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les intérêts de la vie, pour ne pas prendre au sérieux le spectacle de l'univers. 2o Que nous laissons aux cerveaux malades, le soin de discuter la supposition d'un Dieu ou celle d'un mauvais génie se jouant de la crédulité des hommes. 3° Qu'il est aussi absurde d'exiger la démonstration préalable de la véracité de ses facultés pour savoir que l'on est dans le vrai, qu'il serait ridicule de prétendre qu'un homme doive sortir de sa maison, pour s'assurer s'il est chez lui. 4° Qu'il n'est pas moins ridicule de dire que nous devons croire à l'évidence, aux premiers principes. « Cette prétendue croyance aveugle, dit A. Callet, qu'ils méprisent et à laquelle ils demandent des titres et ses passe ports est, en réalité, ce qu'il y a de plus clair, et même tout ce qu'il y a de clair dans l'âme humaine; c'est elle qui communique sa clarté à tout, même aux raisonnements par lesquels on tente de l'obscurcir. Si la gravité philosophique permettait d'employer ici une figure triviale, mais juste, je comparerais la raison, lorsqu'elle demande ses titres à la conscience, à une chandelle qui demanderait au soleil d'où lui vient la lumière, et qui prétendrait qu'elle éclaire mieux que lui, parce qu'elle connaît la main qui l'a allumée. Cela n'est-il pas étrange? On appellera incertaines, aveugles, illégitimes, les seules notions dont il nous soit impossible de douter, quoi que nous fassions. Est-ce par hasard, parce qu'il nous est impossi ble, radicalement impossible d'en douter, qu'elles sont incertaines, illégitimes et aveugles. Quoi donc! seraient-elles plus claires, plus légitimes, plus certaines, si nous pouvions sincèrement les mettre en question? Quelle absurdité! Vous me demandez preuves sur preuves, et quand je m'arrête, vous criez cercle vicieux! Il faut s'entendre, une preuve qui a besoin d'être prouvée n'est pas une preuve véritable,

Si vous voulez vraiment une preuve, vous voulez une chose qui soit à elle-même son fondement et qui brille de sa propre lumière; sinon, vous ne savez ce que vous voulez, et usez de mots sans en connaître le sens. »

§ 34. Il nous reste une conclusion à tirer de toute cette leçon; ce sera le sujet de la leçon qui va suivre.

LEÇON HI.

DE LA MÉTHODE a suivre POUR CHERCHER ET ÉTABLIR LA VÉRITÉ.

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§ 35. Nous sommes faits pour la vérité, et nous avons des moyens de la connaître. Ces moyens existent; ils doivent exister; et de leur bon ou de leur mauvais emploi, dépend la force ou la faiblesse de l'intelligence, dans la connaissance de la vérité. Avant de chercher à établir ce point capital, qui résume presque toute la logique objective, il importe de se fixer sur la méthode scientifique à suivre en cette matière.

I. Méthode de démonstration.

§36. L'erreur des philosophes qui ont nié la certitude ou la réalité de la connaissance, consiste en général, à soutenir que rien n'est assez démontré, rien assez bien établi, pour que l'homme soit assuré de la possession de la vérité. Cette prétention sceptique revient à dire que la méthode de dé monstration est la seule à suivre. Ne rien admettre qui ne soit fondé sur une preuve, de telle sorte que chaque preuve qu'on apporte soit elle-même confirmée par une preuve nouvelle, celle-ci par une autre, et ainsi de suite; c'est là leur point de départ, ou plutôt tout leur procédé; or, la preuve à l'infini étant impossible, ils en concluent à l'im

possibilité de la science humaine. Mais une méthode qui prétend tout démontrer, est une méthode illusoire et absurde, ça n'en est pas une. Montrons-le :

Si tout doit être démontré pour que la connaissance soit légitime, l'objet de cette démonstration sera ou la véracité du sujet connaissant, de la faculté par laquelle il connaît, ou l'existence ou la vérité de l'objet connu. Examinons cette double supposition.

1o Prétendre que la véracité de nos facultés doit être dé montrée au préalable, avant que nous acceptions leur témoignage comme légitime, c'est a) vouloir l'impossible, car la légitimité de nos facultés ne pourrait être démontréc qu'à l'aide de ces mêmes facultés; c'est - b) ajouter le ridicule à l'absurde. Pour opérer cette démonstration, il nous faudrait nous élever au-dessus de nous-mêmes pour nous juger; or peut-on raisonnablement exiger que nous sortions hors de nous, pour nous juger ainsi nous-mêmes? et, alors encore, nous n'aurons que nos facultés pour contrôler la valeur de nos facultés. D'ailleurs quel est l'être qui ne soit pas dans une semblable impasse? « Veuillez, dirons-nous avec M. Jouffroy, vous demander comment vous organiseriez un être intelligent pour le mettre à l'abri de cette objection. Si vous voulez que cet être soit intelligent, vous voulez qu'il puisse connaître, vous voulez qu'il ait des facultés de connaître. Il n'y a pas moyen d'organiser un être intelligent à d'autres conditions. Or, faites qu'il soit raisonnable; il remarquera que ces facultés sont siennes, qu'elles font partie d'une organisation toute individuelle, et qu'ainsi elles sont elles-mêmes individuelles, et alors naîtra d'ellemême l'objection, que, si elles étaient faites autrement, peutêtre lui donneraient-elles d'autres idées des choses. » Il est donc ridicule autant qu'absurde, de prétendre que nos fa

cultés cognitives, pour être admises à déposer, ont besoin d'une caution; c'est-à-dire que leur véracité soit démontrée au préalable.

2o Il n'est pas moins absurde de prétendre à la démonstration de l'objet de la connaissance. Cet objet est un fait, soit du sens intime, soit des sens extérieurs; or les faits, les existences ne se démontrent point; ils se perçoivent, ils se constatent, ils se manifestent, ils sont saisis par cela seul qu'ils sont perçus. Loin d'être le résultat d'une démonstration, ils sont antérieurs à la démonstration qui les suppose nécessairement; car ces faits constituent l'objet même de tout raisonnement. « Pour que le raisonnement signific quelque chose, dit Rattier, il faut accorder aux idées une réalité objective; donc cette réalité préexiste à leur combinaison par le raisonnement; donc, avant tout raisonnement, il existe des vérités primitives que le raisonnement ne donne pas, puisqu'elles lui sont antérieures; que le raisonnement ne peut attaquer, puisqu'il n'existe que par elles; qu'aucune objection ne parvient à ébranler, parce qu'elles sont l'objet d'une foi vitale, indestructible; et qui sont la base non-seulement de toute raison, mais encore de toute connaissance. » Cette prétention est donc impossible; la méthode qui l'exige est illusoire.

S 37. La démonstration domina dans la scolastique. Toutefois, ce ne fut point dans le sens sceptique dont nous venons de parler. Pour avoir donné la préférence au syllogisme, l'école n'en a pas accepté les abus; elle n'a pas non plus rejeté les autres procédés de la science; les Saint Thomas et les Scot en font foi. On ne peut méconnaître cependant que, dans les derniers temps de cette époque de l'histoire de la philosophie, l'emploi presque exclusif du procédé de démonstration, ne fut un grand obstacle à la

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