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Le soleil qui se couche
Pour se lever plus beau!

Paix et mélancolie
Veillent là près des morts,
Et l'âme recueillie

Des vagues de la vie
Croit y toucher les bords!

Monologue d'Auguste;

par P. Corneille.

(Cinna, Acte IV, Scène 3.)

Ciel, à qui voulez-vous désormais que je fie
Les secrets de mon âme et le soin de ma vie?
Reprenez le pouvoir que vous m'avez commis,
Si, donnant des sujets, il ôte des amis,

Si tel est le destin des grandeurs souveraines,
Que leurs plus grands bienfaits n'attirent que des haies;
Et si votre rigueur les condamne à chérir

Ceux que vous animez à les faire périr.

Pour elles rien n'est sûr; qui peut tout doit tout craindre.
Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre ;
Quoi! tu veux, qu'on t'épargne, et n'as rien épargné!
Songe aux fleuves de sang où ton bras s'est baigné,
De combien ont rougi les champs de Macédoine,
Combien en a versé la défaite d'Antoine,
Combien celle de Sexte; et revois tout d'un temps
Pérouse au sien noyée et tous ses habitants.
Remets dans ton esprit, après tant de carnages,
De tes proscriptions les sanglantes images,
Où toi-même, des tiens devenu le bourreau,

Au sein de ton tuteur enfonças le couteau;
Et puis, ose accuser le destin d'injustice,
Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton supplice,
Et que, par ton exemple à ta perte guidés,
Ils violent les droits que tu n'as pas gardés.
Leur trahison est juste, et le ciel l'autorise.
Quitte la dignité comme tu l'as acquise.
Rends un sang infidèle à l'infidélité,
Et souffre des ingrats après l'avoir été.

Mais que mon jugement au besoin m'abandonne!
Quelle fureur, Cinna, m'accuse et te pardonne!
Toi, dont la trahison me force à retenir
Ce pouvoir souverain dont tu me veux punir,
Me traite en criminel, et fait seule mon crime,
Relève pour l'abattre un trône illégitime,
Et d'un zèle effronté couvrant son attentat,
S'oppose pour me perdre au bonheur de l'Etat!
Donc jusqu'à l'oublier je pourrais me contraindre!
Tu vivrais en repos, après m'avoir fait craindre!
Non, non, je me trahis moi-même d'y penser.
Qui pardonne aisément invite à l'offenser.
Punissons l'assassin, proscrivons les complices!..

Mais quoi! toujours du sang, et toujours des supplices! Ma cruauté se lasse et ne peut s'arrêter;

Je veux me faire craindre et ne fais qu'irriter.
Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile;
Une tête coupée en fait renaître mille;

Et le sang répandu de mille conjurés

Rend mes jours plus maudits et non plus assurés.
Octave, n'attends plus le coup d'un nouveau Brute,
Meurs, et dérobe-lui la gloire de ta chute;

Meurs, tu ferais pour vivre un lâche et vain effort,
Si tant de gens de cœur font des vœux pour ta mort,

Et si tout ce que Rome a d'illustre jeunesse
Pour te faire périr tour-à-tour s'intéresse;

Meurs, puisque c'est un mal que tu ne peux guérir;
Meurs enfin, puisqu'il faut ou tout perdre ou mourir.
La vie est peu de chose, et le peu qui t'en reste
Ne vaut pas l'acheter par un prix si funeste.
Meurs; mais quitte du moins la vie avec éclat,
Eteins-en le flambeau dans le sein de l'ingrat;
A toi-même, en mourant, immole ce perfide;
Contentant ses désirs, punis son parricide;
Fais un tourment pour lui de ton propre trépas,
En faisant qu'il le voie, et n'en jouisse pas.
Mais jouissons plutôt nous-même de sa peine;
Et si Rome nous hait, triomphons de sa haine.

O Romains! ô vengeance! ô pouvoir absolu!
O rigoureux combat d'un cœur irrésolu,
Qui fuit en même temps tout ce qu'il se propose!
D'un prince malheureux ordonnez quelque chose.
Qui des deux dois-je suivre et duquel m'éloigner?
Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner.

Le Prince et le rossignol;

Fable par Lachambeaudie.

Un prince dans un bois entend un rossignol:

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Chantre inspiré“, dit-il, „jusqu'à moi prends ton vol; Je veux payer tes chants d'un bonheur ineffable, D'un bonheur qu'envîront tous les oiseaux du ciel. Tu pourras, à ton gré, voltigeant sur ma table, Puiser dans le cristal l'ambroisie et le miel; Sur le mol édredon tu verras de doux songes; Dans une cage d'or on t'entendra chanter;

Enfin mille tableaux, délicieux mensonges,
Dans tes bosquets absents sauront te transporter."
-,,Laissez-moi," dit l'oiseau, le cristal des fontaines,
Et les buissons ardents dont je cueille les graines;
Laissez-moi des vallons l'écho mélodieux,

Mes palais de verdure et ma voûte des cieux.
J'ai parmi les roseaux bâti mon nid de mousse,
Hamac obéissant au zéphyr qui le pousse.
Je redoute bien plus l'atmosphère des cours,
Que l'orage, la foudre et l'ongle des vautours.
Sous le nom du bonheur vous m'offrez l'esclavage,
Et votre cage d'or est toujours une cage

Le vieux drapeau;

par J. P. de Béranger.

De mes vieux compagnons de gloire
Je viens de me voir entouré,
Nos souvenirs m'ont enivré,
Le vin m'a rendu la mémoire;
Fier de mes exploits et des leurs,
J'ai mon drapeau dans ma chaumière.
Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs?

Il est caché sous l'humble paille
Où je dors, pauvre et mutilé,
Lui qui, sûr de vaincre, a volé
Vingt ans de bataille en bataille!
Chargé de lauriers et de fleurs,
Il brilla sur l'Europe entière.

Mandrou, Album.

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A

+

Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs?

Ce drapeau payait à la France
Tout le sang qu'il nous a coûté;
Sur le sein de la Liberté
Nos fils jouaient avec sa lance.
Qu'il prouve encore aux oppresseurs
Combien la gloire est roturière.
Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs?

Son aigle est resté dans la poudre,
Fatigué de lointains exploits.
Rendons-lui le coq des Gaulois:
Il sut aussi lancer la foudre!
La France, oubliant ses douleurs,
La rebénira libre et fière.
Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs?

Las d'errer avec la victoire,
Des lois il deviendra l'appui;
Chaque soldat fut, grâce à lui,
Citoyen au bord de la Loire.
Seul il peut voiler nos malheurs;
Déployons-le sur la frontière.
Quand secouerai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs?

Mais il est là, près de mes armes,
Un instant osons l'entrevoir.

Viens, mon drapeau, viens, mon espoir!

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