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surprise. Il fut ordonné à cent des principaux de la cité de se rendre devant le porque de l'église de Saint-Jean, et là, « pieds nus, tête nue, en pure chemise, » ils recurent de la propre main de l'archevêque la discipline des verges. Jean Algrin croyait ainsi faire un exemple: il ne savait pas combien cette humiliation, qui rejaitissait sur tous les citoyens, devait laisser de haine au fond des âmes! Jean de Chalon perdit son titre de gardien de la cité, et la commune fut abolie, ainsi que les antres institutions conquises par la charte de 1191. Le prélat leva ensuite l'interdit, mais il ne ramena dans la ville qu'une tranquillité factice: les Bisontins ne pouvaient plus oublier qu'ils venaient d'être libres pendant trente ans, et ils devaient en fure ressouvenir les successeurs de Jean Algrin.

Un caline apparent renaissait à peine à Besançon, que la guerre civile ensanglanLait de nouveau la Comté de Bourgogne. Dès le mois de décembre 1225, Etienne I et le duc Othon de Méranie reprenaient les armes, et cette fois les hostilités revêtaient un caractère de cruauté qu'elles n'avaient pas encore eu. On ne connaît pas le motif de cette troisième guerre; peut-être le trouverait-on dans la méfiance réciproque qui partageait les deux branches de Bourgogne, trop antipathiques l'nne à l'autre, trop divisées d'intérêts, pour ne pas être ennemies. Elles avaient pu se rapprocher un moment, mais elles ne pouvaient en venir à une réconciliation sincère. Leur nouvelle querelle mit en feu toute la Comté, et, dans cet embrasement général, on remarqua que le nord de la province tenait pour la branche aînée, tandis que le tridi soutenait la branche cadette. Le comte Étienne avait avec lui Jean de Chalon son fils, Henri, tige de la maison de Vienne, Josserand de Brancion, Hugues de Fouvent, Ponce de Cicon et d'autres puissants seigneurs; il était, en outre, appuyé par la noblesse du Maconnais et par le duc de Bourgogne Hugues IV, possesseur depuis 1224 de la baronnie de Salins, que lui avait vendue le sire Josserand de Brancion, second mari de Marguerite, fille et héritière de Gaucher IV de Salins'. Le duc Othon de Méranie ne comptait pas dans le pays des soutiens assez nombreux et redoutables pour pouvoir lutter avec ses seules forces contre son rival: prévoyant qu'il serait accablé, il appela l'étranger. Des troupes lorraines entrèrent dans la Comté de Bourgogne, sous la conduite de Henri II, comte de Bar, qui attaqua les chateaux d'Etienne; mais Henri II était un jeune prince encore plus téméraire que brave, et son imprudence le fit tomber, dès les premiers jours de la guerre, entre les mains de son ennemi : il n'obtint sa liberté que six mois après, au moyen d'une Tacon considérable. Privé de l'appui du comte de Bar, Othon de Méranie se chercha de nouveaux auxiliaires; il fit alliance avec Thibaut IV, comte de Champagne, et les secours que lui amena ce prince, en égalant à peu près les forces de part et d'autre, redirent les hostilités plus longues et plus sanglantes. On se battit avec acharnent; dans l'attaque comme dans la défense, on ne recula devant aucun moyen pour accabler son adversaire. Ce fut une des guerres les plus cruelles et les plus caLanteuses dont la Comté de Bourgogne ait eu à souffrir des rivalités envenimées par les haines de famille; des représailles autorisées par d'autres représailles; des

* Cette baronnie comprenait le Bourg-Dessus ou Bourg-le-Sire de Salins, la grande saline, les chateaux d'alentour avec leurs dépendances, et beaucoup d'autres fiefs.

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violences, des meurtres, des incendies, des actes de pillage chaque jour renouvelés; des forteresses prises et reprises; des moissons ravagées et des chaumières détruites; partout le fer et la flamme, partout des cœurs implacables et des bras impatients de frapper voilà ce que fut cette guerre'. Les détails nous en sont peu connus; mais l'ensemble des événements nous montre qu'Étienne n'eut pas l'avantage pour lui: les forces réunies du comte palatin et du comte de Champagne renversèrent coup sur coup cinq de ses principales forteresses, Gray-le-Mont, Liesle, Rosey, Flageolet, Montbarrey; et ils étaient sur le point d'attaquer plusieurs autres châteaux de leur ennemi, lorsque le cardinal de Saint-Ange, légat du pape, vint faire suspendre les hostilités. La médiation de ce cardinal amena plus tard, entre les parties belligérantes, une paix définitive, qui fut conclue le 16 juin 1227. Cette fois, le comte Etienne ne dictait pas les conditions; il lui fallut accepter celles qu'on lui imposa: il se vit condamné à faire hommage au duc de Méranie de toutes les forteresses qu'il avait construites depuis la première guerre, à raser jusqu'aux fossés les murs de son château de Chavigny, qu'il possédait près de Dôle, et à ne pouvoir relever que deux des cinq forteresses renversées en dernier lieu. Telle fut la solution de ces longues et sanglantes rivalités, funestes à la branche cadette, qui avait abouti à un échec; honteuses pour la branche ainée, qui n'avait vaincu qu'à l'aide de l'étranger; calamiteuses pour le pays, qui en sortait dévasté et ruiné; profitables seulement aux intérêts des princes du voisinage qui étaient intervenus dans cette querelle de famille. Ainsi, le duc de Bourgogne Hugues IV, l'allié d'Étienne, prit racine dans la Comté par l'acquisition de la baronnie de Salins, et s'occupa d'y accroître ses domaines; le comte de Champagne Thibaut IV, l'auxiliaire d'Othon de Méranie, devint en quelque sorte le maitre de la province. Peu de mois après le traité de 1227, le duc Othon de Méranie, épuisé de ressources et de finances, par suite des guerres qu'il venait de soutenir, engageait à Thibaut la Comté de Bourgogne pour quinze mille livres estevenantes d'après l'acte, qui fut passé le lundi de l'octave de la Toussaint 1227, le tiers des revenus devait être consacré au remboursement de cette dette, et les deux autres tiers représentaient l'indemnité due au comte de Champagne pour ses peines et ses frais. Puis le duc de Méranic, pressé de retourner en Allemagne, auprès de l'empereur Frédéric II, confia la garde de la Comté à ce même Thibaut de Champagne, qui remplaça ainsi le souverain. Il était plus qu'imprudent, il était malhabile d'abandonner à un étranger, surtout à un étranger aussi puissant que le comte de Champagne, l'administration d'un pays où l'autorité des princes allemands avait déjà tant perdu de sa force matérielle et morale d'un côté, on indisposait les Comtois, humiliés de se voir placés sous la protection d'un étranger; de l'autre, on cffrait au comte de Champagne l'occasion de tenter la fortune au profit de son ambition. Cette espèce d'interrègne entretint dans la province une sourde inquiétude : aucune guerre n'éclata cependant; mais la cause à laquelle il faut attribuer le maintien de la paix fut le traité conclu au mois de février 1231 entre les deux branches

On attribue à l'époque des rivalités entre les deux branches de Bourgogne la construction d'un grand nombre des châteaux forts qui couvraient autrefois la Franche-Comté, et dont ce pays présente encore des ruines en maints endroits.

de Bourgogne, et qui confondit leurs droits le duc de Méranie engageait, par ce traité, la main d'Alix, l'une de ses filles, au jeune Hugues, fils aîné de Jean de Chalon. Divers motifs firent ajourner le mariage à l'année 1236: Othon de Méranie ne le vit pas s'accomplir; il mourut en Allemagne, le 6 mai 1234, en laissant pour héritier un enfant de quatorze ou quinze ans, qui lui succéda sous le nom d'Othon III. Un évêque et un baron s'emparèrent de la tutelle de cet enfant, et la Comté de Bourgogne continua d'être administrée par Thibaut de Champagne. Il n'y eut rien de changé dans la situation générale du pays: le comte de Champagne, à qui la province servait de gage en attendant le rachat de la dette contractée envers lui par le duc Othon II, s'occupait de toucher les revenus annuels des domaines, tant pour l'intérêt de sa créance que pour ses frais de garde; le duc de Bourgogne, déjà maître de la baronnie de Salins, continuait à s'agrandir au sein de la Comté; et cet état de choses, c'est-à-dire la défiance qu'inspiraient d'un côté les projets ambitieux du duc de Bourgogne, les haines que soulevait d'autre part l'administration étrangère du comte de Champagne, jetaient le pays dans une inquiétude et une irritation qui menaçaient à chaque instant la paix publique. Cependant on n'eut pas à déplorer les malheurs d'une quatrième guerre civile: l'orage resta suspendu au-dessus des têtes, mais il n'éclata pas. La crainte que l'on avait de l'empereur Frédéric II, protecteur déclaré du comte palatin; l'influence de Jean de Chalon, toute-puissante alors et qui servait à contenir les mécontentements et les inimitiés; l'extinction des rivalités entre les deux branches de Bourgogne, par le mariage de Hugues de Chalon avec Alix de Méranie, ces diverses causes et quelques autres empêchèrent le renouvelleinent des dissensions armées. Quant au palatin Othon III, on connaissait à peine son nom dans la Comté ce jeune prince ne quittait pas l'Allemagne, qu'il considérait comme sa véritable patrie, et il vint en 1241 visiter pour la première fois le pays dont il était souverain. Ce fut pendant ce séjour qu'il retira la province des mains du comte de Champagne en lui remboursant sa créance de quinze mille livres. Après cet acte, Othon III traita de la garde de la Comté avec Hugues IV, duc de Bourgogne Les négociations à ce sujet trainèrent longtemps: entamées à la fin de 1241, elles ne furent terminées qu'en octobre 1242, par suite de la difficulté que l'on avait eu à s'entendre sur les conditions. Aux termes du traité, la garde du pays était confiée au duc de Bourgogne pour cinq ans, pendant lesquels il se peut et se pourra aidier de la terre, et des hommes et des fiefs, contre toutes gens, sauve la feauté à l'emperour de Rome.» Les fiefs que possédait Othon III dans le pays se réduisaient alors à fort peu de chose : il ne lui restait en propre que Poligny et quelques on by left chateaux, celui de Baume et celui de Vesoul par exemple. Toutes les autres villes et al fir forteresses se trouvaient inféodées aux grandes familles de la province, mais principalement à la branche cadette de Bourgogne. Cette fatale imprévoyance allait se traduire par la ruine de la domination méranienne au sein de la Comté.

Disons, en passant, quelques mots de Vesoul, Baume et Poligny, dont les noms viennent de se rencontrer sous notre plume. D'après plusieurs érudits, Vesoul aurait une origine très-ancienne. Le professeur Bullet fait dériver son nom du celtique Besol ou Besul, qui signifie pointu ou aigu, Vesoul ayant été ainsi appelé à cause de la montagne de forme conique (la Motte de Vesoul) au pied de laquelle cette ville

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est assise. Un autre savant, M. Johanneau, tire le nom de Vesoul des deux mots celtes Bez ou Vez, tombeau, et Haul ou Houl, soleil, c'est-à-dire tombeau du soleil. De telles étymologies nous paraissent aussi hasardées que la version qui présente Vesoul comme une antique cité de la Séquanic et nous la montre refusant d'ouvrir ses portes à l'Éduen Julius Sabinus, lors de sa révolte contre l'empereur Vespasien, en l'année 69 de l'ère chrétienne. On ne possède pas plus la preuve historique de ce fait, qu'on ne possède des données certaines sur l'époque de la fondation de Vesoul tout ce que l'on a dit à ce sujet est purement conjectural, et l'histoire n'a pas à s'en occuper, elle ne doit admettre que les certitudes. Il faut arriver jusqu'à la fin du neuvième siècle avant de rencontrer un document authentique où le~ nom de Vesoul soit consigné pour la première fois la Relation des miracles de saint Adelphe, écrite en 899, parle d'une jeune Vésulienne qui fut guérie en touchant les reliques du saint, et c'est à ce propos que Vesoul se trouve mentionné; le légendaire l'indique par le mot de castrum vesulium. Ainsi, en 899, cette ville ne consistait encore qu'en un castrum ou forteresse; mais elle se développa rapidement, et le fait suivant prouve qu'au commencement du onzième siècle elle était déjà considérable: en 1019, on voit un Gislebert, vicomte de Vesoul, signer à Portsur-Saône une charte du comte Othe-Guillaume au profit de l'abbaye de Saint-Balain en Piémont. Or il n'y avait de vicomtes que dans les villes importantes. Ce Gislebert est le premier seigneur connu de la célèbre maison de Faucogney. Gislebert II, de la même famille que le précédent, et comme lui vicomte de Vesoul, fonda, tout près du château construit sur la Motte, le prieuré du Marteroy, devenu célèbre par la suite; ce fut l'archevêque de Besançon, Hugues III, l'un des fils du comte Guillaume le Grand, qui consacra lui-même, en 1092, l'église de ce prieuré. L'importance de Vesoul s'accrut notablement dans le cours du douzième siècle dès 1150, si ce n'est plus tôt, cette ville possédait vicomte, maire et prévôt, ayant chacun leurs droits, leur juridiction particulière, et l'on voit, à la date de 1162, Gislebert III, sire de Faucogney, prendre dans un acte de donation le titre souverain de vicomte de Vesoul par la grâce de Dieu. Nous aurons plus tard occasion de parler des événements historiques dont cette ville fut le théâtre.

Baume est dans la position de Vesoul en ce qui concerne l'époque de sa fondation : l'origine celtique qu'on lui attribue ne repose également que sur des conjectures, et il n'est pas plus possible d'établir l'authenticité de cette origine que de vérifier historiquement l'opinion qui fait de Baume l'ancienne capitale du Varasque. Cette ville n'a d'existence certaine qu'à partir du neuvième siècle; elle commençait à poindre, mais elle se développa rapidement, et dès le onzième siècle elle figurait parmi les lieux les plus considérables de la Comté de Bourgogne: divers monuments nous apprennent qu'elle comptait alors une population de cinq mille ames. Baume devait en grande partie son importance à sa célèbre abbaye de dames nobles bénédictines, fondée vers les dernières années du sixième siècle, selon les uns, et selon d'autres, dans la seconde moitié du siècle suivant: l'abbesse de ce monastère était à la nomination du souverain; elle étendait son patronage sur plusieurs cures et paroisses et pouvait conférer des bénéfices Outre la supérieure et ses novices, il y avait dans cette abbaye onze chanoinesses préhendées, qui prirent plus tard le titre de com

tesses. Dès le dixième siècle, Baume se divisait en ville haute et ville basse : la ville haute, bâtie sur la montagne de Saint-Léger, fut détruite par Berthod IV, duc de Zeringhen, à l'époque où l'empereur Frédéric-Barberousse avait fait alliance avec ce seigneur pour reprendre au perfide Guillaume de Mâcon l'héritage de Béatrice, fille de Rainaud III; et cette guerre commença la décadence de Baume. Depuis lors, la ville a été réduite à l'étendue qu'on lui voit aujourd'hui.

Les doutes qui planent sur l'antiquité de Baume et de Vesoul disparaissent à l'égard de Poligny. Ici les preuves d'une origine reculée sont manifestes: la fameuse pierre qui vire et les débris d'un autre monument de même style témoignent de l'existence de cette ville à l'époque druidique; les différents objets d'arts que l'on a découverts sur son territoire, ses restes de voies romaines, ses débris de bains et d'aqueduc, surtout les ruines du palais des Chambrettes, nous révèlent le haut rang qu'elle occupait sous la domination des Romains. Poligny fut l'une des cités séquanaises qui eurent le plus à souffrir des diverses invasions barbares il ne resta rien de cette ville, et jusqu'au huitième siècle il n'est plus question d'elle. On la voit reprendre vie au temps de Charlemagne; elle se développe dans le cours du neuvièmie siècle; elle se range, dès le règne de Charles le Chauve, parmi les localités impor tantes du comté de Varasque, puis elle retombe dans la ruine, lors du passage des Normands et des Hongrois. Poligny se releva lentement de ses désastres et ne redevint un peu considérable que vers la fin du douzième siècle; mais, à l'époque où cette ville appartenait au comte palatin Othon III, une population déjà nombreuse commençait à se grouper sur son territoire.

Othon III avait regagné l'Allemagne, après avoir réglé la question relative à lat garde de la Comté de Bourgogne il ne devait pas revoir cette province. Six ans plus tard, le 19 juin 1248, ce jeune prince rendait le dernier soupir, au milien d'horribles souffrances: il mourait victime d'un double crime commis à l'aide du fer et du poison. On ignore la cause de ce meurtre; mais on sait que le principa! auteur de l'attentat s'appelait Hérold de Haag, et que cet homme était un des chevaliers attachés à la suite d'Othon. L'infortuné prince n'avait pas trente ans lorsqu'il termina ses jours d'une manière si tragique. Othon ne laissait pas de postérité. Après sa mort commença le règne d'une nouvelle dynastie, qui s'établit sans secousse et sans opposition au sein du pays: ce fut la dynastie de la branche cadette de Bourgogne. Les barons comtois étaient depuis longtemps dégoûtés de la domination de la branche aînée, dont l'origine étrangère les humiliait, et, Othon III expiré, ils avaient reconnu pour comte palatin Hugues de Chalon, le mari d'Alix de Méranie. L'avénement de la maison de Chalon exerça sans doute une très-grande influence sur les destinées de la Comté de Bourgogne, mais il ne marqua pas, comme on l'a dit à tort, la fin de la suzeraineté impériale dans le pays. La suite de ce livre prouvera surabondamment le contraire, et, sans aller bien loin en chercher un exemple, l'histoire nous montre Hugues de Chalon lui-même se reconnaissant le vassal del'Empire dans un traité à la date du mois de juillet 1251, on voit ce prince et sa femme Alix faire alliance avec le duc de Bourgogne « contre toutes gens, sauve la féauté à l'emperour d'Alemaigne, qui doit estre nostre sire. » A un aveu si explicite on ne peut rien opposer.

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