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tables beautés l'eftime qu'elles méritent, les fauffes n'ont jamais le pouvoir de vous éblouïr. Mais votre générosité ne s'arrête pas à des louanges fériles pour les ouvrages qui vous agréent, elle prend plaifir à s'étendre utilement fur ceux qui les produifent, & ne dédaigne point d'employer en leur faveur ce grand crédit * que votre qualité & vos vertus vous ont acquis. J'en ai resenti des effets qui me font trop avantageux pour m'en taire, & je ne vous dois pas moins de remercimens pour moi, que pour le CID. C'eft une reconnaissance qui m'eft glorieuse, puisqu'il m'est impossible de publier que je vous ai de grandes obligations, fans publier en même tems que vous m'avez assez eftimé pour vouloir que je vous en eusse. Auffi, MADAME, fi je souhaite quelque durée pour cet heureux effort de ma plume, ce n'eft point pour aprendre mon nom à la postérité, mais feulement pour laisser des marques éternelles de ce que je vous dois, faire lire à ceux qui naîtront dans les autres fiécles, la proteftation que je fais d'être toute ma vie,

MADAM E,

Votre très-humble, très - obéiffant & très - obligé ferviteur, CORNEILLE.

La ducheffe d'Aiguillon avait un trèsgrand crédit en effet fur fon oncle le cardinal, & fans elle Corneille aurait été entiérement difgracié. Il le fait affez entendre par ces paroles. Ses ennemis acharnés l'avaient peint comme un efprit

altier qui bravait le premier miniftre, & qui confondait dans un mépris général leurs ouvrages & le goût de celuiqui les protégeait. La ducheffe d'Aiguillon rendit dans cette affaire un auffi grand fervice à fon oncle qu'à Cor

MARIANA 1. 4°. de la hiftoria de España c. 5o.

Avia pocos dias antes hecho campo con D. Gomes Conde

de Gormas. Venciòle, y diòle la muerte. Lo que refultò d'efte cafo, fue que casò con Doña Ximena, hija y heredera del mismo Conde. * Ella mifma requiriò al Rey que fe le dieffe por marido, (ya eftaua muy prendada de fus partes), o le caftigaffe conforme a las leyes, por la muerte que diò a fu padre. Hizòfe el cafamiento, que a todos eftaua a cuento, con el qual por el gran dote de fu efpofa, que fe allegò al estado que el tenia de fu padre, fe aumentò en poder y riquezas.

Voilà ce qu'a prêté l'hiftoire à D. Guillain de Caftro, qui a mis ce fameux événement fur le théatre avant moi. Ceux qui entendent l'espagnol, y remarqueront deux circonftances: l'une, que Chimène ne pouvant s'empêcher de reconnaitre & d'aimer les belles qualités qu'elle voyait en D. Rodrigue, quoiqu'il eût tué son père (eftaua prendada de fus partes) alla propofer elle-même au roi cette généreuse alternative, ou qu'il le lui donnat pour mari, ou qu'il le fit punir fuivant les loix: l'autre, que ce mariage fe fit au gré de tout le monde (a todos estana a cuento.) Deux chroniques du Cid ajoutent qu'il fut célébré par l'archevêque de Seville, en présence du roi & de toute fa cour; mais je me fuis contenté

neille. Elle lui fauva dans la postérité la honte de paffer pour l'approbateur de Colletet, & l'ennemi du Cid, & de Cinna.

* Ces paroles de Mariana fuffifent

pour juftifier Corneille. Chimène demanda au roi qu'il fit punir le Cid felon les loix, ou qu'il le lui donnát pour époux.

On voit combien la vérité hiftorique eft adoucie dans la tragédie.

du texte de l'hiftorien, parce que toutes les deux ont quelque chofe qui fent le roman, peuvent ne perfuader pas davantage que celles que nos français ont faites de Charlemagne & de Roland. Ce que j'ai raporté de Mariana fuffit pour faire voir l'état qu'on fit de Chimène de fon mariage dans fon fiécle même, où elle vécut en un tel éclat, que les rois d'Aragon & de Navarre tinrent à bonneur d'etre fes gendres, en époufant fes deux filles. Quelques-unes ne l'ont pas fi bien traitée dans le notre ; & fans parler de ce qu'on a dit de la Chimène du théatre, celui qui a compofe hiftoire d'Espagne en français, l'a notée dans fon livre, de s'être tût aisément confolée de la mort de fon père, & a voulu taxer de légèreté une action qui fut imputée à grandeur de courage par ceux qui en furent les témoins. Deux romances espagnoles que je vous donnerai enfuite de cet avertisement, parlent encor plus en fa faveur. Ces fortes de petits poëmes font comme des originaux découfus de leurs anciennes hiftoires, & je ferais ingrat envers la mémoire de cette héroïne, fi après l'avoir fait connaître en France, & m'y être fait connaître par eile, je ne tâchais de la tirer de la bonte qu'on lui a voulu faire, parce qu'elle a passé par mes mains. Je vous donne donc ces pièces justificatives de la réputation où elle a vécu, fans deffein de juftifier la façon dont je l'ai fait parler Français. Le tems l'a fait pour moi, & les traductions qu'on en a faites en toutes les langues qui fervent aujourd'hui à la scène, & chez tous les peuples où l'on voit des théatres, je veux dire en Italien, Flamand & Anglais, font d'affez glorieufes apologies contre tout ce qu'on en a dit. Je n'y ajouterai pour toute chofe qu'environ une douzaine de vers espagnols qui femblent faits exprès pour la défendre. Ils font du même auteur qui l'a traitée avant moi, D. Guillain de Caftro, qui dans une autre comédie qu'il intitule Engañarfe engañando, fait dire à une princeffe de Bearn:

A mirar

bien el mondo, que el tener
apetitos que vencer,

y ocafiones que dexar.
Examinan el valor

en la muger, yo dixera
lo que fiento, porque fuera
luzimiento de mi honor.
Pero malicias fundadas
en honras mal entendidas
de tentaciones vencidas
haz en culpas declaradas:
Y affi la que el deffear
con el refiftir apunta,
Vence dos vezes fi junta

con el refiftir el callar.

C'eft, fi je ne me trompe, comme agit Chimène dans mon ouvrage, en présence du roi de l'infante. Je dis en présence du roi & de l'infante, parce que quand elle eft feule, ou avec fa confidente, ou avec fon amant, c'est une autre chose. Ses murs font inégalement égales, pour parler en termes de notre Ariftote,

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changent fuivant les circonftances des lieux, des personnes, des tems, des occafions, en confervant toujours le même principe. Au reste je me fens obligé de défabufer le public de deux erreurs qui s'y font gliffées touchant cette tragédie, & qui semblent avoir été autorisées par mon filence. La premiere eft que j'aye convenu de juges touchant fon mérite, & m'en fois raporté au Sentiment de ceux qu'on a priés d'en juger. Je m'en taivais encore, fi ce faux bruit n'avait été jusques chez Mr. de Balzac dans fa pro

vince, ou, pour me fervir de fes paroles mêmes, dans fon défert, fi je n'en avais vu depuis peu les marques dans cette admirable lettre qu'il a écrite fur ce sujet, & qui ne fait pas la moindre richeffe des deux derniers tréfors qu'il nous a donnés. Or comme tout ce qui part de fa plume regarde toute la postérité maintenant que mon nom est affuré de paffer jufqu'à elle dans cette lettre incomparable, il me ferait honteux qu'il y pallat avec cette tache, qu'on put à jamais me reprocher d'avoir compromis de ma réputation. C'est une chose qui jusqu'à préfent eft fans exemple; & de tous ceux qui ont été attaqués comme moi, aucun que je fache n'a eu affez de faiblesse pour convenir d'arbitres avec ses cenfeurs;

s'ils ont laiffé tout le monde dans la liberté publique d'en juger, ainfi que j'ai fait, ç'a été fans s'obliger non plus que moi à en croire perfonne. Outre que dans la conjoncture où étaient lors les affaires du Cid, il ne falait pas être grand devin pour prévoir ce que nous en avons vû arriver. A moins que d'être tout-à-fait Aupide, on ne pouvait pas ignorer que comme les queftions de cette nature ne concernent ni la religion, ni l'état, on en peut décider par les règles de la prudence humaine, auffi - bien que par celles du théatre, & tourner fans fcrupule le fens du bon Ariftote du côté de la politique. Ce n'est pas que je fache fi ceux qui ont jugé du Cid, en ont jugé fuivant leur Sentiment ou non, ni même que je veuille dire qu'ils en ayent bien ou mal jugé ; mais feulement que ce n'a jamais été de mon confentement qu'ils en ont jugé, & que peut-être je l'aurais juftifié fans beaucoup de peine fi la même raifon qui les a fait parler, ne m'avait obligé à me taire. Ariftote ne s'eft pas expliqué fi clairement dans fa poëtique, que nous n'en puissions faire ainsi que les philofophes, qui le tirent chacun à leur parti dans leurs opinions contraires; & comme c'est un pays inconnu pour beaucoup de monde, les plus zélés par

tifans

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