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(Charolais), les Ségusiens (Lyonnais et Forez). Les Séquanais avaient pour li mites, à l'ouest la Saône, au sud le Rhône, au nord les Vosges, à l'est le Rhin et les montagnes du Jura; leur capitale était Vesuntio (Besançon), et leurs clients étaient les Latobriges (Sundgau), les Tulingiens (haute Alsace), les Rauraques (canton de Bâle). Le premier de ces trois peuples, les Arvernes, exerçait depuis longtemps dans la Gaule une prépondérance marquée; lorsque les Éduens, jaloux de cette prépondérance, projetèrent de la lui ravir. Par l'entremise des Massaliotes (Marseillais), les Éduens traitèrent avec le peuple romain, reçurent de lui le titre fatal d'amis et frères et l'engagèrent à marcher contre les Arvernes leurs ennemis. Le peuple romain ne demandait pas mieux que de se mêler des affaires intérieures des Gaulois il attaqua donc les Arvernes, dans un combat terrible livré vers le confluent du Rhône et de l'Isère, et les défit complétement. Depuis ce jour, qui porta le coup le plus sensible à la puissance des Arvernes, les Éduens mirent tout en œuvre pour s'arroger la suprématie; mais il y avait un peuple qui gênait leurs prétentions et n'entendait pas leur céder la prééminence sans combattre : c'étaient les Séquanais; car si les Éduens ne voulaient point souffrir d'égaux, les Séquanais ne voulaient point souffrir de maîtres; si les premiers, enorgueillis de leur titre d'amis du peuple romain, se croyaient les plus forts, les seconds, alliés aux Arvernes leurs compatriotes, se croyaient les plus indépendants. Rivalités funestes dont une politique ambitieuse devait un jour faire son profit! Les Éduens, par leur orgueil et leur tyrannie, poussèrent à bout les Séquanais, et l'on en vint aux mains une première lutte ayant laissé la victoire indécise, les Séquanais accueillirent les propositions de paix qui leur furent faites de la part de la République romaine. La partie n'était qu'ajournée : elle allait être gagnée par les Séquanais, mais au prix le plus fatal. Ceux-ci, voyant contre eux les Romains et les Massaliotes, se cherchèrent des alliés au delà du Rhin et gagnèrent, par l'appât d'une forte solde, le chef le plus renommé des Suèves, le célèbre Arioviste, qui promit de leur amener quinze mille de ses guerriers. « Les Suèves, dit César, sont de beaucoup la plus grande et la plus vaillante des nations germaniques: ils sont divisés en cent cantons, d'où sortent chaque année cent mille hommes pour aller en guerre, tandis que les autres cultivent les champs, et ceux-ci vont en guerre à leur tour l'an d'après. Les terres sont communes entre tous, et l'on n'habite jamais un même terrain plus d'un an. Les Suèves vivent moins de blé que de lait, de viande et de gibier. Ils ne portent d'autres vêtements que des peaux de bêtes, qui laissent à découvert la plus grande partie de leur corps. Ils vendent leur butin aux marchands étrangers, mais ne reçoivent presque rien du dehors, et ne souffrent pas qu'on introduise du vin chez eux, parce que le vin, pensent-ils, effémine les hommes. Ils regardent comme la plus belle gloire de leur nation d'avoir une large solitude et de vastes champs vides d'habitants autour de ses frontières: c'est la preuve que beaucoup de peuples n'ont pu soutenir l'effort de leurs armes.... >>

Voilà les redoutables auxiliaires que les Séquanais s'étaient choisis. Assurés du concours de ces géants presque nus, ils s'appuyèrent sur un motif plus spécieux que juste pour reprendre les armes : un péage contesté sur la Saône, rivière qui formait la limite entre eux et les Éduens, devint l'objet du litige. Cette question,

que l'on eût résolue à l'amiable dans un temps ordinaire, s'envenima par l'intention où l'on était d'amener une rupture, et la guerre fut déclarée. Les Séquanais, réunis aux Arvernes, marchèrent vers la Saône et défirent les Éduens dans une bataille sanglante; mais les Éduens, plus irrités qu'humiliés de ce revers, rassemblèrent toutes leurs forces et se jetèrent sur le territoire des Séquanais. Ceux-ci, qui s'attendaient à cette invasion, avaient fait venir Arioviste et ses quinze mille guerriers. Arioviste prit le commandement général de l'armée séquano-suève; il attaqua les Eduens, qui s'étaient laissés attirer dans une position désavantageuse, et remporta sur eux une éclatante victoire, l'an 72 avant l'ère chrétienne : il avait détruit presque entièrement leur noblesse, leur cavalerie, leur sénat. Après ce grand désastre, les Éduens ne durent pas seulement renoncer à leurs prétentions de suprématie; il leur fallut satisfaire aux exigences du vainqueur. Ils furent obligés de se reconnaitre tributaires d'Arioviste et clients des Séquanais, de livrer en otages les fils des principaux de leur nation, de s'engager par serment à ne jamais redemander ces otages, à ne jamais implorer l'assistance de la République romaine. Cette victoire assura la prépondérance des Séquanais dans la Gaule Celtique; elle leur donna l'alliance de plusieurs tribus, répandit au loin le renom de leurs armes, et fut accueillie avec un vif mécontentement par le peuple romain, le frère et l'ami des Eduens. Mais de courte durée devait être la joie des Séquanais : Arioviste était là pour leur apprendre ce qu'il en coûte toujours d'appeler l'étranger. Eux qui ne voulaient pas de maitres, ils en voyaient surgir un dans leur allié de la veille, et, vainqueurs, ils allaient se trouver plus malheureux que leurs adversaires vaincus. Arioviste, au lieu de repasser le Rhin avec ses guerriers, s'était cantonné chez les Rauraques, clients des Séquanais; puis, quand on connut, au delà du Rhin, l'abondance et la fertilité de la Gaule, une multitude de Germains abandonnèrent leurs apres régions pour venir rejoindre les Suèves. Alors Arioviste somma les Séquanais de lui céder, à titre de solde, le territoire qu'il occupait dans la Rauracie, les menaçant de porter les armes chez eux s'ils lui refusaient sa demande. Les Séquanais, contraints de dissimuler, et reconnaissant trop tard qu'ils avaient attiré dans leur pays un ennemi plus redoutable pour leur indépendance que les Romains dont ils craignaient la protection, se soumirent aux exigences d'Arioviste; mais, lorsqu'ils virent le chef barbare demander pour d'autres bandes germaines un tiers de leur propre territoire à eux, ils s'indignèrent la communauté de misères les rapprocha des Éduens. Les deux peuples oublièrent leur funeste inimitié, se réconcilièrent et marchèrent ensemble contre les Suèves un autre qu'eux devait vaincre Arioviste. Le chef suève, retranché dans les marais de la Saône, s'y tint pendant plusieurs mois sans vouloir engager la partie : il attendait une occasion favorable, et, celle-ci s'étant présentée, il la saisit habilement, assaillit à l'improviste les forces éduo-séquanaises, les mit en pièces, les écrasa. Cette sanglante défaite eut lieu près d'Amagétobrie (aujourd'hui Broie-les-Pesmes), au confluent de la Saône et de l'Ognon; elle jeta les deux peuples épuisés sous le joug d'Arioviste, qui dès lors ne connut plus de limites à ses exigences: il se fit livrer, avec le tiers des terres séquanaises, les armes des vaincus; il prit en otages les enfants des plus nobles familles, imposa sa tyrannie à tous et procéda par des supplices au moindre mouvement qui contrariait

ses volontés ou ses ordres. Roi nomade de ces contrées, il promenait ses tentes de la Saône au Jura.

Cependant les succès d'Arioviste avaient éveillé l'ambition d'un peuple voisin : les Helvètes (Suisses). Ceux-ci, dont le pays était presque inculte, voulurent à leur tour devenir conquérants, et ils résolurent d'abandonner leurs arides montagnes, pour passer dans les plaines occidentales de la Gaule. Ils s'associèrent plusieurs peuplades voisines du Rhin, se choisirent des chefs et commencèrent leurs préparatifs de départ. Un incident vint retarder quelque temps l'exécution de ce grand projet. Le chef de l'expédition, Orgétorix, qui le premier avait excité ses compatriotes à quitter leur étroit territoire, conçut la pensée de profiter des circonstances pour usurper l'autorité souveraine, c'est-à-dire de se faire nommer roi des contrées que les siens allaient conquérir. Afin de mieux assurer la réussite de ses vues ambitieuses, Orgétorix noua des intelligences avec deux autres grands personnages de la Gaule, l'Éduen Dumnorix et le Séquanais Castic; il les mit dans ses intérêts en flattant leurs espérances: il promit à Castic, dont le père Catamantalède avait autrefois régné sur la Séquanie, de l'aider à reconquérir ce titre; à Dumnorix, dont l'ambition visait secrètement à la royauté, de l'aider à se faire roi des Éduens, et pour mieux s'attacher ce dernier, il lui donna sa fille en mariage. Lui, Orgétorix, devait être monarque suprême de la Gaule et s'établir dans le territoire des Santons (la Saintonge). Mais les magistrats de la fédération helvétique eurent des soupçons sur les projets d'Orgétorix; ils s'emparèrent de sa personne et le mirent en accusation comme aspirant à la royauté. La loi du pays condamnait au supplice du feu celui que l'on reconnaissait coupable d'avoir rêvé l'autorité souveraine. Au jour fixé pour le procès, l'accusé fit comparaître devant le tribunal ses clients, ses serviteurs et ses amis, le tout présentant un chiffre de plus de dix mille personnes, et il parvint avec leur secours à se soustraire au jugement. L'audace de ses amis ne le sauva pas. Les magistrats appelèrent aux armes le reste de la nation, et le coupable Orgétorix, se sentant le plus faible, se donna la mort. Cet événement ne fit pas abandonner aux Helvètes leur projet d'émigration. Lorsqu'ils eurent achevé leurs préparatifs et rassemblé force chariots, attelages, chevaux, armes, vivres, ils se mirent en marche, au nombre de trois cent soixante-huit mille, dont quatre-vingt-douze mille combattants; puis, pour s'ôter la possibilité du retour, ils détruisirent tout ce qu'ils ne pouvaient emporter, ils enterrèrent les blés, ils livrèrent aux flammes leurs douze villes et leurs quatre cents villages! Tel fut l'adieu qu'ils laissèrent à leur pays. En nos jours de civilisation, un acte comme celui-là serait de la sauvagerie; mais si on le juge d'après les mœurs de ces temps barbares, on se surprend à le trouver presque héroïque à force de témérité : cette résolution de tout un peuple qui se sent l'énergie de se fermer par de semblables moyens le chemin du pays natal et qui se condamne à n'avoir plus de patrie qu'au prix de la lutte et du sang, une telle résolution porte avec elle un caractère de grandeur étrange qui frappe l'imagination.

Les émigrants n'avaient que deux chemins pour sortir de leurs montagnes : l'un, par le territoire des Séquanais, entre le Rhône et le Jura; c'était le pas de la Cluse, défilé difficile et très-étroit, où l'on pouvait à peine faire passer un chariot. L'autre chemin, plus court et plus aisé, traversait la Province romaine. Les Helvètes se dé

cidèrent pour ce dernier; mais il s'agissait de passer, et les Helvètes, arrivés à Genève, y trouvèrent un proconsul qui les surveillait : c'était Jules César. Les prin cipaux chefs de l'émigration viennent lui demander la permission de traverser la Province, lui promettant de s'abstenir de toutes hostilités, de ne commettre aucun dégât et de faire respecter les habitants. César, qui n'avait à ce moment qu'une de ses légions auprès de lui, temporise, diffère de répondre d'une manière positive, et met à profit le délai qu'il obtient, pour faire élever à la hâte entre le mont Jura et le The Léman, et sur une longueur de dix-neuf milles, un mur de seize pieds de haut, flanqué de tours. Quand les députés helvètes reviennent, ils essuient un refus formel. Irités de ce contre-temps, ils rassemblent tout ce qu'ils peuvent réunir tant en nacelles qu'en bateaux, et cherchent à passer le Rhône; mais le mur les arrête, mais les Romains les repoussent avec des pertes considérables, et les émigrants tournent leurs vues du côté de la Cluse, le seul passage qui leur restât pour pénétrer dans la Gaule. Ce passage, avons-nous dit, appartenait aux Séquanais; on ne pouvait le franchir sans leur consentement, et les Helvètes connaissaient le courage de ce peuple. Ils recourent à la voie des négociations. Ils s'adressent à l'Eduen Dumnorix, et le prient de s'entremettre en leur faveur auprès des Séquanais, chez lesquels il jouissait d'un grand crédit par son rang et ses largesses. Les Séquanais, circonvenus, laissèrent passer les Helvètes, quoiqu'ils eussent promis aux Romains de défendre. l'entrée de leurs montagnes. Arioviste, dont la République romaine avait quelque temps auparavant recherché l'alliance, demeura neutre de son côté.

Les Helvètes, après avoir franchi le pas de la Cluse et traversé le pays des Séquanais, arrivent sur la Saône, qu'ils commencent à passer sans éprouver une grande résistance de la part des Eduens, trop faibles pour arrêter le torrent. L'arrière-garde helvète était encore en deçà de la rivière, lorsque César, à la tête de six légions, apparait comme la foudre, attaque cette arrière-garde, la taille en pièces, fait jeter un pont sur la Saône et s'élance à la poursuite de l'armée ennemie. Les Helvètes, ébranlés par ce premier revers, envoient des députés à César pour lui proposer une alliance aux termes de laquelle il leur serait assigné des terres dans la Gaule. Au lieu de s'entendre, on s'irrite, on s'humilie de part et d'autre; et les Helvètes, faisant tout à coup volte-face, attaquent l'armée romaine à peu de distance de Bibracte, capitale des Eduens. César avait mis ses troupes en bataille dans une position avantageuse; les Helvètes avaient placé leurs chariots derrière eux, pour montrer qu'ils ne comptaient sur aucune retraite. Le choc fut terrible. César repoussa d'abord l'attaque avec succès; mais, quand il voulut prendre l'offensive et poursuivre ses adversaires, il se vit chargé en flanc et en queue par la réserve des Helvètes. La lutte recommença plus furieuse, et se prolongea longtemps dans les ténèbres. Après des efforts surhumains, les légions romaines rompirent enfin une seconde fois les rangs des Helvètes, forcèrent le rempart de chariots qui fermait leur camp et firent des vaincus un épouvantable carnage. De trois cent soixante-huit mille âmes, les Helvètes se trouvaient réduits à cent trente mille! Les débris de l'armée avaient profité des dernières heures de la nuit pour battre en retraite : César courut sur leurs traces, les atteignit près d'un lieu où s'éleva plus tard la ville de Dijon; et ceux-ci, hors d'état de soutenir un second choc, demandèrent la paix. Ils

eurent à subir les conditions du vainqueur, qui se fit livrer toutes les armes, garda des otages, puis ordonna au reste des Helvètes de retourner dans leur pays pour y relever les villes et bourgades incendiées : César ne voulait pas que l'Helvétie, demeurée vide, fût occupée par les Germains. Cette campagne, achevée l'an 58 avant Jésus-Christ, eut pour César des résultats d'une portée immense: elle lui ouvrit la vaste carrière où son ambitieux génie aspirait à s'élancer; elle fut pour lui comme le début de cette prodigieuse épopée qu'il allait écrire avec l'épée sur cette terre des Gaules dont son œil d'aigle entrevoyait l'avenir et la grandeur.

Le désastre des Helvètes porta la terreur du nom de César aux extrémités de la Gaule, mais il fit faire de profondes réflexions aux chefs des Séquanais. Ceux-ci pressentaient, d'un côté, que la nation éduenne, qui s'était placée sous la protection de César, voudrait avec ce redoutable appui reconquérir la prépondérance dans la Gaule Celtique; d'autre part, ils se voyaient opprimés par le despotisme d'Arioviste, dont les exigences grandissaient toujours le chef suève avait maintenant autour de lui cent vingt mille Germains, et il voulait un second tiers de la Séquanie pour vingtquatre mille Harudes récemment arrivés d'au delà du Rhin. Environnés d'ennemis et hors d'état de rien entreprendre, les Séquanais s'effrayèrent de leur situation. Dans la dure alternative ou de passer sous la domination d'Arioviste, ou de subir la protection de César, ils préféraient se soumettre au joug d'un peuple civilisé plutôt qu'à celui d'un peuple barbare, pourvu que les Éduens s'y soumissent avec eux, et ils résolurent de convoquer l'assemblée générale des Gaules pour aviser aux moyens de faire face aux circonstances. L'assemblée se réunit, elle fut nombreuse : les membres qui s'y trouvaient, craignant l'influence d'Arioviste et redoutant la colère de ce chef vindicatif, s'engagèrent par serment à ne point révéler les questions qui seraient discutées. La situation critique de la Séquanie fut exposée avec chaleur par les représentants de cette province, qui firent le sacrifice de leurs prétentions à la prééminence, et déterminèrent l'assemblée à se mettre sous la protection du peuple romain, pour éviter que la Gaule Celtique ne devint la proie d'Arioviste. Il fut unanimement décidé que l'on députerait vers César, à l'effet d'implorer son secours contre les Germains. C'était offrir aux projets de l'ambitieux proconsul une occasion trop belle pour qu'il ne s'empressât de la saisir, car elle servait doublement sa politique en acceptant le rôle de protecteur, il acquérait le droit de s'opposer aux empiétements des Barbares, qu'il voyait avec inquiétude s'habituer à passer le Rhin, et se jeter en si grand nombre dans la Gaule orientale, « que bientôt elle allait tout entière devenir Germanie, selon l'expression des Éduens. D'autre part, le proconsul, en accordant son alliance aux peuples qui la réclamaient, y trouvait l'avantage de pouvoir s'immiscer dans leurs affaires intérieures, d'entrer sur leur territoire, et de n'en plus sortir avant de s'en être assuré la possession. L'asservissement, voilà ce que coûtait d'ordinaire le patronage du peuple romain.

La députation gauloise vint trouver le proconsul dans son camp. Après l'avoir félicité de ses victoires sur les Helvètes, elle lui demanda de l'entretenir en particulier de choses d'une haute importance. César accorda l'audience sollicitée, et le druide Divitiac, ancien vergobret des Éduens', qui s'était précédemment exilé pour

Chez les Éduens, on nommait vergobret le président élu par le corps des notables. Le vergobret

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