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ment de Picardie, il le chargeait d'une manière si vigoureuse, qu'il l'obligeait de reculer en désordre; il repoussait en outre un escadron accouru pour soutenir le régiment ébranlé, et ne se retirait qu'à l'arrivée de deux nouveaux escadrons, qui rendaient la partie par trop inégale. Le capitaine de Grammont, effectuant alors sa retraite en bon ordre, rentra dans la place avec presque tous ses gens : les Français avaient perdu beaucoup des leurs. Le lendemain de cette sortie, et dès les sept heures du matin, la grosse batterie du tertre faisait feu de toutes ses pièces; mais elle tirait à peu près sans succès, tandis que les coulevrines doloises, pointées sur les hauts bastions, découvraient de là les tranchées ennemies, les ruinaient, tuaient des assiegeants.

Le 4 juin, les Français dressèrent deux nouvelles batteries, l'une à six cents pas de la porte d'Arans, l'autre à la même distance de la porte de Besançon, et le lendemain les trois batteries tirèrent tout le jour, sans désemparer, contre les tours, les eglises, les toits des maisons. Quelques coups de canon effleurèrent les remparts, dont ils firent connaitre la force et la solidité : les boulets endommageaient, il est vrai, la bosse sursaillante de la face extérieure; mais ils ne pouvaient entamer ni le cœur ni le moellon des murs. Les Dolois avaient tant de confiance dans leur bonne enceinte bastionnée, qu'ils la disaient remplie de l'esprit invincible de l'empereur Charles-Quint. C'est ce souverain qui l'avait fait construire.

Le prince de Condé avait beaucoup compté sur l'effet des trois batteries: decu dans sou attente, il recourut à un autre moyen pour intimider les Dolois. Dès le 6 juin au matin, la Meilleraye, grand-maitre de l'artillerie, fit pleuvoir sur la ville une grèle de bombes, nouvelle et terrible invention due aux Hollandais, qui l'avaient importée en France, invention, dit Boyvin, ajoutée de notre âge aux autres que l'enfer a vomies pour l'extermination du genre humain. Les Dolois, qui n'avaient jamais vu de bombes, en furent d'abord effrayés : ils fuyaient à l'aspect de ces boules de fer creuses, remplies de poudre, et qui dans leur explosion disparaissaient en lancant par éclats la destruction et la mort; mais, la première frayeur passée, les assiéges se familiarisèrent promptement avec le jeu de ces machines infernales. Les bombes jetées sur Dole pesaient depuis cent jusqu'à deux cent vingt livres : leur chute était si lourde, qu'elles écrasaient les toits, enfoncaient les planchers et parfors les voûtes des caves, avant que le feu de la fusée eût gagné le cœur de la poudre; puis, quand il l'avait atteinte, la bombe, composée d'un fer aigre et cassant, eclatait avec une telle violence, que les fragments ébranlaient jusqu'aux murailles des maisons.

Le 7 juin, les Français attaquèrent la contrescarpe qui couvrait la face du bastion du Vieux-Château; le colonel Gassion avait fait transporter à Naymont, plus loin sur le revers du tertre, sa batterie de grosses pièces, et de ce lieu il incommodait grandement les assiégés; car cette redoutable batterie enfilait la contrescarpe et l'issue de la demi-lune pratiquée pour y arriver, elle rasait la face du bastion du Vieux-Château, embouchait le flane et les batteries du bastion d'Arans, et découvrait le pont par lequel on sortait de la ville. Les 8 et 9 juin, la canonnade et la mousquetade n'arrêtèrent pas, pendant que les bombes continuaient à pleuvoir sur les maisons. La plus grande partie des archives du parlement perirent par l'effet

d'un de ces projectiles destructeurs, qui mit le feu aux salles où elles étaient conservées. Le 10 juin, le régiment de Conti attaqua la contrescarpe d'Arans; mais il se vit repoussé avec perte, et il eût été poursuivi jusqu'au quartier du prince si des troupes fraîches ne fussent venues arrêter l'élan des Dolois. Les trois jours suivants se passèrent en canonnades. Pendant ce temps-là, le capitaine Lacuzon, posté à Saint-Georges avec un certain nombre de ses partisans, harcelait les détachements français qui ravageaient le pays des alentours, et il les empêchait de se répandre dans les montagnes.

Le prince de Condé, furieux de voir que le siége n'avançait pas, choisit l'élite de ses troupes et prépara tout pour une nouvelle attaque contre la contrescarpe d'Arans; mais le commandant de la Verne, instruit des dispositions des Français, par les signaux des sentinelles placées en observation sur le clocher de l'église Notre-Dame, avait immédiatement pris ses mesures pour recevoir l'assaut. Il était à peu ̧ près cinq heures du soir (14 juin) lorsque les Français s'approchèrent de la contrescarpe d'Arans et l'attaquèrent avec leur impétuosité naturelle. Le premier choc fut terrible on eût cru que les assiégés n'y résisteraient pas, ou que du moins ils ne le soutiendraient qu'au prix d'efforts désespérés. Mais les Dolois, ces vaillants hommes chez qui le courage était héréditaire, ne montrèrent jamais plus de bravoure qu'en cette occasion suprême : ils déconcertèrent par l'héroïsme de leur contenance la furie des assaillants et finirent par les repousser. Les Français revinrent une seconde, une troisième fois à la charge, plus exaspérés, plus résolus à gagner la partie : les Dolois, toujours ardents et inébranlables, repoussèrent tous les assauts. A la fin, les Français se retirèrent, mais ils laissaient deux cents des leurs au pied de la contrescarpe, et parmi les morts se trouvaient la plupart des officiers du régiment de Picardie. Ce jour-là fut marqué, du côté des assiégés, par des actes de courage extraordinaires; les femmes elles-mêmes se conduisirent en véritables héroïnes : on les voyait se jeter intrépidement à travers le péril, pour porter soit des rafraichissements, soit des munitions, soit des armes aux défenseurs de la contrescarpe. Entre plusieurs traits, Boyvin cite deux femmes qui portaient, l'une du vin, l'autre des pierres dans un ouvrage avancé la première ayant eu le corps coupé en deux par un boulet, et la seconde les jambes fracassées, une troisième, qui venait de vider sa charge de pierres, remplit avec sang-froid son panier des pierres de sa camarade renversée à terre, et les alla déposer à leur destination, au milieu d'une grêle de balles.

Le lendemain de cette grande attaque, il y eut une trève de trois heures, demandée par le prince de Condé pour enlever ses morts. La suspension expirée, les Français jetèrent de nouvelles bombes sur la place et dressèrent jusqu'à cinq batteries; mais ils dirigèrent principalement leur feu contre la tour de l'église Notre-Dame, d'où les sentinelles découvraient tous leurs mouvements. Les boulets et les bombes avaient beau faire des ravages : les bourgeois regardaient avec sang-froid l'incendie de leurs maisons, et ils n'en montraient que plus de résolution à se défendre. Ils plaisantaient même sur leurs désastres: « Les Français veulent sans doute entrer dans la ville par les lucarnes des greniers, disaient-ils d'un ton railleur, en voyant que les boulets perçaient seulement la toiture des maisons.

Dans le même temps, le conseiller Louis Pétrey, qui avait déjà enlevé aux Français plusieurs châteaux sur les bords de la Saône, s'emparait de la forge de Drambon, où se fabriquaient les bombes, boulets et grenades destinés au siége de Dôle. Pétrey fit jeter dans les fourneaux embrasés les bombes qu'il trouva; il fit mettre en pièces les divers ustensiles, et, avant de s'éloigner, il livra tous les bâtiments aux flammes.

Cependant le prince de Condé commençait à désespérer; le siége traînait en longueur, le découragement se mettait parmi les siens, et le cardinal de Richelieu s'impatientait. Le prince essaya d'obtenir par la voie des négociations ce que lui refusait la fortune des armes : Sa Majesté, fit-il dire aux magistrats, n'exige plus que la province se mette sous sa protection; le roi se contentera du passage libre de ses troupes à travers le pays, et de la ville de Gray pour sûreté. Les magistrats répondirent que leur devoir ne leur permettait pas de livrer une seule des places fortes de la Franche-Comté aux ennemis du roi leur maître et souverain, mais qu'ils voulaient bien entrer en conférence, pourvu qu'on ne leur proposât rien de contraire à leurs serments de fidélité envers la couronne d'Espagne. Les pourparlers en resterent là.

Le surlendemain 27 juin, le capitaine de Grammont faisait une glorieuse sortie. Se trouvant de service à la demi-lune de Besançon, il crut s'apercevoir que les tranchées n'étaient pas gardées comme de coutume, et il voulut aller reconnaître lui-même l'état des travaux de l'ennemi. Le capitaine « sortit, dit Boyvin, environ le midy, tout sur le bout de la contrescarpe devers la rivière, se glissa jusques assez bas au penchant d'une motte de terre et de rochers, qui couvre l'entrée du fossé, vis-à-vis du boulevard des Bénis; et là, se soutenant d'une pique, il s'alla coulant jusqu'à ce qu'il découvrit ceux qui gardoient les tranchées. Il remarqua qu'ils étoient dans une grande nonchalance, occupés à diner et atroupés allentour d'une bouteille. et de quelques plats. Aussitôt il remonte et fait filer une douzaine de mousquetaires des siens, pour aller servir d'un petit entremets et porter le fruit à ces messieurs qui se festoyoient à leur aise. Plusieurs des bourgeois, et des soldats de la vieille garnison, qui étoient au corps de garde de la même porte, sortirent de leur plein gré pour le suivre, et prendre part au déduit de sa chasse.» Le capitaine de Grammont tomba sur le régiment de Tonneins, laissé à la garde des premiers retranchements de l'armée française; il le mit en désordre et lui prit plusieurs canons, qu'il se disposait à ramener dans la ville, lorsque le prince de Condé, se portant en personne à cheval sur le lieu du combat, fit reprendre la batterie par le régiment de Navarre. Le capitaine et les siens rentrèrent à Dôle, chargés de dépouilles; à ce propos, un milicien qui revenait avec un manteau d'écarlate sur les épaules, disait fièrement que, sorti paysan de la ville, il y rentrait gentilhomme.

Vers les derniers jours du mois de juin, le prince de Condé, qui avait employé sans succès les boulets et les bombes pour se rendre maitre de la place, essaya d'un dernier moyen la sape et la mine. Sans perdre un instant, les assiégés s'occupèrent de paralyser les travaux, en contre-minant dans les divers endroits où l'on soup

Village à cinq lieues de Gray, dans le duché de Bourgogne.

çonnait la présence des mineurs. Il se livra même, dans ces chemins creusés sous terre, plusieurs combats dont quelques-uns cachèrent d'admirables actes de courage tous ces actes cependant ne restèrent pas enfouis au fond des souterrains où ils s'accomplirent. L'histoire a conservé le trait du brave caporal Donneuf, qui, dans l'attaque d'un chemin couvert, se défendit seul contre de nombreux assaillants. Son arme s'étant brisée dans la lutte, il saisit vigoureusement deux de ses adversaires et s'en fit un bouclier contre les autres. En cet état, l'intrépide caporal recut plusieurs blessures à la tête et sur les bras; mais il ne cessa de résister avec un courage opiniâtre, et il tint ferme jusqu'au moment où des camarades vinrent le dégager. Ils le rapportèrent à la ville. La gravité des blessures rendit impuissant l'art des chirurgiens Donneuf mourut quelques jours après.

Les mineurs n'avançaient que lentement dans leur besogne; ils étaient obligés, pour pouvoir travailler, de se mettre à couvert sous des galeries que l'ingénieur français avait fait établir: précaution devenue indispensable, dit Boyvin, « car les bourgeois étoient tout le long de la journée aux aguets sur les bastions, affustés avec leurs mousquets et longues arquebuses de chasse et de cible, dont plusieurs tenoient deux ou trois prêtes pour changer; et ne voyoient paroître une seule tête, sans qu'ils ne la salüassent à l'instant de cinq ou six balles. Entre ceux qu'on y rencontroit presque à toutes les heures de la journée, étoit l'advocat Michoutey: il étoit ordinairement en quelque coin du boulevard, la tête couverte d'un pot à l'hongroise et à l'épreuve, qu'il avoit gaigné sur l'ennemy en une sortie, et, l'arquebuse en jouë, il ne perdoit aucune commodité de lâcher son coup si à propos, que l'on tient pour assuré qu'il en a fait mourir plus de soixante. » Enfin, le 10 de juillet, deux mines se trouvèrent achevées, serrées et amenées sous la contrescarpe devant le boulevard du Vieux-Château la première manqua; la seconde fit sauter en l'air, avec un épouvantable fracas, une partie du chemin couvert et des ouvrages voisins, et une vingtaine d'hommes, au nombre desquels était le brave capitaine de Grammont. Le chemin couvert fut attaqué à l'instant; mais les bourgeois le défendirent avec tant d'opiniâtreté, que les assiégeants ne purent s'y loger. Le combat dura jusqu'à la nuit. Le capitaine de Grammont, que l'on avait retiré, tout meurtri et brisé, des décombres de la mine, mourut après dix-neuf jours de cruelles souffrances. Cet intrépide et brillant officier fut profondément regretté.

Pendant les jours qui suivirent, les assiégés eurent à soutenir de fréquents assauts l'armée royale venait d'être renforcée par les milices bourgeoises de la Bresse, lesquelles toutefois n'étaient pas arrivées au camp français sans avoir été vivement inquiétées par le capitaine Lacuzon. Le prince de Condé ne laissait aux Dolois ni trève ni répit : les lettres du cardinal de Richelieu le pressaient de terminer ce maudit siége, et le prince multipliait les attaques; mais il le faisait sans grand succès. Il avait tant d'impatience d'en finir, que lorsque les siens remportaient le moindre avantage, il hasardait aussitôt les sommations. Sa conduite devint si ridicule, que les Dolois le sommèrent lui-même par raillerie de lever le siége. On lui fit dire que s'il voulait se retirer, il lui serait accordé six jours francs, afin qu'il pût s'en aller en sûreté avec son armée; que s'il rejetait cette offre, il pourrait bien s'en trouver mal.-Et moi, s'écria le prince en colère, je ne recevrai point ceux

de Dôle à composition, à moins qu'ils ne me le viennent demander la corde au cou.» Les assiégés poussèrent la raillerie plus loin: ils allèrent jusqu'à faire jeter dans le camp français des lettres où ils menaçaient le prince de l'arrêter devant les murs de Dôle aussi longtemps qu'il était resté dans le ventre de sa mère, et de le forcer ensuite à lever le siége.

Condé ne suspendait plus les attaques; de leur côté, les assiégés faisaient tous les jours des sorties, et leur hardiesse s'était accrue à tel point, « qu'on a vu, dit Boyvin, des garçonnets de treize à quatorze ans, sortis de la ville pour couper de l'herbe, rapporter des dépouilles ennemies, et, se joignant deux ou trois contre un, amener prisonniers des soldats robustes et hommes faits, qu'ils avoient désarmés. Le 29 juillet, une nouvelle mine partit, mais sans effet; le 2 août suivant, une seconde mine, placée sous le bastion du Vieux-Château, fut éventée. Puis, dans la nuit du 7 au 8 août, survint un orage épouvantable, qui fit crouler la partie supérieure du clocher de Notre-Dame, déjà fortement endommagé par les boulets et les bombes. Le vent soufflait si terrible, qu'il renversa les tentes, baraques et pavillons des Français, et ceux-ci couraient de tous côtés pour chercher un abri: ils ne pouvaient plus rester au camp, dont les ouvrages s'étaient remplis d'eau. Les Dolois eurent à souffrir aussi de cet orage, mais du moins il leur donna quelques jours de répit ces braves gens en avaient grandement besoin, épuisés comme ils devaient l'être, et par les fatigues d'un siége qui durait depuis plus de deux mois, et par la peste qui régnait dans la ville, et par les privations qui commençaient à se faire sentir. En cette position, les magistrats s'adressèrent au marquis de Conflans, pour le presser de venir au secours de la place. La cavalerie du marquis de Conflans se réunit aux troupes du duc Charles IV de Lorraine; et les deux corps, formant ensemble une armée de seize mille hommes, marchèrent sur Dôle. Le prince de Condé avait été prévenu, depuis plusieurs jours, de l'arrivée de ces renforts; aussi faisait-il déployer la plus grande activité pour accélérer la besogne des mineurs mais les Français étaient encore peu expérimentés dans cet art de la sape et de la mine, et les Dolois empêchaient, par tous les moyens en leur pouvoir, l'avancement des travaux. Cependant, le 13 août, sur les six heures du soir, on mit le feu à une nouvelle mine: elle éclata d'une telle violence, que des morceaux de rocher et de maçonnerie furent lancés à plus de cinquante pas au delà du Doubs; mais elle ne put faire sauter les pans de la muraille, laquelle avait cent cinquante pieds de hauteur et plus de dix pieds d'épaisseur, avec de puissants contre-forts. La muraille, soulevée, coula le long du terrain sans se désunir et forma comme une espèce de nouveau mur dans le fossé. Pendant ce temps, les troupes du duc de Lorraine s'établissaient à peu de distance du camp français; dans la matinée du 14 août, elles parurent en bataille sur les hauteurs entre Authume et Rochefort. Le duc de Lorraine voulait attaquer immédiatement; mais il consentit à différer jusqu'au lendemain, sur les représentations qu'on lui fit que son infanterie n'était pas encore arrivée, et que l'armée royale se disposait à la retraite. En effet, le prince de Condé, pressé par Richelieu de lever le siége de Dôle et d'envoyer à Paris l'élite de ses régiments, se décidait, non sans regret et sans dépit, à obéir : il fit d'abord partir son artillerie et ses bagages; puis, dans la soirée même du 14 août, le gros

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