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la connaissance n'a de subjectif que ce qu'il est impossible qu'elle n'ait pas, savoir, le je ou le moi aperceptif qui se mele au fait sans le constituer. C'est dans la réflexion, que ces connaissances deviennent subjectives. Alors, nous venons de le dire, le moi se repliant sur lui-même, sur la nature de ses pensées, de leurs caractères et de leurs rapports, imprime aux données premières de sa conscience, un caractère de subjectivité et de relativité. De là le double élément qui distingue cette sorte de connaissance, l'élément subjectif, interne, et l'élément objectif, externe, à la différence des connaissances directes, qui, à vrai dire, sont surtout objectives. Kant s'est donc trompé en soutenant que toutes nos connaissances sont subjectives. Le P. Buffier était tombé dans une erreur analogue; pour lui, l'esprit ne voit jamais que ses idées, il n'a pour objet que des vérités internes. Mais il faut ajourner cette question.

Nos connaissances directes sont donc primitives, naturelles, certaines et objectives. Ne perdons pas de vue ces caractères que trouve et constate l'observation. Ce sont des données fécondes en conséquences.

LEÇON II.

DE LA DISPOSITion de l'esprIT RELATIVEMENT A LA CONNAISSANCE VRAIE ET CERTAINE.

Etat de la question. - L'esprit humain adhère naturellement à la vérité. · Caractère véritable de cette adhésion. - Opinion du P. Buffier, de Reid, de Kant, etc., à cet égard; elle est insoutenable. - De la possibilité de connaître le vrai, ou réfutation du scepticisme. - Difficultés; Principes de solution.

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$27. Après avoir étudié la connaissance dans les qualités qui la font vraie et certaine, il nous faut l'examiner dans ses deux termes extrêmes, savoir dans le sujet connaissant, et dans l'objet connu, ou qui, du moins, peut être connu. Ce double examen a pour but de constater, d'une part, que l'intelligence humaine est capable de connaître la vérité, de l'autre, que la vérité se laisse atteindre par elle; en deux mots, que l'homme peut connaître la vérité, et la connaître réellement. Ces deux points de vue se complètent. Ils ont pour résultat commun de nous faire arriver à cette conclusion définitive, que l'esprit humain. est capable de connaître, à prendre le mot dans toute sa rigueur scientifique, c'est-à-dire, d'affirmer la conformité de ses jugements avec leur objet, pour des motifs également suffisants, tant sous le rapport subjectif, que sous le rapport objectif.

$ 28. Quelle est la disposition de l'esprit humain à l'égard de la vérité? Telle est la première question à exami

ner; mais déjà nous y avons répondu dans la psychologie expérimentale. L'exacte observation de la nature humaine nous a révélé l'amour du vrai, comme un trait essentiel et constitutif de notre organisation intellectuelle. Trois phé nomènes le constatent. Ce sont :

1o Le désir de connaître la vérité. Toutes les tendances de notre nature nous portent vers elle; nous la cherchons en toutes choses, nous la cherchons constamment, sans désespérer jamais de la trouver. Et ce désir, qui nous presse et nous agite, loin de s'affaiblir, ne fait que s'accroître et s'irriter de plus en plus, à mesure que l'intelligence grandit et se développe.

2o La jouissance qui accompagne la possession de la vérité. Cette jouissance est si douce qu'elle se fait acheter au prix des plus grands sacrifices. Elle est si enivrante qu'il faut la faire partager à autrui. Rien n'égale la joie et l'orgueil de celui qui a trouvé la vérité. Il aime à la répandre autour de lui, et son bonheur s'accroît à mesure qu'il la fait connaître. « C'est Archimède courant dans les rues de Syracuse, et s'écriant: « Je l'ai trouvé! » C'est Pythagore immolant une hécatombe aux dieux, en reconnaissance de la découverte du carré de l'hypothénuse. »

3° L'aversion qu'éprouve l'homme pour le faux, et pour l'erreur. Il hait, dit Rattier, la dissimulation et le mensonge. Tout ce qui est faux, tout caractère qui se cache pour tromper, toute parole qui n'est pas l'expression de la pensée, toute imitation infidèle de la nature, nous affecte d'une manière désagréable. Au contraire, la franchise, la sincérité, l'ingénuité nous plaisent, nous charment et nous attirent. » (Cours. I). L'homme ne saurait aimer l'erreur pour elle-même. « Le commun des hommes mème, dit Nicolas, dans tous les déréglements de leur esprit et de

leur cœur, ne peut rester sciemment dans l'erreur : ils se la déguisent à eux-mêmes, ils la systématisent, c'est-à-dire, ils se la font vérité; et ce n'est que pour mieux se donner le change qu'ils persécutent la vérité même, en l'appelant erreur.» (Liv. I. chap. 3.)

$29. C'est donc un fait bien constaté, une donnée naturelle fournie par l'observation et antérieure à toute réflexion, que cette inclination de la nature, qui nous porte au vrai et repousse le faux. Mais quel est le caractère propre de ce fait? Quel est l'objet de cette tendance?

Quelques auteurs, égarés sans doute par le caractère de spontanéité propre à toute tendance naturelle, n'y ont vu qu'une impulsion aveugle, une espèce d'instinct. Selon eux, l'affirmation de la vérité objective serait en définitive basée sur un sentiment, une impulsion subjective, plutôt que sur une perception de l'intelligence qui voit son objet. Il en résulterait, que connaître la vérité objective, n'est pas la voir, mais la croire (admettre sans voir). Cette opinion est soutenue par le P. Buffier ainsi que par Reid, pour qui le penchant naturel au vrai, est une sorte de suggestion ou inspiration, un sens appelé commun, parce qu'il se trouve communément dans tous les hommes. D'autres désignent ce penchant sous le nom de foi naturelle; Kant le prend dans le même sens : " je devais abolir la science, dit-il, pour faire place à la foi. » (Préf. à la crit.... Tissot). En effet, il abolit la science en refusant toute valeur objective à la raison spéculative, et fait place à la foi, en donnant cette valeur à la raison pratique. Ainsi donc, selon ces philosophes, l'inclination naturelle, qui nous porte au vrai, serait bien réelle et suffisante pour légitimer la croyance; mais comme elle est aveugle, l'esprit reste frappé d'impuissance, pour porter son regard au-dehors de lui-même; né

aveugle, il ne parvient jamais à voir quelque chose de

réel.

$50. Ce sentiment n'est pas le nôtre. Il méconnaît la nature de l'entendement, les enseignements de l'expérience, et la vraie valeur de la science elle-même. Montrons-le brièvement.

1o Le propre de l'intelligenee, c'est de voir. Qu'on veuille bien y réfléchir, et l'on trouvera que la tendance à voir la vérité est dans l'homme aussi irrésistible que celle qui le porte à la connaître. L'intuition est le premier et le dernier terme de l'activité intellectuelle. L'esprit ne se repose, n'est content, n'est satisfait, que du moment, où il se voit en possession de ce mode de connaissance. L'intuition est le but final de tous ses efforts. S'il désespère d'y atteindre, il ne se résoud à croire qu'à la condition de voir, de comprendre, au moins, à un certain degré. D'ail leurs l'homme placé au sein de la nature, se voit doué de facultés diverses pour en prendre connaissance. Ces facultés sont relatives aux objets qu'elles sont destinées à faire connaître. Donc, de même que l'homme a des sens externes pour saisir les choses dans leurs qualités extérieures, telles qu'elles lui paraissent, de même, il doit avoir des moyens pour les saisir dans ce qu'elles sont en elles-mêmes. Mais ces moyens, il ne les a pas, s'il est vrai qu'il ne voit rien d'objectif, qu'il ne perçoit rien de réel, et si son esprit se bornant à sentir, est réduit à affirmer la réalité ou l'objectivité des existences sur la foi de ce sentiment. - Reconnaissons donc dans l'intelligence humaine, une faculté, un œil interne, qui met l'homme en rapport avec le sursensible, comme il a un œil externe, qui lui permet de saisir le sensible; à moins de soutenir que l'œil intelligent est fait pour ne point voir, ou s'il voit quelque chose, que cette vue

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