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DES LETTRES

DE M. DE VOLTAIRE.

LETTRE PREMIERE.

1

J'AI

A MADAME

LA MARQUISE DE MIMEURE.

AI vu, Madame, votre petite chienne, votre
petit chat, et mademoiselle Aubert. Tout cela fe 1715.
porte bien, à la réserve de mademoiselle Aubert qui
a été malade, et qui, fi elle n'y prend garde, n'aura
point de gorge pour Fontainebleau. A mon gré,
c'eft la feule chofe qui lui manquera, et je voudrais
de tout mon cœur que fa gorge fût auffi belle et
auffi pleine que fa voix.

Puifque j'ai commencé par vous parler de comé-
diennes, je vous dirai que la Duclos ne joue prefque
point, et qu'elle prend tous les matins quelques
prises de féné et de caffe, et le foir plufieurs prifes
du comte d'Uzès. N*** adore toujours la dégoû-
tante Lavoye; et le maigre N*** a befoin de recou-
rir aux femmes, car les hommes l'ont abandonné,

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Au refte, on ne nous donne plus que de très-mau1715. vaifes pièces jouées par de très-mauvais acteurs. En récompenfe, mademoiselle de Montbrun récite trèsjoliment des pièces comiques. Je l'ai entendue déclamer des rôles du Mifanthrope avec beaucoup d'art et beaucoup de naturel. Je ne yous dis rien de l'Important (1), car je vous écris avant la repréfentation, et je veux me réserver une occafion de vous écrire une feconde fois.

On joue à l'opéra Zéphire et Flore (2). On imprime l'Anti-Homère de Terraffon, et les vers héroïques, moraux, chrétiens et galans de l'abbé du Jari. Jugez, Madame, fi on peut en confcience m'interdire la fatire; permettez-moi donc d'être un peu malin.

J'ai pourtant une plus grande grâce à vous demander. C'eft la permiffion d'aller rendre mes devoirs à M. de Mimeure et à vous, dans l'un de vos châteaux où peut-être vous ennuyez-vous quelquefois. Je fais bien que je perdrais auprès de vous tout le fiel dont je me nourris à Paris; mais afin de ne me pas gâter tout-à-fait, je ne refterais que huit ou dix jours avec vous. Je vous apporterais ce que j'ai fait d'Oedipe. Je vous demanderais vos confeils fur ce qui eft déjà fait, et fur ce qui n'eft pas travaillé; et j'aurais à M. de Mimeure et à vous, l'obligation de faire une bonne pièce,

(1) On ne connaît qu'une comédie de ce nom, par Brueys, jouée pour la première fois, en 1693.

(2) Tragédie-opéra de Duboulay, mufique des fils de Lulli, repréfentée en 1688, et reprise en 1715.

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Je n'ofe pas vous parler des occupations auxquelles vous avez dit que vous vous deftiniez pendant 1715.

votre folitude. Je me flatte pourtant que vous

voudrez bien m'en faire la confidence toute entière ;

Car nous favons que Vénus et Minerve

De leurs tréfors vous comblent fans réserve.

Les Grâces même et la troupe des Ris,
Quoiqu'ils foient tous citoyens de Paris,

Et qu'en ces lieux ils se plaisent à vivre,
Jufqu'en province ont bien voulu vous fuivre.

Ayez donc la bonté de m'envoyer, Madame, fignée de votre main, la permiffion de venir vous. voir. Je n'écris point à M. de Mimeure, parce que je compte que c'eft lui écrire en vous écrivant. Permettez-moi feulement, Madame, de l'affurer de mon refpect et de l'envie extrême que j'ai de le voir.

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