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Me traitez vous avec tant de rigueur?
Pour mon bien vous montrez du zèle;

Je suis l'objet de vos sueurs;

Vous m'aimez; cependant vous m'arrachez des pleurs! L'amour est-il donc si sévère?"

,,Que vous pénétrez peu dans mon intention!"" Lui répondit alors le prudent vigneron. „Vous croyez que ces coups partent de ma colère! Ah! connaissez mieux mon dessein:

Dans le mal que j'ai pu vous faire,
Votre intérêt a seul conduit ma main.
Si je ne coupais pas tout ce bois inutile,
Vous finiriez par devenir stérile;

Au lieu qu'en vous faisant répandre quelques pleurs,
Je vous rends beaucoup plus fertile,
Et sur vous de Bacchus j'attire les faveurs."
C'est à vous, jeunes gens, que ma fable s'adresse.
Connaissez, à ces traits, l'amour et la sagesse
De ceux qui veillent sur vos mœurs.
S'ils vous font quelquefois éprouver leurs rigueurs,
Ce n'est pas que pour vous ils manquent de tendresse;
Ils cherchent seulement à vous rendre meilleurs.

L'Ange et l'Enfant;

par J. Reboul.

Un ange au radieux visage,
Penché sur le bord d'un berceau,
Semblait contempler son image,
Comme dans l'onde d'un ruisseau.

"

Charmant enfant! Qu'il me ressemble!" Disait-il. Oh! viens avec moi;

Viens, nous serons toujours ensemble;
La terre est indigne de toi!"

„Là, jamais entière allégresse;
L'âme y souffre de ses plaisirs;
Les cris de joie ont leur tristesse,
Et les voluptés leurs soupirs."

,,La crainte est de toutes les fêtes;
Jamais un jour calme et serein]
Du choc ténébreux des tempêtes
N'a garanti le lendemain."

„Eh quoi! le chagrin, les alarmes Viendraient troubler ce front si pur, Et par l'amertume des larmes

Se terniraient ces yeux d'azur!

Non, non: dans les champs de l'espace Avec moi tu vas t'envoler;

La Providence te fait grâce

Des jours que tu devais couler."

"Que personne dans ta demeure
N'obscurcisse ses vêtements;
Qu'on accueille ta dernière heure,
Ainsi que tes premiers moments."

Que les fronts y soient sans nuage, Que rien n'y révèle un tombeau:

Quand on est pur comme à ton âge,
Le dernier jour est le plus beau!“

Et secouant ses blanches ailes,
L'ange, à ces mots, prit son essor
Vers les demeures éternelles ..
Pauvre mère! ton fils est mort!

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Les Mites;

Fable par Aubert.

Sur un fromage de Hollande
Des mites voyageaient, trottaient, s'émancipaient.
Autour d'une table assez grande,

A Pomone, à Bacchus des gens sacrifiaient,
Non sans bruit: de Bacchus le culte ainsi l'ordonne.
Mites de disputer. L'une disait: „il tonne.“
,,Non," disait l'autre, c'est le vent."

Le fromage entamé, la gent mite s'étonne
Que le globe ait changé de face en un instant.
Maint rocher écrase en tombant

Maint philosophe qui raisonne
Sur ce fatal événement,

Ou maint esprit fort qui prétend

Que ce bruit ne tuera personne.

Un jour se passe; un jour, c'était comme cent ans.
Dames mites disaient à leurs petits enfants:
„Il fut un temps que la terre était ronde;
Mais je ne sais par quel destin

De forme un jour elle changea soudain.

Plus d'un peuple y périt. Hors des bornes du monde, Un être tout puissant dispose de nos jours."

Les enfants prenaient ce discours
Pour un conte de vieille, enfanté par la crainte.
Le fromage reçoit une nouvelle atteinte;
Autre brèche fatale à nombre d'habitants.
Ceux-ci morts, la race suivante

Traitant de radoteurs ses pères, ses savants,
De ces tristes événements

Trouva l'histoire extravagante.
Il se pouvait que le hasard,

Que le temps eût du globe altéré la figure;
Mais vouloir qu'à cette aventure

Je ne sais quel pouvoir eût eu la moindre part,
C'était sottise toute pure.

Du fromage il restait à peine un demi-quart.
L'insecte né ce soir n'en croit pas davantage
A ce pouvoir suprême, à cet être inconnu
Par ses aïeux tant rebattu;

Sur le dernier morceau, pour terminer l'histoire,
Ce dernier mourut sans y croire.

Incrédules mortels, ceci s'adresse à vous!
Race ingrate, parlez: sera-ce quand la foudre
Aura réduit ce globe en poudre,

Que d'un être vengeur vous craindrez le courroux?

Songe d'Athalie;

par J. Racine.

,,Prêtez-moi l'un et l'autre une oreille attentive!
Je ne veux point ici rappeler le passé,

Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé:
Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire.

Je ne prends point pour juge un peuple téméraire:
Quoi que son insolence ait osé publier,

Le ciel même a pris soin de me justifier.
Sur d'éclatants succès ma puissance établie
A fait jusqu'aux deux mers respecter Athalie;
Par moi Jérusalem goûte un calme profond;
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond,
Ni l'altier Philistin, par d'éternels, ravages,
Comme au temps de vos rois, désoler ses rivages;
Le Syrien me traite et de reine et de sœur;
Enfin de ma maison le perfide oppresseur,
Qui devait jusqu'à moi pousser sa barbarie,
Jéhu, le fier Jéhu tremble dans Samarie;
De toutes parts pressé par un puissant voisin,
Que j'ai su soulever contre cet assassin,

Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse.
Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse;
Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours,
De mes prospérité interrompre le cours.

Un songe (me devrais-je inquiéter d'un songe?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge:
Je l'évite partout, partout il me poursuit!

C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit; Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée, Comme au jour de sa mort pompeusement parée; Les malheurs n'avaient point abattu sa fierté; Même elle avait encor cet éclat emprunté

Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, Pour réparer des ans l'irréparable outrage. „Tremble," m'a-t-elle dit, fille digne de moi;

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Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille." En achevant ces mots épouvantables,

Mandrou, Album.

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