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vie entre le travail et le plaifir, et je vis ainfi à la hollandaise et à la française. Nous avons ici un opéra 1722. détestable; mais en revanche je vois des miniftres calviniftes, des arméniens, des fociniens, des rabbins, des anabaptiftes, qui parlent tous à merveille, et qui en vérité ont tous raifon. Je m'accoutume tout-à-fait à me paffer de Paris, mais non pas à me paffer de vous. Je vous réitère encore mon engagement de venir vous trouver à la Rivière, fi vous y êtes encore au mois de novembre. N'y reftez pas pour moi, mais fouffrez feulement que je vous y tienne compagnie, fi votre goût vous fixe à la campagne pour quelque temps. Permettez-moi de préfenter mes refpects à M. de Bernières et à tout ce qui est chez vous.

Je fuis toujours avec un dévouement très-refpectueux, &c.

1723.

LETTRE XII.

A MADAME

LA PRESIDENTE DE BERNIERES.

28 novembre.

JE

E vous écris d'une main lépreuse auffi hardiment que fi j'avais votre peau douce et unie; votre lettre et celle de notre ami m'ont donné du courage; puifque vous voulez bien fupporter ma gale, je la fupporterai bien auffi. Je voudrais bien n'avoir à exercer ma conftance que contre cette maladie; mais je fuis, au fumier près, dans l'état où était le bon homme Job; fefant tout ce que je peux pour être auffi patient que lui, et n'en pouvant venir à bout. Je crois que le pauvre diable aurait perdu patience comme moi, fi la préfidente de Bernières de ce temps-là avait été jufqu'au 28 novembre fans le venir voir.

On a préparé aujourd'hui votre appartement, venez donc l'occuper au plutôt mais fi vos arrêts font irrévocables, et qu'on ne puiffe pas vous faire revenir un jour plutôt que vous l'avez décidé, du moins accordez-moi une autre grâce que je vous demande avec la dernière inftance. Je me trouve, je ne fais comment, chargé de trois domeftiques que je n'ai pas le pouvoir de garder, et que je n'ai pas la force de renvoyer. L'un de ces trois meffieurs eft ce pauvre la Brie que vous avez vu anciennement à moi.

Il eft trop vieux pour être laquais, incapable d'être valet de chambre, et fort propre à être portier.

Vous avez un fuiffe qui ne s'est pas attaché à votre fervice pour vous plaire, mais pour vendre à votre porte de mauvais vin à tous les porteurs d'eau qui viennent ici tous les jours faire de votre maison un méchant cabaret; fi l'envie d'avoir à votre porte un animal avec un baudrier, que vous payez chèrement toute l'année, pour vous mal servir pendant trois mois, et pour vendre de mauvais vin pendant douze; fi, dis-je, l'envie d'avoir votre porte décorée de cet ornement ne vous tient pas fort au cœur, je vous demande en grâce de donner la charge de portier à mon pauvre la Brie. Vous m'obligerez fenfiblement; j'ai presque autant d'envie de le voir à votre porte que de vous voir arriver dans votre maison; cela fera fon petit établiffement; il vous coûtera bien moins qu'un fuiffe, et vous fervira beaucoup mieux. Si avec cela le plaifir de m'obliger peut entrer pour quelque chofe dans les arrangemens de votre maifon, je me flatte que vous ne refuferez pas cette grâce que je vous demande avec inftance. J'attends votre réponse pour réformer mon petit domeftique. La poste va partir ; je n'ai ni le temps ni la force d'écrire davantage. Thiriot n'aura pas de lettre de moi cette fois-ci; mais il fait bien que mon cœur n'en eft pas moins à lui.

1723.

1723.

LETTRE XIII.

MADAME

LA PRESIDENTE DE BERNIERES.

JE

20 décembre.

E reçus votre dernière lettre hier 19, et je me hâte de vous répondre, ne trouvant point de plus grand plaifir que de vous parler des obligations que je vous ai. Vous qui n'avez point d'enfans, vous ne favez pas ce que c'eft que la tendreffe paternelle, et vous n'imaginez point quel effet font fur moi les bontés que vous avez pour mon petit Henri. Cependant l'amour que j'ai pour lui ne m'aveugle pas au point de prétendre qu'il vienne à Paris dans un char traîné par fix chevaux; un ou deux bidets, avec des bâts et des paniers, fuffisent pour mon fils; mais apparemment que votre fourgon vous apporte des meubles, et que Henri fera confondu dans votre équipage. En ce cas, je confens qu'il profite de cette voiture; mais je ne veux point du tout qu'on faffe ces frais uniquement pour ce marmoufet. Je vous recommande inftamment de le faire partir avec plus de modeftie et moins de dépense; Martel eft furtout inutile pour conduire ce petit garçon. Je vous ai déjà mandé que vous euffiez la bonté d'empêcher qu'on ne lui fît ses deux mille habits; ainfi il fera prêt à partir avec vous, et il pourra vous fuivre dans votre marche avec deux

chevaux de bât, qui marcheront derrière votre carroffe,

et qui vous quitteront à Boulogne, où il faudra que 1723. mon bâtard s'arrête.

Le jour de votre départ s'avance, et je crois que vous ne le reculerez pas. Je n'aurai jamais en ma vie de fi bonnes étrennes que celles que me prépare votre arrivée pour le jour de l'an.

LETTRE XIV.

A M. LE BARON DE BRETEUIL.

JE

Janvier.

E vais vous obéir, Monsieur, en vous rendant un compte fidelle de la petite vérole dont je fors, de la 1724. manière étonnante dont j'ai été traité, et enfin de l'accident de Maisons, qui m'empêchera long-temps de regarder mon retour à la vie comme un bonheur.

M. le président de Maifons et moi, nous fûmes indisposés le 4 novembre dernier; mais heureusement tout le danger tomba fur moi. Nous nous fîmes faigner le même jour; il s'en porta bien, et j'eus la petite vérole. Cette maladie parut après deux jours de fièvre, et s'annonça par une légère éruption. Je me fis faigner une feconde fois de mon autorité, malgré le préjugé vulgaire. M. de Maifons eut la bonté de m'envoyer le lendemain M. de Gervafi, médecin de M. le cardinal de Rohan, qui ne vint qu'avec répugnance. Il craignait de s'engager inutilement à traiter dans un corps délicat et faible, une petite vérole déjà parvenue

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