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S 111. Dans la quatrième leçon nous avons examiné les constitutifs du raisonnement, en général; dans la précédente nous l'avons envisagé dans ses formes diverses. Il nous reste dans celle-ci à l'étudier dans le degré de perfection dont il est susceptible. Le but de tout raisonnement étant de donner la connaissance d'un inconnu, il est clair que celleci est d'autant plus parfaite que les éléments eux-mêmes qui concourent à la produire sont plus parfaits. Tels sont les éléments qui forment la démonstration. Ayant pour but d'engendrer la science, et non une simple connaissance, la démonstration occupe le plus haut degré dans l'échelle de nos opérations intellectuelles. C'est le raisonnement porté à sa plus haute puissance.

S 112. Il y a une différence entre prouver et démontrer. Démontrer (demonstrare), c'est prouver jusqu'à montrer la chose, c'est-à-dire jusqu'à l'évidence. « Dans le raisonnement démonstratif, dit Reid, chaque proposition est la conséquence nécessaire de la précédente, en sorte que la conclusion nous paraît suivre invincible

ment les prémisses. Il n'en est pas de même dans le raisonnement probable; il n'y a pas de connexion nécessaire des prémisses à la conclusion; en d'autres termes, nous ne voyons pas d'impossibilité à ce que la conclusion soit fausse, les prémisses étant vraies. » (Ess. VII. 4). D'où il suit que tout raisonnement qui ne produit pas une conclusion unie à son antécédent par un lien indissoluble, nécessaire, n'est pas une démonstration, mais une preuve.

$113. Ainsi nous pouvons définir la démonstration: Tout raisonnement qui établit la vérité d'une proposition d'une manière nécessaire, évidente. - Prenons pour exemple cette proposition: Il existe une cause éternelle et incréée. Pour établir cette vérité, nous dirons : l'existence da contingent implique absolument celle du nécessaire; or, il existe des êtres contingents; donc il existe un être nécessaire. Mais un être nécessaire est une cause éternelle et incréée; donc il existe une cause, etc. Dans ce raisonnement chacune des parties qui le composent est nécessaire. Le contingent est de sa nature un concept relatif et l'esprit sans sortir de ce concept saisit le terme qui lui correspond, le nécessaire. La majeure dans l'exemple donné, est donc analytique, évidente. La mineure l'est aussi. La contingence des êtres, la contingence du moi, par exemple, l'idée que le moi est une existence commencée réclamant une existence antérieure qui en est la cause efficiente, est tout aussi nécessaire que celle du contingent en général. L'esprit ne peut donc pas ne pas conclure à l'existence d'un être nécessaire, lequel sous peine d'absurde, doit être une cause éternelle, incréée.

S114. La démonstration étaut, suivant l'expression de l'école, un syllogisme qui produit la science, se trouve avoir tous les éléments qui constituent le raisonnement

parfait. Si celui-ci a un antécédent, un conséquent et une conséquence, l'autre a autant de parties y correspondantes, désignées par le nom d'argument ou fondement, de thèse ou question et enfin de nexus ou de lien.

S 115. Il est aisé de se rendre compte de ces dénominations diverses. En effet, dans la démonstration, tout ce d'où l'on tire ce qui doit être découvert, argue l'existence de la déduction, en même temps qu'il lui sert d'appui ou de fondement; l'antécédent peut donc être appelé à juste titre argument et fondement. Ensuite, ce qui doit être démontré ne peut se déduire, s'il ne tient pas à ce qui précède par une connexion réelle; la conséquence est donc un véritable lien, un anneau, un nexus. Pour ce qui concerne le conséquent, il est clair qu'antérieurement à sa démonstration, il présente l'idée d'une thèse, d'une position ou question qui, recevant une solution par le fait même de la démonstration, devient ainsi conclusion.

S 116. Mais le syllogisme nous a fait aussi reconnaître trois termes qui, combinés entre eux, forment deux propositions, l'une appelée majeure, l'autre mineure. A ce double élément, répondent, dans la démonstration, le principe et le moyen. — Consacrons quelques instants à l'explication de ces parties, afin de nous faire une idée exacte de la nature de la démonstration et des diverses espèces qu'elle embrasse.

$117. La thèse ou la question présente l'objet qu'il faut démontrer. Cet objet est proposé comme un inconnu dont on cherche la solution ou que l'on veut établir : il est énoncé en forme de proposition catégorique, soit affirmative soit négative. Ex. Il existe une cause éternelle, incréée. S 118. Le principe est la proposition qui sert de point de départ à la démonstration. La thèse ou la chose à dé

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montrer lui est subordonnée et se présente à son égard comme une notion inférieure résolvable dans une notion supérieure. Il faut donc - 1o que le principe soit une proposition certaine et reconnue. Sans cette qualité il ne pourrait pas servir de fondement, de point de départ. Nou seulement le principe doit être certain, mais encore, 2o il faut qu'il soit évident, d'une évidence médiate ou immédiate. Toute démonstration doit se résoudre dans un principe évident par lui-même ou indémontrable, car l'on serait dans l'impossibilité de rien prouver, si l'on ne s'appuyait enfin sur un principe qui n'a pas besoin de preuve. « Tout raisonnement, dit Reid, s'appuie sur des vérités connues sans raisonnement. Toute science a des premiers principes instinctivement (?) découverts; loin d'être fondés sur le raisonnement, tout raisonnement démonstratif ou probable y trouve son fondement » (Ess. V. II. 3). Ce qui montre pourquoi les premiers principes sont appelés principes analytiques et a priori; ils sont en effet, d'une part antérieurs à tout procédé de la raison, ils sont inconditionnels, ou indépendants de tout principe ultérieur, et de l'autre, leurs termes sont résolvables l'un dans l'autre. 3o Il faut que le principe soit propre, c'est-à-dire que la thèse que l'on veut établir lui soit subordonnée. Un rapport de causalité liant le conséquent à l'antécédent, il faut qu'il y ait proportion, homogénéité entre les deux extrêmes pour que l'un puisse être le résultat de l'autre. Un principe qui n'embrasserait pas dans sa sphère la thèse à établir serait incompétent, dès lors illégitime. Ce ne serait donc pas un principe.

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§ 119. Le moyen, ainsi que le mot l'indique, est une proposition empruntée à un ordre de vérités quelconque, et qui placée entre le principe et la conclusion est destinée

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à mettre en lumière la liaison qui les unit, c'est-à-dire à résoudre l'une dans l'autre. Telle est dans l'exemple donné plus haut, cette proposition: il existe des étres contingents. La démonstration pour être telle doit avoir un moyen nécessaire. Sans cette condition la conclusion ne le serait pas elle-même. Car n'oublions pas de remarquer avec Reid que « quelle que soit la force des autres anneaux d'un raisonnement, la force du plus faible mesure celle du raisonnement tout entier. » Toutefois, et ceci nous tenons à le faire remarquer, la nécessité peut être de deux sortes, métaphysique et hypothétique; l'une résulte de la nature même des termes de la proposition, l'autre est la conséquence d'une hypothèse; comme dans cet exemple : Ce qui court se meut; or ce cheval court; donc il se meut. D'où il résulte que le moyen de la démonstration peut être nonsculement une proposition apodictique qui énonce ce qui doit être, mais encore toute proposition assertoire énoncant ce qui est.

§ 120. La démonstration a pour but de prouver qu'une vérité, non évidente par elle-même, l'est par une autre vérité dans laquelle elle doit se résoudre. Pour y parvenir elle a besoin d'un intermédiaire ou d'un moyen qui soit proportionné aux deux extrêmes, c'est-à-dire au principe et à la conclusion. Trouver ce moyen, c'est avoir trouvé la démonstration elle-même. Il ne faut donc pas s'étonner si les anciens se sont tant occupés des Topiques, ou des lieux communs d'où l'on tire les arguments. « Ce qu'il y a de plus élevé dans le talent de raisonner, dit Reid, c'est l'invention des preuves, ou des propositions intermédiaires qui doivent rendre évidente une conclusion très-éloignée des prémisses. Ici, comme dans tous les travaux de l'intelligence, l'invention est la chose importante;

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