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mœurs, leur éducation, leur nation, ne peut être une vérité relative, une opinion; il faut donc que ce soit une vérité absolue, une certitude, qui exclue toute relation de temps et de lieu, de peuple et d'individu; donc le sens commun est un véritable criterium.

3° Ne refuse l'autorité du sens commun, que celui qui pas le sens commun; or, l'autorité d'une semblable négation est nulle; donc.

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S 132. Passons aux difficultés.

1re objection. Il y a des opinions qui ont été communes et constantes parmi les hommes, et cependant elles ont été controuvées. Donc le sens commun, etc.

R. Il y a eu des préjugés, ayant quelque apparence d'universalité, qui ont été controuvés; je l'accorde; il y a eu des jugements véritablement communs, selon ce que nous avons dit plus haut, qui ont été controuvés; je le nie. Et en cela il n'y a rien d'étonnant; tous les hommes ne sont pas bons juges en toute chose, surtout quand la chose est difficile à comprendre. Il leur sera donc bien facile de se tromper, surtout s'il n'y a personne qui les instruise. Mais de telles erreurs ne se rencontrent pas dans le sens commun: aussi aucun de ses jugements n'a jamais dù être réformé,

2o objection. Le sens commun est inutile; la preuve, c'est que, de notre aveu, il ne constitue qu'un criterium auxiliaire.

R. On nie l'antécédent. Quant à la preuve, on peut l'admettre en elle-même; mais la conséquence en est fausse. En effet, bien qu'il soit vrai de dire que les vérités de sens commun peuvent s'établir par d'autres criterium, il n'en résulte pas que celui-ci soit inutile. Car a) une vérité susceptible de preuves diverses, peut trouver, dans cette

diversité, un nouveau degré de certitude. b) Celui qui, pour une raison quelconque, douterait de la vérité d'une proposition de sens commun, pourrait et devrait déposer son doute au nom du sens commun lui-même. Ne partageant pas la manière de voir, vraiment commune à tous les hommes, il est par là même suffisamment averti qu'il voit mal. Manquant du sens commun, il doit s'apercevoir qu'il manque du sens de tout le monde; n'étant pas comme tous les autres, il lui manque ce qui est nécessaire pour être comme le reste des hommes. c) Le sens commun est le moyen le plus court et le plus simple pour maintenir les principes des sciences contre les sceptiques; nous l'avons vu; or, ce n'est pas peu de chose que de maintenir ces principes, de les protéger contre les attaques des ennemis de la vérité, contre les écarts de la raison personnelle et surtout contre les dissonnances des passions. 3° objection. C'est peu philosophique que de recourir au sens commun; le philosophe doit se servir de la raison et de l'évidence.

R. Distinguons:- Dans l'investigation de la nature, dans la recherche des solutions à donner aux questions scientifiques, cela est vrai; mais quand il s'agit d'assurer ou d'établir la vérité des principes de la raison et de la morale, de redresser ou de contenir l'esprit de système, il n'est rien de plus digne de la raison, que de recourir au sens commun, car il en est l'organe.

§ 133. Avant de terminer cette leçon, faisons encore les remarques suivantes :

1° Que l'objet de ce criterium est fort restreint, soit subjectivement, c'est-à-dire quant à l'usage qu'on en fait, soit objectivement, comme nous l'avons dit plus haut. Tout homme sent très-bien, en effet, qu'il n'a pas besoin de

s'enquérir de ce qui se dit autour de lui, ni de savoir ce qu'on pense au loin de certaines vérités, pour en être intimement convaincu; les autres critères lui suffisent abondamment pour parvenir à la connaissance vraie et certaine. D'ailleurs tout homme n'est ni en état, ni en position de recourir au sens commun. Ce n'est pas le premier venu qui pourra s'enquérir de l'universalité et de l'uniformité d'un jugement, d'une opinion. S'il est vrai, qu'à l'égard de certaines vérités, cette enquête sur l'universalité d'une croyance n'est pas nécessaire, c'est que ces vérités, et déjà nous l'avons remarqué, sont évidentes comme la lumière du jour.

2o Qu'il ne saurait être le moyen unique de certitude. 3o Qu'il ne saurait être le premier criterium de certitude, par la raison qu'il est extrinsèque. En effet, il nous serait impossible de constater avec certitude l'existence du sens commun, si nous ne pouvions nous fier au témoignage du sens intime, à celui des sens externes, etc. C'est à ceuxci de nous apprendre que le genre humain existe et qu'il est uniforme dans les jugements qu'il porte.

4° Que M. de Lamennais, en ne donnant à la certitude d'autre fondement que le sens commun ou l'autorité du genre humain, loin de l'appuyer sur une base plus solide, n'a fait que l'ébranler; de plus, en mettant en doute le témoignage des sens, il prête les mains pour combattre son propre système, et fournit des armes contre la certitude de la révélation. « Pour écouter des témoins, dit Damiron, il faut savoir qu'ils témoignent. Or, nous ne le pouvons qu'en percevant les mots qu'ils prononcent, et en trouvant un sens à ces mots. De là, nécessité de l'ouïe, pour la perception du son; nécessité de la raison, pour l'intelligence du sens; nécessité de la conscience, pour l'exercice de la rai

son. La faculté de sentir, de percevoir et de raisonner est trompeuse, suivant M. de Lamennais; donc la croyance l'autorité dont elle est le principe nécessaire est aussi trompeuse. Nous devons donc douter de l'autorité, comme de toute autre chose. La conséquence est, comme on voit, le scepticisme.»

LEÇON XI.

DU FONDEMENT DE LA CERTITUDE.

État de la question.— Sentiments divers des philosophes au sujet du fondement de la certitude. — Appréciation succincte de chacune de ces opinions. L'évidence objective est le vrai fondement de certitude.Explication de la thèse. - Preuves qui l'établissent. - Objections. Réponses.

S 184. Nous avons donc des moyens de connaissance vraie et certaine; ces moyens sont en même temps des indices de vérité et des motifs de certitude. Il y a certitude d'évidence, certitude de sens intime, de sens extérieurs, d'autorité, etc. Mais, outre ces motifs particuliers, n'y a-til pas un motif fondamental servant de base aux particuliers? Au-delà de ces raisons immédiates, qui déterminent l'adhésion entière de l'esprit, ne se rencontre-t-il pas une raison ultérieure et dernière qui n'en demande point d'autre, sous peine d'aller à l'infini? Telle est la question à résoudre dans cette onzième leçon; elle regarde le fondement de toute certitude, la raison dernière qui maintient l'esprit dans la persuasion de la vérité découverte par les critères.

$ 135. Il faut entendre par fondement de la certitude, le dernier motif qui détermine l'entendement à donner son assentiment à une vérité, qui lui est connue par un criterium quelconque. C'est ce dernier motif ou cette der

T. II.

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