et je commence à me persuader que la jeunesse séculière, sans mériter d'être sabrée, foulée aux pieds, ou fusillée, peut ne valoir guères aujourd'hui, puisque même ces jeunes prêtres, dans leurs pacifiques fonctions, montrent de telles dispositions, bien éloignées de la sagesse et de la retenue de leurs anciens,

Je vous ai déjà cité, Messieurs, notre bon curé de Véretz, qui semble un père au milieu de nous; mais celui d'Azai, que remplace le séminariste, n'avait pas moins de modération, et s'était fait de même une famille de tous ses paroissiens, partageant leurs joies, leurs chagrins, leurs peines comme leurs amusements, où de fait on n'eût su que reprendre; voyant très-volontiers danser filles et garçons, et principalement sur la place; car il l'approuvait là bien plus qu'en quelque autre lieu que ce fût, et disait que le mal rarement se fait en public. Aussi trouvait-il à merveille que le rendez-vous des jeunes filles et de leurs prétendus, fût sur cette place plutôt qu'ailleurs, plutôt qu'au bosquet ou aux champs, quelque part loin des regards. comme il arrivera quand nos fêtes seront tout-à-fait supprimées. Il n'avait garde de demander cette suppression, ni de mettre la danse au rang des péchés mortels, ou de recourir aux puissances pour troubler d'innocents plaisirs. Gar, enfin, ces jeunes gens, disait-il, doivent se voir, se connaître avant de s'épouser, et où se pourraient-ils jamais rencontrer plus convenablement que là, sous les yeux de leurs amis, de leurs parents et du public, souverain juge en fait de convenance et d'honnêteté?

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Ainsi raisonnait ce bon curé, regretté de tout le pays, homme de bien, s'il en fût oncques, irréprochable dans ses mœurs et dans sa conduite, comme sont aussi, à vrai dire, les jeunes prêtres successeurs de ces ancienslà. Car il ne se peut voir rien de plus exemplaire que leur vie. Le clergé ne vit pas maintenant comme autrefois, mais il fait paraître en tout une régularité digne des temps apostoliques. Heureux effet de la pauvreté! Heureux fruit de la persécution soufferte à cette grande époque où Dieu visita son Église. Ce n'est pas un des moindres biens qu'on doive à la révolution, de voir non seulement les eurés, ordre respectable de tout temps, mais les évêques avoir des mœurs.

Toutefois il est à craindre que de si excellents exemples faits pour grandement contribuer au maintien de la religion, ne soient en pure perte pour elle, par l'imprudence des nouveaux prêtres qui la rendent peu aimable au peuple en la lui montrant ennemie de tout divertissement, triste, sombre, sévère, n'of frant de tous côtés que pénitence à faire, et tourments mérités, au lieu de prêcher sur des textes plus convenables à présent : Sachez que mon joug est léger, ou bien celui-ci : Je suis doux et humble de cœur. On ramènerait ainsi des brebis égarées que trop de ri

gueur effarouche. Quelque grands que soient nos péchés, nous n'avons guères maintenant le temps de faire pénitence. Il faut semer et labourer. Nous ne saurions vivre en moines, en dévots de profession, dont toutes les pensées se tournent vers le ciel. Les règles faites pour eux, détachés de la terre, et comme du fumier regardant tout le monde, ne conviennent point à nous qui avons ici bas et famille et chevance, comme dit le bon homme, et malheureusement tenons à toutes ces choses. Puis, que faisons-nous de mal, quand nous ne faisons pas bien, quand nous ne travaillons pas ? Nos délassements, nos jeux, les jours de fêtes, n'ont rien de blâmable en eux-mêmes ni par aucune circonstan ce. Car ce qu'on allègue au sujet de la place d'Azai, pour nous empêcher d'y danser; cette place est devant l'église, dit-on; danser là, c'est danser devant Dieu, c'est l'offenser; et depuis quand? Nos pères y dansaient, plus dévots que nous, à ce qu'on nous dit. Nous y avons dansé après eux; le saint roi David dansa devant l'arche du Seigneur, et le Seigneur le trouva bon; il en fut aise dit l'Écriture; et nous qui ne sommes saints ni rois, mais honnêtes gens néanmoins, pourrons danser devant notre église, qui nest pas l'arche, mais sa figure selon les sa

ne

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