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au fecond jour de l'éruption, et dont les fuites 1724. n'avaient été prévenues que par deux faignées trop légères, fans aucun purgatif.

Il vint cependant, et me trouva avec une fièvre maligne. Il eut d'abord une fort mauvaise opinion de ma maladie les domeftiques qui étaient auprès de moi s'en aperçurent, et ne me la laissèrent pas ignorer. On m'annonça dans le même temps que le curé de Maisons, qui s'intéreffait à ma fanté, et qui ne craignait point la petite vérole, demandait s'il pouvait me voir fans m'incommoder : je le fis entrer auffitôt, je me confeffai et je fis mon teftament, qui, comme vous croyez bien, ne fut pas long. Après cela j'attendis la mort avec affez de tranquillité, non toutefois fans regretter de n'avoir pas mis la dernière main à mon poëme et à Mariamne, ni fans être un peu fâché de quitter mes amis de fi bonne heure. Cependant M. de Gervafi ne m'abandonnait pas d'un moment; il étudiait en moi avec attention tous les mouvemens de la nature; il ne me donnait rien à prendre fans m'en dire la raifon; il me laiffait entrevoir le danger, et il me montrait clairement le remède; ses raisonnemens portaient la conviction et la confiance dans mon efprit: méthode bien néceffaire à un médecin auprès de fon malade, puifque l'efpérance de guérir eft déjà la moitié de la guérison. Il fut obligé de me faire prendre huit fois l'émétique, et au lieu des cordiaux qu'on donne ordinairement dans cette maladie, il me fit boire deux cents pintes de limonade. Cette conduite, qui vous femblera extraordinaire, était la seule qui pouvait me fauver la vie; toute autre route me conduisait à une mort

infaillible, et je fuis perfuadé que la plupart de ceux qui font morts de cette redoutable maladie, vivraient 1724. encore, s'ils avaient été traités comme moi.

Le préjugé populaire abhorre dans la petite vėrole la faignée et les médecines; on ne veut que des cordiaux, on donne du vin au malade, on lui fait même manger des petites foupes, et l'erreur triomphe de ce que plusieurs personnes guérissent avec ce régime. On ne fonge pas que les feules petites véroles que l'on traite ainfi avec succès, font celles qu'aucun accident funefte n'accompagne, et qui ne font nullement dangereufes.

La petite vérole par elle-même, dépouillée de toute circonftance étrangère, n'eft qu'une dépuration du fang, favorable à la nature, et qui, en nettoyant le corps de ce qu'il a d'impur, lui prépare une fanté vigoureufe. Qu'une telle petite vérole foit traitée ou non avec des cordiaux, qu'on purge ou qu'on ne purge point, on en guérit furement.

Les plus grandes plaies, quand aucune partie effentielle n'eft offensée, se referment aisément, foit qu'on les fuce, foit qu'on les fomente avec du vin et de l'huile, foit qu'on fe ferve de l'eau de Rabel, soit qu'on y applique des emplâtres ordinaires, soit enfin qu'on n'y mette rien du tout; mais lorsque les refforts de la vie font attaqués, alors le fecours de toutes ces petites recettes devient inutile, et tout l'art des plus habiles chirurgiens fuffit à peine : il en eft de même de la petite vérole.

Lorsqu'elle eft accompagnée d'une fièvre maligne, lorsque le volume du fang augmenté dans les vaifseaux eft fur le point de les rompre, que le dépôt est

prêt à fe former dans le cerveau, et que le corps eft 1724. rempli de bile et de matières étrangères, dont la fermentation excite dans la machine des ravages mortels, alors la feule raison doit apprendre que la faignée eft indifpenfable: elle épurera le fang, elle détendra les vaiffeaux, rendra le jeu des refforts plus fouple et plus facile, débarraffera les glandes de la peau, et favorifera l'éruption; enfuite les médecines, par de grandes évacuations, emporteront la fource du mal, et entraînant avec elles une partie du levain de la petite vérole, laifferont au refte la liberté d'un développement plus complet, et empêcheront la petite vérole d'être confluente; enfin, on voit que le firop de limon, dans une tifane rafraîchiffante, adoucit l'acrimonie du fang, en apaise l'ardeur, coule avec lui par les glandes miliaires jusque dans les boutons, s'oppose à la corrosion du levain, et prévient même l'impreffion, que, d'ordinaire, les puftules font fur le vifage.

Il y a un feul cas où les cordiaux, même les plus puiffans, font indispensablement néceffaires; c'est lorfqu'un fang paresseux, ralenti encore par le levain qui embarrasse toutes les fibres, n'a pas la force de pouffer au dehors le poison dont il est chargé. Alors, la poudre de la comteffe de Kent, le baume de Vanfeger, le remède de M. Agnan, &c. brifant les parties de ce fang prefque figé, le font couler plus rapidement, en féparant la matière étrangère, et ouvrent les paffages de la tranfpiration au venin qui cherche à s'échapper.

Mais dans l'état où j'étais, ces cordiaux m'eussent été mortels; cela fait voir démonftrativement que

tous ces charlatans, dont Paris abonde, et qui donnent

le même remède (je ne dis pas pour toutes les mala- 1724. dies, mais toujours pour la même), font des empoifonneurs qu'il faudrait punir.

J'entends faire toujours un raifonnement bien faux et bien funefte. Cet homme, dit-on, a guéri par une telle voie ; j'ai la même maladie que lui, donc il faut que je prenne le même remède. Combien de gens. font morts pour avoir raisonné ainfi. On ne veut pas voir que les maux qui nous affligent font auffi différens que les traits de nos vifages, et comme dit le grand Corneille, car vous me permettrez de citer les poëtes,

Que fouvent l'un fe perd où l'autre s'eft fauvé,
Et par où l'un périt un autre est conservé.

Mais c'eft trop faire le médecin : je reffemble aux gens qui, ayant gagné un procès confidérable par le fecours d'un habile avocat, confervent encore pour quelque temps le langage du barreau.

Cependant, Monfieur, ce qui me confolait le plus dans ma maladie, c'était l'intérêt que vous y preniez, c'était l'attention de mes amis, et les bontés inexprimables dont madame et M. de Maifons m'honoraient. Je jouiffais d'ailleurs de la douceur d'avoir auprès de moi un ami, je veux dire un homme qu'il faut compter parmi le très-petit nombre d'hommes vertueux qui seuls connaiffent l'amitié dont le refte du monde ne connaît que le nom; c'eft M. Thiriot, qui fur le bruit de ma maladie, était venu en pofte de quarante lieues pour me garder, et qui depuis ne m'a

pas quitté un moment. J'étais le 15 abfolument hors 1724. de danger, et je fefais des vers le 16, malgré la faibleffe extrême qui me dure encore, caufée par le mal et par les remèdes.

J'attendais avec impatience le moment où je pourrais me dérober aux foins qu'on avait de moi à Maisons, et finir l'embarras que j'y causais; plus on avait pour moi de bontés, plus je me hâtais de n'en pas abuser plus long-temps; enfin, je fus en état d'être tranfporté à Paris le premier décembre. Veici, Monfieur, un moment bien funefte. A peine fuis-je à deux cents pas du château, qu'une partie du plan-. cher de la chambre où j'avais été, tombe toute enflammée. Les chambres voifines, les appartemens qui étaient au-deffous, les meubles précieux dont ils étaient ornés, tout fut confumé par le feu: la perte monte à près de cent mille livres; et fans le fecours des pompes qu'on envoya chercher à Paris, un des plus beaux édifices du royaume allait être entièrement détruit. On me cacha cette étrange nouvelle à mon arrivée: je la fus à mon réveil; vous n'imaginerez point quel fut mon défespoir; vous favez les foins généreux que M. de Maifons avait pris de moi; j'avais été traité chez lui comme fon frère, et le prix de tant de bontés était l'incendie de fon château. Je ne pouvais concevoir comment le feu avait pu prendre si brufquement dans ma chambre, où je n'avais laiffé qu'un tifon prefque éteint; j'appris que la caufe de cet embrasement était une poutre qui paffait précifément fous la cheminée. C'eft un défaut dont on s'eft corrigé dans la ftructure des bâtimens d'aujourd'hui ; et même les fréquens embrafemens qui en arrivaient,

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