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Sa patte entre mes mains, se repose et s'endort.
Mais après, s'attachant à mon sort misérable,
Ce lion me devint un ami secourable.
A la chasse toujours courant dès le matin,
Il venait avec moi partager son butin.
Enfin, las de traîner, sans autre compagnie,
Dans ces sombres déserts une fatale vie,
Je m'enfuis: insensé! je courus au trépas.
Dans ma fuite bientôt surpris par des soldats,
Mon maître me revoit, et sa prompte justice
D'un esclave échappé prononce le supplice.
Sans doute qu'en ce temps ce lion enchaîné
Comme moi pour ces jeux ici fut amené:
C'est ce même animal dont la reconnaissance
De mon service encor me rend la récompense;
C'est lui qui tout-à-coup sensible à mes bienfaits,
A perdu sa fureur en revoyant mes traits."
L'empereur admira cette amitié nouvelle:
L'esclave, avec sa grâce, eut ce lion fidèle,
Qui partout de son maître accompagnant les pas,
De ses chères forêts oublia les appas;

Et, le voyant passer, chacun disait dans Rome:
„Le voilà ce lion si favorable à l'homme!"

Le diamant;

par Emile Deschamps.

Un père avait trois fils; un jour, il les appelle:
J'ai fait de tous mes biens," dit-il, trois parts.
La mort

Peut venir; j'ai voulu tout régler avant elle,
Et chasser d'entre vous cet esprit de querelle

Qui divise les fils pour quelque pièces d'or.
Mais il me reste encore un bijou de famille
Qu'on ne peut partager... C'est un beau diamant!
Si le ciel m'eût donné le bonheur d'une fille,
Il eût dans son écrin brillé splendidement.
Dieu ne l'a point voulu, je ne suis pas rébelle;
Que son nom soit béni!... Mais ce trésor sera
A celui de vous trois qui me rapportera

De lui l'action la plus belle,

Dans un an, quand ce jour solennel reviendra.“

A l'époque marquée, au foyer du vieux père
-Tous trois étaient assis;

Dans leurs yeux on lisait ce mot touchant: „J'espère !"
Ils commencèrent leurs récits:

Le premier dit: „Un riche étranger, en chemin,
Me remit un sac d'or, sans reçu de ma main.
Il mourut. Je pouvais, faute d'aucune preuve,
Garder tout. J'ai rendu le sac d'or à la veuve."

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Le père répondit: „Faisant cela, tu fis

Une bonne action; mais ce n'était, mon fils,
Qu'un devoir rigoureux de rendre cette somme;
Garder le bien d'un autre est d'un malhonnête homme."

„Un jour," dit le second, "que je passais devant
Un très grand lac, je vis s'y noyer un enfant;
Je m'élançai, plus prompt que la foudre qui tombe,
Et je le retirai sain et sauf de sa tombe."

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,Ton action, mon fils, est fort louable aussi,“

Dit le père, c'est vrai; mais tu n'as fait ainsi

Que suivre la leçon du Maître à ses apôtres: -Secourez-vous, en tous périls, les uns les autres.“

Le dernier dit: „Un soir, je vis mon ennemi
Au bord d'un précipice, et tout seul endormi.
Au moindre mouvement il roulait dans l'abîme;
Je le sauvai, dussé-je être un jour sa victime."

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Mon cher fils", s'écria le père, embrasse-moi, Et donne-moi ta main, car la bague est à toi. Servir vos ennemis est la vertu suprême: C'est le bien pour le mal, c'est imiter Dieu même!"

Le jardinier, l'enfant et le sauvageon;
Fable par A. Naudet.

Rien étourdi, comme c'est l'ordinaire,
Un jeune enfant du verger de son père
Interrogeait le jardinier.

„Bon Pierre, que t'a fait ce malheureux pommier Pour le maltraiter de la sorte?"

-„Je le greffe, monsieur, afin qu'il vous rapporte Des fruits plus savoureux, plus doux:

Ainsi l'a voulu la nature.

Les arbres sont tout comme nous:
Sans les soins et sans la culture,
On ne peut rien exiger d'eux.
Redresser les plus tortueux,

Les tailler, les greffer, (que monsieur me pardonne (L'avis qu'en passant je lui donne,)

Mandrou, Album.

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Des arbres d'un verger c'est l'éducation."

-La plaisante érudition!

A t'entendre, la Providence

Qui voulut nous donner des fruits pour nous nourrir,
Aurait besoin de toi pour les faire mûrir!
C'est douter de sa prévoyance,

Et tu parles bien là comme tous les pédants.
Crois-moi, votre ennuyeuse engeance
Fatigue enfin de sa science,

--

Toi, les pommiers, eux, les enfants."
"Bravo! mon beau monsieur! Quel morceau d'élo-
quence!

C'est parler comme un Cicéron!
Goûtez, pour votre récompense,
Quelques fruits de ce sauvageon

Dont votre jeune ardeur prend si bien la défense."
A sa bouche Alfred enchanté
Avec empressement porte le fruit sauvage,
Dont l'amertume et l'âcreté

Donnent à ce jeune éventé
Une leçon de jardinage.

De récolter quand viendra la saison,
Alfred s'en souviendra: les défauts de l'enfance,
L'entêtement, l'orgueil et l'ignorance
Sont les fruits de mon sauvageon.

Les captifs de Babylone;

par Lefranc de Pompignan.

Captifs chez un peuple inhumain,

Nous arrosions de pleurs les rives étrangères;

Et le souvenir du Jourdain,

A l'aspect de l'Euphrate, augmentait nos misères.

Aux arbres qui couvraient les eaux Nos lyres tristement demeuraient suspendues, Tandis que nos maîtres nouveaux Fatiguaient de leurs cris nos tribus éperdues.

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Chantez", nous disaient ces tyrans,

"Les hymnes préparés pour vos fêtes publiques; Chantez, et que vos conquérants Admirent de Sion les sublimes cantiques!"

Ah! dans ces climats odieux,

Arbitre des humains, peut-on chanter ta gloire?
Peut-on, dans ces funestes lieux,
Des beaux jours de Sion célébrer la mémoire?

De nos aïeux sacré berceau,
Sainte Jérusalem, si jamais je t'oublie,
Si tu n'es pas jusqu'au tombeau,

L'objet de mes désirs et l'espoir de ma vie,

Rébelle aux efforts de mes doigts,

Que ma lyre se taise entre mes mains glacées, Et que l'organe de ma voix

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Ne prête plus de sons à mes tristes pensées.

Rappelle-toi ce jour affreux,

Seigneur, où d'Esau la race criminelle

Contre ses frères malheureux

Animait du vainqueur la vengeance cruelle.

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