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vraies, dit Cousin,.... car quand vous avez l'idée d'une chose qui n'existe pas, l'idée d'un centaure, d'une chimère, il n'est pas moins vrai que vous avez l'idée que vous avez; seulement cette idée que vous avez réellement, qui est incontestablement dans l'entendement humain, manque d'un objet réellement existant dans la nature. L'erreur tombe donc non sur l'idée, mais sur cette affirmation, qui y est quelquefois ajoutée, savoir que cette idée a un objet réellement existant dans la nature. Vous n'êtes pas dans l'erreur, parce que vous avez l'idée d'un centaure, mais vous êtes dans l'erreur, lorsque à cette idée de centaure vous joignez cette affirmation que l'objet de telle idée existe.» (Lec. 20.)

S 12. Ainsi donc une chose vraie est celle qui est conforme à l'entendement, et l'entendement vrai est celui qui est conforme à son objet. Dans l'un comme dans l'autre cas, il y a un rapport de conformité ou d'égalité entre deux termes, l'intelligence et la chose. C'est ce rapport qui, à proprement parler, est la vérité. D'où cette définition de S'-Thomas: la vérité est une équation entre l'affirmation et son objet, ou plutôt entre l'intelligence et son objet, définition, qui convient également à la vérité de la chose, et à celle de l'entendement.

§ 13. D'autres dénominations, qu'il est utile d'indiquer, servent à désigner la vérité prise dans l'une ou l'autre de ces deux acceptions. Ainsi la vérité de l'entendement s'appelle encore vérité formelle, parce que l'entendement donne, par le concept, la forme à la connaissance; aussi vérité subjective, en ce que l'entendement qui l'aperçoit fait partie du sujet connaissant; enfin, vérité interne, puisque la connaissance de ce qui est, est interne comme l'entendement luimême. De son côté, la vérité de la chose, a reçu le nom

de vérité matérielle parce que les choses fournissent la matière de la connaissance; de vérité objective, pour le même motif; enfin celui de vérité externe, parce que les choses. qui peuvent être l'objet de la connaissance, sont distinctes du sujet connaissant, ou hors de lui.

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S 14. Tirons maintenant les conséquences qui dérivent de cette double acception de la vérité. Ces conséquences, les voici : 1o on peut dire que toute vérité vient de Dieu. En effet, comme nous l'avons vu dans Bossuet, en Dieu se trouvent éternellement toutes les idées exemplaires, prototypes selon lesquelles toutes les choses ont été modelées; donc l'origine de toute vérité est en lui. Ensuite, Dieu étant la cause première de tous les êtres, l'est aussi de leur conformité avec leurs idées exemplaires. « L'entendement divin, dit Leibnitz, est la région des vérités éternelles ou des idées dont elles sont dépendantes; et sans lui, il n'y aurait aucune réalité dans les possibilités, et rien non seulement n'existerait, mais encore ne serait possible» (Pensées.)

2o La vérité de l'entendement divin est bien différente de celle de l'entendement créé. Pour s'en faire quelque idée il faut considérer, dit Bossuet, ce que c'est qu'entendre à Dieu, et ce que c'est qu'entendre à moi.

« Dieu est la vérité même et l'intelligence même, vérité infinie, intelligence infinie. Ainsi dans le rapport mutuel qu'ont ensemble la vérité et l'intelligence, l'une et l'autre trouvent en Dieu leur perfection; puisque l'intelligence qui est infinie, comprend la vérité tout entière, et que la vérité infinie trouve une intelligence égale à elle. Par là donc la vérité et l'intelligence ne font qu'un; et il se trouve une intelligence, c'est-à-dire Dieu, qui, étant aussi la vérité même, est elle-même son unique objet.

<< Il n'en est pas ainsi des autres choses qui entendent. Car, quand j'entends cette vérité, Dieu est, cette vérité n'est pas mon intelligence. Ainsi l'intelligence et l'objet, en moi, peuvent être deux; en Dieu, ce n'est jamais qu'un. Car, il n'entend que lui-même, et il entend tout en luimême, parce que tout ce qui est, et n'est pas lui, est en lui comme dans sa cause. » (IV. 8.) Il suffit donc que Dieu se connaisse lui-même, pour voir toutes les choses comme elles sont, tout étant vrai et intelligible par lui. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne les voie pas non plus en ellesmêmes.

3o On ne peut pas confondre la connaissance vraie, avec la connaissance de la vérité. La première est celle qui est conforme à son objet; la seconde a pour objet la conformité elle-même, qui existe entre l'affirmation et la chose affirmée. Celle-là peut exister sans celle-ci. Si j'affirme ce qui est, si je nie ce qui n'est pas, je suis dans la vérité, bien que je ne voie pas la vérité de mon assertion, c'est-à-dire l'accord qui se trouve entre ma pensée et son objet. Pour ce qui est de la connaissance de la vérité, il va sans dire qu'elle implique la connaissance vraie, ou la vérité de la connaissance; l'une suppose nécessairement l'autre. C'est de la connaissance vraie qu'il s'agit ici. Nous pouvons la définir conformément à ce qui a été dit plus haut : affirmation de l'intelligence qui est égale à son objet; et par contre, une connaissance fausse, est celle qui n'égale pas son objet. Ainsi quand j'affirme que l'animal est un être organisé, je suis dans le vrai, car ma pensée égale l'accord qui existe entre l'attribut et le sujet de cette proposition; au contraire, je serais dans le faux si, par exemple, j'affirmais la même chose de la pierre.

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$ 15. Nous venons d'envisager la connaissance dans le

rapport de conformité du sujet avec l'objet. Car c'est bien ce point de vue qui la fait dire vraie ou fausse. Il nous faut maintenant l'examiner sous un autre rapport, que déjà nous avons insinué. Toute connaissance proprement dite est une affirmation intellectuelle; or, à cet égard, la connaissance est certaine ou incertaine; nous allons le montrer.

§ 16. Qui dit certitude, dit avant tout, fermeté, stabilité, fixité. La connaissance empreinte de ce caractère de fermeté, s'appelle certaine. En général, on peut définir la certitude : la ferme adhésion de l'esprit à la vérité ou à ce qu'il croit être la vérité. Telle est, par exemple, l'adhésion que je donne aux vérités suivantes : deux et deux font quatre; il existe une ville appelée Rome.

S 17. Cette fermeté, qui caractérise la certitude, peut être envisagée sous un triple point de vue, suivant les trois éléments qui constituent la connaissance certaine. Considérée dans le moi, dans le sujet qui adhère, qui juge, la certitude est subjective; considérée dans le motif qui détermine, sollicite l'adhésion ou l'assentiment, elle s'appelle certitude de motif; enfin, considérée relativement à l'objet qui fait naître la connaissance, elle s'appelle certitude objective. Il faut préciser le sens de chacune de ces diverses acceptions.

§ 18. La certitude subjective est l'adhésion ferme, imperturbable de l'esprit à une chose connue. Cette certitude est donc dans le moi, dans le sujet. Elle désigne, non pas tant une connaissance, qu'un état déterminé du sujet, connaissant. Elle constitue un fait subjectif, qui accompagne quelques-unes de nos affirmations; elle ajoute à l'idée de connaissance celle d'une quiétude, d'une sécurité qui exclut le doute, et qui fait dire à l'esprit, que ce qu'il pense est réel et vrai, Telle est, par exemple, l'assurance, la per

suasion avec laquelle nous disons et nous répétons à nousmêmes, qu'il n'y a pas d'effet sans cause, que le mal n'est pas le bien, etc. La certitude subjective exclut donc le doute, mais non pas l'erreur. Car à la rigueur, elle est indépendante, non seulement de la vérité objective, mais encore de la valeur intrinsèque des motifs qui déterminent l'assentiment. Il se rencontre, en effet, des convictions qui, pour ètre inébranlables, n'en reposent pas moins sur les motifs les plus futiles, ou même ont pour objet des choses évidem

ment erronées.

$ 19. La certitude de motif, est la force des preuves ou des raisons, qui produisent la persuasion dans l'esprit, font adhérer à la vérité. On la nomme aussi quelquefois, certitude formelle; car elle forme la certitude subjective, elle en est la base, le fondement. En effet, l'esprit ne donne pas son assentiment sans un motif; il ne marche pas à l'aveugle vers son objet. Pour adhérer à une chose connue, il doit nécessairement la trouver vraie, ou du moins la prendre pour telle. Or, les raisons ou motifs qui déterminent l'assentiment de l'esprit, sont de diverses sortes, suivant l'ordre de vérités auquel ils appartiennent. De là la division de la certitude en métaphysique,physique et morale. Les motifs,qui produisent la certitude métaphysique, résultent des choses évidentes, nécessaires, essentielles, comme les jugements analytiques. Ainsi, il est métaphysiquement certain que tous les rayons du cercle sont égaux. Les motifs qui produisent la certitude physique, reposent sur les lois qui régissent, d'une manière constante et uniforme, la nature physique ou matérielle. Donc, il est physiquement certain qu'une pierre abandonnée à elle-même tombe à terre. Les motifs qui appartiennent à l'ordre moral, résultent de la connaissance que nous avons des lois qui gouvernent la nature morale, c'est-à-dire,

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