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l'on veut connaître la source et l'immensité des richesses qu'il possédait, une phrase de Suétone va nous l'apprendre : « Les villes, les temples, les trésors de la Gaule, dit cet historien, avaient été pillés avec une incroyable cupidité, bien plus pour leur opulence que pour leurs crimes. » César tenait à Pise une sorte de cour, où un consul lui vendait sa neutralité pour huit millions, et un tribun son alliance pour douze millions!

Or, tandis que César s'occupait en Italie des intérêts de son ambition personnelle, les vaincus de la Gaule relevaient la tête et songeaient à la vengeance. Irrités de leurs revers, et frémissant de voir des étrangers commander en maîtres chez eux, mettre la main à leurs affaires intérieures, administrer et gouverner, ils s'étaient dit qu'il fallait en finir avec l'insolence et la tyrannie de ces oppresseurs des nations. << Brisons nos chaînes! avaient-ils répété, et mourons tous plutôt que de ne pas reconquérir notre vieille gloire, mourons tous plutôt que de perdre cette liberté que nos pères nous ont transmise. » L'immense conjuration s'organisa dans le plus profond mystère; armes, vivres, chevaux furent amassés silencieusement. Les Carnutes se déclarèrent les premiers: ils avaient fait solennellement jurer aux députés des peuples gaulois, ils leur avaient fait jurer sur les étendards de la nation réunis en faisceau, qu'on ne les abandonnerait pas quand une fois ils auraient poussé le cri de délivrance. Au signal convenu, les Carnutes se portent en armes sur Génabe (Orléans), massacrent les marchands romains établis dans cette ville et les jettent à la Loire. En trois jours, la nouvelle de ce massacre se répand à travers la Gaule, au moyen de cris répétés de village en village. Aussitôt les Arvernes proclament ouvertement leur indépendance; les Sénones, les Parises, les Pictons, les Santons, les Cadurces, les Turons, les Aulerces, les Andes, les Lémovices, les Armoricains suivent l'exemple des Arvernes. Les Belges et les Séquanais, surveillés par les légions romaines, frémissent de ne pouvoir prendre part au mouvement. Les confédérés ont décerné le commandement suprême à Vercingétorix, jeune seigneur arverne renommé par sa vaillance et son génie, et l'un des principaux moteurs de l'insurrection. Pour la première fois les Gaulois cherchaient leur salut dans l'unanimité des efforts et l'unité du pouvoir : ils avaient compris que le courage et le patriotisme ne suffisaient pas, mais qu'avant tout ils devaient marcher unis, se serrer les uns contre les autres et se confondre dans une vaste confraternité d'armes, afin de ne plus former qu'un peuple agissant, frappant et combattant comme un seul homme. Ce fut en l'année 53 avant Jésus-Christ qu'eut lieu ce grand soulèvement. Vercingétorix organisa vigoureusement la résistance : il exécuta d'immenses préparatifs avec une célérité digne de César; il arma jusqu'aux serfs des campagnes, en déclarant que les traîtres seraient brûlés vifs, et les réfractaires mutilés. Il envoya Luctère, l'un de ses meilleurs lieutenants et son ami, dans le pays des Rutènes (Rouergue), tandis qu'il se portait lui-même contre les Bituriges, clients des Éduens et restés fidèles avec eux à l'amitié romaine; mais, les Éduens n'ayant pas voulu secourir les Bituriges, ceux-ci mécontents passèrent du côté de Vercingétorix. Le plan de Vercingétorix était d'attaquer, avec le gros de son armée, les légions cantonnées chez les Belges, et son lieutenant Luctère devait se précipiter du haut des Cévennes sur la Province romaine, pour fermer à César le chemin de l'Italie. L'ac

tivité surhumaine de César et son incroyable audace déjouèrent ces habiles combinaisons. Le grand capitaine a tout compris, tout deviné il accourt des Alpes sur le Rhône avec la rapidité de la foudre, délivre en passant la Province romaine que Luctère avait déjà envahie, marche vers les Cévennes qu'il franchit à travers six pieds de neige, et tombe comme une avalanche au milieu des Arvernes épouvantés. A la nouvelle de cette irruption soudaine, Vercingétorix revient sur ses pas pour défendre l'Arvernie: mais César se dérobe; il remonte le Rhône, traverse à marches forcées le territoire des Éduens et court se mettre à la tête des dix légions auxquelles il a donné rendez-vous chez les Lingons (Langres). Vercingétorix, informé trop tard de cette jonction, ramène son armée chez les Bituriges et ravage le pays des Éduens, dans l'espoir d'attirer César au secours de ses alliés; mais il apprend que César enlève les principales villes des Sénones (pays de Sens), qu'il saccage et brüle Génabe, qu'il vient de se rendre maitre de Noviodun (Nevers), et qu'il s'avance contre Avaricum (Bourges), capitale des Bituriges. La position devenait extrême; Vercingétorix essaya d'en sortir par une des résolutions les plus sublimes dont l'histoire ait gardé le souvenir: il poussa le conseil suprême de la confédération gauloise à décider que, pour affamer les Romains, on détruirait toutes les villes, bourgades et maisons de campagne dans les contrées qui étaient le théâtre de la guerre. L'immense sacrifice s'accomplit sans murmure en un seul jour, plus de vingt villes des Bituriges furent livrées aux flammes; les villes des Carnutes, des Turons, des autres tribus voisines eurent le même sort. De toutes parts ce n'étaient qu'incendies, et les Romains se voyaient avec terreur enfermés dans un vaste cercle de feu. Seulement, quand on parla de brûler Avaricum, le courage faillit aux Bituriges: ils se jetèrent aux pieds de Vercingétorix, le suppliant de ne pas les forcer à détruire de leurs propres mains la plus belle ville de la Gaule, l'ornement et la gloire de leur pays. Vercingétorix céda, mais à regret : l'événement justifia ses prévisions.

César avait mesuré d'un coup d'œil les conséquences fatales que pouvait avoir pour lui la résolution exécutée par les Gaulois il se voyait dans la position la plus terrible s'il ne parvenait à s'assurer une ressource contre la famine; et, la capitale des Bituriges restant seule debout au milieu de la destruction générale, il se dirigea rapidement sur elle. Le siége en fut poussé avec une extrême vigueur. Avaricum était bien défendu; Vercingétorix y avait jeté dix mille hommes d'élite, et les habitants montraient les dispositions les plus vaillantes: la grande armée gauloise, campée à quelques lieues de là, coupait les vivres aux Romains, communiquait avec les assiégés, ne les laissait manquer de rien, tandis que les Romains enduraient la faim, le froid et tous les désavantages d'une saison rigoureuse. Si la bravoure et le dévouement eussent suffi pour fatiguer un adversaire et ruiner ses espérances, les Bituriges auraient pu compter sur le succès et voir, du haut de leurs murs, l'armée romaine s'éloigner humiliée et découragée mais rien ne lassa la constance de César; son génie devait encore lui donner la victoire. Après vingt-six jours de siége, l emporta la ville d'assaut, fit passer au fil de l'épée femmes, enfants, vieillards; et sur quarante mille personnes, huit cents à peine échappèrent au massacre.

Ce grand désastre n'abattit pas les courages. Vercingétorix se reporta chez les Arvernes, pour défendre Gergovie leur capitale; et lorsque César arriva devant

Gergovie, il aperçut les nombreux bataillons de Vercingétorix rangés en lignes formidables sur les hauteurs qui dominaient la ville. César campa dans la plaine. Les défenseurs de Gergovie étaient des hommes aussi vaillants et dévoués que les défenseurs d'Avaricum, et résolus comme eux à triompher ou mourir; mais ils furent plus heureux que leurs compatriotes. César avait emporté d'assaut la capitale des Bituriges; il échoua devant la capitale des Arvernes, malgré toute la puissance de ses efforts; et l'armée romaine eût été complétement défaite sans la fameuse dixième légion. L'invincible César avait enfin essuyé un revers les conséquences menaçaient d'en être terribles. L'annonce de ce revers excita parmi les populations gauloises une sensation immense et les remplit d'une confiance démesurée, car elles y virent la promesse de nouveaux succès qui ne finiraient qu'avec la ruine des Romains. Ainsi est façonnée l'âme de ceux que la haine ou le désespoir poussent à s'insurger contre un oppresseur : il leur semble si naturel et si légitime de traduire en faits leurs désirs, en réalités leurs espérances, que la moindre faveur de la fortune les enivre. C'est ce qui arriva chez les Gaulois s'exagérant, avec leur esprit si facile à passionner, l'importance de l'échec essuyé par César, ils crurent que ce général était perdu, qu'il allait être forcé d'abandonner sa conquête et de repasser honteusement les Alpes. A vrai dire cependant, le prestige de la fortune de César semblait près de s'évanouir; son échec devant Gergovie venait de détacher de lui les alliés dont il avait le plus besoin les Éduens, honteux de leur rôle, et jaloux de se relever aux yeux de leurs compatriotes, qui les accusaient avec indignation de trahir la cause nationale, les Éduens s'insurgent à la voix de Viridomare et du vergobret Convictolitan et poussent le cri de guerre contre les Romains. A Noviodun (Nevers), à Matisco (Macon), à Cabillonn (Chalon), dans toutes les villes éduennes, les Romains sont massacrés. Cette réaction portait aux dispositions militaires de César un coup d'autant plus terrible, qu'il tirait des Éduens une grande partie de sa cavalerie, et que leur territoire, par sa position géographique, coupait en deux le théâtre de l'insurrection. César semblait perdu : il pouvait encore gagner le chemin de la Province romaine; mais il veut rallier les quatre légions de Labiénus et cherche à traverser la Loire. Il en trouve tous les passages gardés par les Éduens et se voit enfermé dans un pays hostile, couvert de ruines, avec la grande armée de Vercingétorix derrière lui. Pour un autre général et d'autres soldats que César et ses légionnaires, cette barrière eût été insurmontable; mais les légionnaires de César ne craignaient pas plus les éléments que les hommes ils traversent à gué la Loire, en ayant de l'eau jusqu'aux épaules, en tenant leurs armes élevées au-dessus de leurs têtes; ils arrivent ainsi de l'autre côté du fleuve, et César gagne rapidement le pays des Sénones, où son lieutenant Labiénus vient le rejoindre avec ses quatre légions.

Ce fut, à la nouvelle de ces événements, un long tressaillement de joie parmi les Gaulois ils se montraient pleins de dévouement et d'enthousiasme; ils voyaient déjà leur ennemi terrassé, la gloire de leurs armes vengée, leur nationalité reconquise. A Bibracte se tint une assemblée solennelle des délégués de la Gaule; toutes les nations y furent représentées, à l'exception des Lingons, des Trévires et des Rèmes, les seules tribus restées fidèles à la fortune de César. Les Éduens réclamèrent la prééminence dans la conduite des affaires de la confédération; mais les

autres peuples confirmèrent d'une voix unanime au grand Vercingétorix le commandement suprême. Vercingétorix ordonna des levées considérables en cavalerie et revint à son premier projet d'attaquer simultanément la Province et l'armée romaine. César avait mesuré la grandeur du péril: se trouvant presque sans cavalerie, sans approvisionnements, sans communications avec les Alpes, il se replia du pays des Sénones vers la Séquanie, afin de rouvrir ses communications avec le Rhône et la Province romaine. Vercingétorix se mit à sa poursuite et l'atteignit sur les confins du pays des Lingons et des Séquanais, c'est-à-dire avant qu'il eût franchi la Saône. «Le jour de la victoire est arrivé! s'écrie Vercingétorix; les Romains abandonnent la Gaule et s'enfuient dans la Province. Il faut les anéantir, pour qu'ils ne reviennent jamais. Jurons done de ne revoir ni nos femmes ni nos enfants avant d'avoir traversé deux fois l'armée romaine. » Les Gaulois le jurèrent. On en vint aux mains: ce fut une bataille surhumaine. On s'attaqua de part et d'autre avec tant d'acharnement et de furie, que César courut personnellement les plus grands périls, et qu'il laissa son épée entre les mains des Arvernes. Mais la fortune devait encore se prononcer pour les aigles romaines: elles furent pleinement victorieuses. Les Gaulois, après plusieurs heures d'une lutte héroïque et terrible, se débandèrent tout à coup, comme saisis par une terreur panique; et Vercingétorix, frémissant de douleur, battit en retraite sur Alise, ville du pays des Mandubiens. Alise, aujourd'hui nommée le Mont-Auxois, à trois lieues de Semur, était bâtie au sommet d'une haute colline, et c'est sur le versant oriental de la montagne que Vercingétorix assit son camp.

César parut le lendemain devant Alise. Il conçut le gigantesque projet d'assiéger à la fois et la ville et le camp gaulois: il fit construire une ligne de circonvallation formidable, composée de trois fossés à pic ayant chacun quinze ou vingt pieds tant en largeur qu'en profondeur, d'un rempart haut de douze pieds, et de huit rangs de petits fossés dont le fond était couvert de pieux acérés. Puis, prévoyant que les autres peuples de la Gaule viendraient au secours de Vercingétorix, il fit répéter ces ouvrages du côté de la campagne et les prolongea dans un circuit de cinq lieues. Tout cela fut achevé en moins de cinq semaines, par moins de soixante mille hommes; et César, tranquille dans cette double ligne de défenses, attendit que la famine lui livrat Alise et l'armée de Vercingétorix. Les Gaulois avaient vainement. essayé d'interrompre ces prodigieux travaux : courage, intelligence, audace, tout était venu se briser contre les merveilles de la science romaine. « Partez, dit alors Vercingétorix à ses cavaliers, partez tandis que tous les passages ne sont pas encore fermés : retournez chacun dans votre patrie, et appelez aux armes tous les enfants de la Gaule, pour venir me délivrer, moi et mes compagnons. J'ai des vivres pour trente jours. » Le conseil suprême de la confédération décréta une armée de deux cent cinquante mille hommes. Tous les peuples, excepté les Rèmes, fournirent leur contingent; « tous, dit César, dévouèrent à la guerre nationale leurs vies et leurs biens. Les Séquanais, que les légions romaines quittaient à peine, envoyèrent douze mille hommes d'élite. Ces renforts arrivèrent devant le camp romain au moment où Vercingétorix était réduit aux plus cruelles extrémités. L'armée de délivrance et l'armée d'Alise livrèrent de concert deux terribles assauts pour forcer l'enceinte qui les séparait. Jamais la fortune de César n'avait couru de plus grands

dangers, car jamais les Gaulois n'avaient combattu avec tant d'héroïsme : ils forcèrent sur deux points les formidables retranchements de l'armée romaine, ils repoussèrent successivement deux corps de troupes fraîches, ils pénétrèrent deux fois dans l'intérieur des lignes: mais il était écrit que le génie de César serait plus fort que le génie de la Gaule. L'armée de délivrance, à moitié détruite par les légionnaires, se dispersa, et les défenseurs d'Alise rentrèrent dans la ville aux approches de la nuit ce fut la nuit suprême de l'indépendance gauloise!

Le lendemain, Vercingétorix assembla ses compagnons, et, leur ayant déclaré qu'il n'avait pas entrepris cette guerre pour ses intérêts personnels, mais pour la liberté commune, il ajouta ces touchantes paroles : « Puisqu'il faut céder à la fortune, je m'offre à vous et vous laisse le choix ou d'apaiser les Romains par ma mort, ou de me livrer vivant.» Dévoué jusqu'au bout à sa malheureuse patrie, le magnanime Vercingétorix s'offrait en victime expiatoire à la vengeance des Romains. Les vaincus députèrent vers César pour connaître ses volontés César ordonna qu'on lui livrat toutes les armes, et que Vercingétorix parût devant lui. Le héros gaulois revêtit sa plus belle armure, monta sur son cheval de bataille, sortit d'Alise, et, arrivé devant le tribunal de César, il jeta son épée, son javelot et son casque aux pieds du Romain, sans proférer une seule parole. « Ainsi de nos jours, dit un écrivain franc-comtois (M. Aug. DEMESMAY), un grand homme, trahi par le destin, jeta sa couronne aux pieds de l'Europe coalisée, afin d'obtenir merci pour sa patrie. »

Nous savons ce que l'Angleterre, cette nation au cœur de granit, a fait de l'illustre captif qui, comme Thémistocle, était venu s'asseoir au foyer du peuple britannique: l'écho de Sainte-Hélène a redit partout l'ineffaçable honte de l'une et l'immortelle agonie de l'autre. Quant à César, que l'on a surnommé le plus magnanime des Romains, il n'eut pour Vercingétorix que des reproches et des outrages: le vainqueur se montra moins grand que le vaincu. César, loin d'élever son âme à la hauteur du sacrifice de Vercingétorix et de respecter en lui l'auguste maje. té du malheur, César ne sut écouter qu'un sentiment de vengeance. Il fit charger de chaînes Vercingétorix ! Le héros de la Gaule fut traîné à Rome et jeté dans un cachot. Après six années de souffrances, il en sortit un jour avec un habit d'esclave, pour être conduit au pied du Capitole. Rome, ce jour-là, donnait une fête à l'homme que sa conquête définitive de la Gaule et ses victoires récentes sur Pompée venaient de faire saluer des titres de « dictateur perpétuel, de père de la patrie, de libérateur, de dieu; » et comme il fallait que le peuple-roi souillât toutes ses fêtes du sang des vaincus, la tête de Vercingétorix fut choisie pour orner le triomphe de César. Cette jeune et noble tête tomba sous la hache du licteur, au milieu des outrages d'une foule rugissante. Singulière coïncidence! C'était aussi après six années de tortures que Napoléon s'éteignait, au fond de l'Océan, sur son rocher de Sainte-Hélène : mais lui, du moins, ne mourait pas en vaincu, comme Vercingétorix, il mourait en vengeur; il ne mourait pas, comme Vercingétorix, en recevant pour adieu les huées d'une populace ivre, mais en laissant pour adieu à l'Angleterre un manifeste qui l'a couverte d'un éternel opprobre; il ne mourait pas, comme Vercingétorix, sous une dégradante livrée d'esclave, mais en se faisant un suaire avec son glorieux manteau bleu de Marengo.

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