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cérémonie patriotique; il faut que de Liste puise dans ces dernières gouttes un de ces hymnes qui porte dans l'âme du peuple l'ivresse d'où il a jailli. Les jeunes filles applaudirent, apportèrent le vin, remplirent le verre de leur vieux père et du jeune officier, jusqu'à ce que la liqueur fût épuisée. Il était minuit. La nuit était froide. De Lisle était rêveur; son cœur était ému, sa tête échauffée. Le froid le saisit, il rentra chancelant dans sa chambre solitaire, chercha lentement l'inspiration, tantôt dans les palpitations de son âme de citoyen, tantôt sur le clavier de son instrument d'artiste, composant tantôt l'air avant les paroles, tantôt les paroles avant l'air, et les associant tellement dans sa pensée, qu'il ne pouvait savoir lui-même lequel de la note ou du vers était né le premier, et qu'il était impossible de séparer la poésie de la musique, et le sentiment de l'expression. Il chantait tout et n'écrivait rien.

Accablé de cette inspiration sublime, il s'endormit la tête sur son instrument et ne se réveilla qu'au jour. Les chants de la nuit lui remontèrent avec peine dans la memoire, comme les impressions d'un rêve. Il les écrivit, les nota et courut chez Dietrich. Il le trouva dans son jardin, bêchant de ses propres mains des laitues d'hiver. La femme et les filles du vieux patriote n'étaient pas encore levées. Dietrich les éveilla, il appela quelques amis, tous passionnés comme lui pour la musique et capables d'exécuter la composition de de Lisle. La fille ainée de Dietrich accompa guait. Rouget chanta. A la première strophe les visages pálirent, à la seconde les larmes coulèrent, aux dernières le délire de l'enthousiasme éclata. La femme de Dietrich, ses filles, le père, le jeune officier se jeterent en pleurant dans les bras les uns des autres. L'hymne de la patrie était trouvé....

Le nouveau chant, exécuté quelques jours après à Strasbourg, vola de ville en ville sur tous les orchestres populaires. Marseille l'adopta pour être chanté au commencement et à la fin des séances de ses clubs. Les Marseillais le répandirent en France en le chantant sur leur route. De là lui vient le nom de Marseillaise '. »

Les fédérés marseillais étaient entrés à Paris au refrain de l'hymne nouveau; quelques jours après, la Marseillaise retentissait en notes formidables et victorieuses sous les voûtes du château des Tuileries. Renforcée du bataillon des Marseillais, l'insurrection avait, dans la soirée du 9 août 1792, dressé son plan d'attaque à minuit un coup de feu donna le signal; le tocsin repondit de tous les points, la générale résonna dans toutes les rues, et le 10 août, à six heures du matin, les colonnes des insurgés, descendant des faubourgs, se dirigeaient sur les Tuileries, avec des drapeaux qui portaient ces mots: « Loi martiale du peuple souverain contre la rébellion du pouvoir exécutif. »

Cinq heures plus tard, le château était forcé, l'insurrection victorieuse, la royauté prisonnière.

↑ Rouget de Lisle, mort le 30 juin 1856, à Choisy-le-Roi, dans le sein d'une famule honorable qui avait donné l'hospitalité a sa noble indigence, a compose plusieurs chants pair otiques, entre autres l'Hymne à l'Espérance et le Chant des ven jeances, dont on pourrait parler avec éloge s'il n'avait fait la Marseillaise Comme aussi l'on pourra t, si la Marseillaise n'existait pas, se rappeler qu'un autre Franc Comtois est l'auteur d'un chant patriotique resté dans la memoire de la France, et que I etranger a plus d'une fois entendu sur nos champs de bataille Cet auteur, c'est Adrien-Simon Boy de Champlitte, chirurgien en chef de larmee du Rhin, et mort en 1795 aux environs de Mavence; ce chant de liberté, c'est l'hymne Veillons au salut de l'empire, compose en 179

Des Tuileries, le peuple courut en armes à l'assemblée: il demanda d'une voix irritée la déchéance du roi, et l'assemblée dut courber la tête devant les vainqueurs; elle rendit le décret suivant: « Le peuple français est invité à former une convention nationale. Le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions, jusqu'à ce que l'assemblée nationale ait prononcé sur les mesures à adopter pour assurer la souveraineté du peuple et le règne de la liberté et de l'égalité. Le roi et sa famille seront logés au Luxembourg et mis sous la garde des citoyens et de la loi. Les ministres actuels sont destitués, et ceux qui les remplaceront seront nommés provisoirement par l'assemblée. Les décrets déjà rendus et qui n'ont pas été sanctionnés auront force de loi. L'assemblée se déclare en séance permanente. »

L'assemblée législative se bornait à demander la suspension du roi, et non sa déchéance: elle ne se sentit pas l'audace d'aller jusque-là; cette tâche était réservée à la Convention nationale, qui s'ouvrit le 21 septembre 1792.

était l'un des nobles qui avait, comme membre du parlement, protesté contre la double représentation. M. de Mesmay, ne se croyant pas en sûreté, quitta la province dans le courant de juillet; mais, avant son départ, il avait recommandé aux gens de son service d'ouvrir le château à une fête patriotique. Le 19 juillet, jour de dimanche, les paysans du voisinage s'y rendirent en grand nombre: ils s'étaient réunis dans un bosquet attenant au château, et là ils se livraient à la joie, lorsqu'on entendit tout à coup, entre onze heures et minuit, une épouvantable explosion; en même temps on vit tomber sur le sol des morts et des blessés. Un baril de poudre, qui venait de prendre feu, avait causé la catastrophe. Aussitôt les paysans se dispersent, exaspérés et menaçants: le mot de trahison retentit de village en village; on sonne le tocsin, on s'appelle à la vengeance, on revient autour du château, le fer et la flamme à la main; le nom de M. de Mesmay se croise dans les ténèbres, mêlé à des cris de malédiction et de mort. C'est une agitation terrible. La municipalité de Vesoul, croyant M. de Mesmay coupable, écrit à la municipalité de Lons-leSaulnier pour la prévenir qu'il s'est réfugié chez madame de Clermont sa bellemère, au château de Visargent; et, pendant que deux à trois cents hommes de la milice bourgeoise de Lons-le-Saulnier se dirigent sur Visargent, où ils ne devaient rien trouver, des cavaliers courent à bride abattue sur la route de Versailles.

Dans la séance du 25 juillet, M. Prunelle, député du bailliage de Vesoul, donne lecture à l'assemblée nationale constituante du procès-verbal dressé à l'occasion de la tragédie de Quincey: une fête populaire terminée dans le sang, des cadavres mutilés, des membres épars, des torches allumées que promènent des mains vengeresses, l'agitation furieuse qui remue le bailliage de Vesoul, voilà ce que le procès-verbal met sous les yeux de l'assemblée. Un frémissement d'horreur court sur tous les bancs, et l'assemblée, après en avoir délibéré, arrête que son président ira supplier le roi d'ordonner la recherche des auteurs ou complices de ce forfait.

Plus tard, l'innocence de M. de Mesmay fut reconnue; mais l'impression était produite. La nouvelle de la tragédie de Quincey s'était propagée rapidement; elle avait fait tressaillir la France entière, et les méfiances du peuple soupçonnèrent dans ce sanglant épisode le signal d'une Saint-Barthélemy de paysans. Alors on vit, en Bourgogne, en Alsace, en Normandie, dans le Languedoc, dans le Lyonnais, dans presque toutes les provinces, on vit les hommes de la campagne s'abandonner à Fimpulsion de leurs ressentiments et s'acharner à la destruction des forteresses féo-lales. En Franche-Comté, il en fut de même les paysans brûlèrent plusieurs chateaux aux environs de Lons-le-Saulnier et de Besançon; ils saccagèrent le chateau d'Avilley, sur le territoire de Rougemont; au château de Saint-Maurice, près de Pont-de-Roide, ils ne laissèrent que le rez-de-chaussée. Dans le bailliage d'Amont, théâtre principal de la catastrophe de Quincey, l'insurrection se montra plus formidable des bandes de paysans investirent et menacèrent les abbayes de Clairefontaine, de Lure et de Bithaine; ils mirent le feu au château de Montjustin, ils dévastèrent le château de Molans, ils détruisirent de fond en comble le château de Vauvillers. Mais, en Franche-Comté comme dans les autres provinces, la colère des populations rurales ne se déploya qu'à de rares exceptions contre les personnes;

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