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C'est à toi d'essuyer mes larmes.
D'un guerrier qui verse des pleurs
Le ciel entendra la prière.
Oui, je secouerai la poussière
Qui ternit tes nobles couleurs.

La frégate la Sérieuse;
par Alfred de Vigny.

I.

Qu'elle était belle, ma frégate,
Lorsqu'elle voguait dans le vent!
Elle avait, au soleil levant,
Toutes les couleurs de l'agate;
Ses voiles luisaient le matin
Comme des ballons de satin;
Sa quille mince, longue et plate,
Portait deux bandes d'écarlate
Sur vingt-quatre canons cachés;
Ses mâts, en arrière penchés,
Paraissaient à demi couchés.
Dix fois plus vive qu'un pirate,
En cent jours du Hâvre à Surate
Elle nous emporta souvent
Qu'elle était belle, ma frégate,
Lorsqu'elle voguait dans le vent!

II. Le combat.

Ainsi près d'Aboukir reposait ma frégate;
A l'ancre dans la rade, en avant des vaisseaux,
On voyait de bien loin son corset d'écarlate

Se mirer dans les eaux.

Ses canots l'entouraient, à leur place assignée;
Pas une toile ouverte, on était sans dangers;
Ses cordages semblaient des filets d'araignée,
Tant ils étaient légers!

Nous étions tous marins. Plus de soldats timides
Qui chancellent à bord ainsi que des enfants;
Ils marchaient sur leur sol! prenant les Pyramides,
Montant des éléphants!

Il faisait beau. La mer, de sable environnée,
Brillait comme un bassin d'argent entouré d'or;
Un vaste soleil rouge annonça la journée
Du quinze Thermidor.

La Sérieuse alors s'ébranla sur sa quille:
Quand venait un combat, c'était toujours ainsi;
Je le reconnus bien, et je lui dis: Ma fille,
Je te comprends, merci!

J'avais une lunette exercée aux étoiles;
Je la pris, et la tins ferme sur l'horizon
Une, deux, trois - je vis treize, quatorze voiles:
Enfin, c'était Nelson.

Il courait contre nous en avant de la brise;
La Sérieuse à l'ancre, immobile s'offrant,
Reçut le rude abord sans en être surprise,
Comme un roc un torrent.

Tous passèrent près d'elle en lâchant leur bordée; Fière, elle répondit aussi quatorze fois,

Et par tous les vaisseaux elle fut débordée;
Mais il en resta trois.

Trois vaisseaux de haut bord-combattre une frégate!
Est-ce l'art d'un marin? le trait d'un amiral?
Un écumeur de mer, un forban, un pirate, .
N'eût pas agi si mal!

N'importe! elle bondit dans son repos troublée;
Elle tourna trois fois, jetant vingt-quatre éclairs,
Et rendit tous les coups dont ellé était criblée,
Feux pour feux, fers pour fers.

Ses boulets enchaînés fauchaient des mâts énormes, Faisaient voler le sang, la poudre et le goudron, S'enfonçaient dans le bois, comme au cœur des grands

ormes

Le coin du bûcheron.

Un brouillard de fumée où la flamme étincelle
L'entourait; mais, le corps brûlé, noir, écharpé,
Elle tournait, roulait, et se tordait sous elle,
Comme un serpent coupé.

Le soleil s'éclipsa dans l'air plein de bitume;
Ce jour entier passa dans le feu, dans le bruit;
Et lorsque la nuit vint, sous cette ardente brume
On ne vit pas la nuit.

Nous étions enfermés comme dans un orage;
Des deux flottes au loin le canon s'y mêlait;
On tirait en aveugle à travers le nuage,

Toute la mer brûlait.

Mais quand le jour revint, chacun connut son œuvre;
Les trois vaisseaux flottaient démâtés, et si las
Qu'ils n'avaient plus de force assez pour la manœuvre:
Mais la frégate, hélas!

Elle ne voulait plus obéir à son maître;
Mutilée, impuissante, elle allait au hasard;
Sans gouvernail, sans mâts, on n'eût pu reconnaître
La merveille de l'Art!

Engloutie à demi, son large pont à peine,
S'affaissant par degrés, se montrait sur les flots;
Et là ne restaient plus, avec moi capitaine,
Que douze matelots.

Je les fis mettre en mer à bord d'une chaloupe,
Hors de notre eau tournante et de son tourbillon;
Et je revins tout seul me coucher sur la poupe,
Au pied du pavillon.

J'aperçus des Anglais les figures livides,
Faisant pour s'approcher un inutile effort,
Sur leurs vaisseaux flottant comme des tonneaux vides,
Vaincus par notre mort.

La Sérieuse alors semblait à l'agonie;
L'eau dans ses cavités bouillonnait sourdement;
Elle, comme voyant sa carrière finie,

Gémit profondément.

Je me sentis pleurer, et ce fut un prodige,
Un mouvement honteux; mais bientôt l'étouffant:

Nous nous sommes conduits comme il fallait, lui dis-je; Adieu donc, mon enfant.

Elle plongea d'abord sa poupe, et puis sa proue,
Mon pavillon noyé se montrait en dessous;
Puis elle s'enfonça tournant comme une roue,
Et la mer vint sur nous.

III.

Hélas! deux mousses d'Angleterre
Me sauvèrent alors, dit-on,

Et me voici sur un ponton
J'aimerais presque autant la terre!
Cependant je respire ici

L'odeur de la vague et des brises.
Vous êtes marins, Dieu merci!
Nous causons de combats, de prises;
Nous fumons, et nous prenons l'air
Qui vient aux sabords de la mer.
Votre voix m'anime et me flatte;
Aussi je vous dirai souvent:
Qu'elle était belle, ma frégate,
Lorsqu'elle voguait dans le vent!

Le loup et le hérisson;

Fable par Lamotte.

Les animaux, entr'eux las d'exercer la guerre,
Mirent enfin un terme à leurs sanglants débats;
La paix étant conclue, on s'embrasse, on se serre,
Et le calme renaît au sein de leurs états.
Un loup, secret moteur des premières querelles,

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