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généraux sans expérience, que l'intrigue lui avait fait préférer. Plus d'une fois les troupes, assiégées dans leur. camp et réduites aux plus fâcheuses extrémités, implorèrent son secours. Alors il dirigeait les opérations, repoussait l'ennemi, et ramenait tranquillement l'armée, sans se souvenir de l'injustice de sa patrie, ni du service qu'il venait de lui rendre.

Il ne négligeait aucune circonstance pour relever le courage de sa nation et la rendre redoutable aux autres peuples. Avant sa première campagne du Péloponèse il engagea quelques Thébains à lutter contre les Lacédémoniens qui se trouvaient à Thèbes : les premiers eurent l'avantage; et dès ce moment ses soldats commencèrent à ne plus craindre les Lacédémoniens. Il campait en Arcadie; c'était en hiver. Les députés d'une ville voisine vinrent lui proposer d'y entrer, et d'y prendre des logements. Non," dit Epaminondas à ses officiers; "s'ils nous voyaient assis auprès du feu, ils nous prendraient pour des hommes ordinaires. Nous resterons ici malgré la rigueur de la saison. Témoins de nos luttes et de nos exercices, ils seront frappés d'étonnement."

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Épaminondas, sans ambition, sans vanité, sans intérêt, éleva en peu d'années sa nation au point de grandeur où nous avons vu les Thébains. Il opéra ce prodige, d'abord par l'influence de ses vertus et de ses talents: en même temps qu'il dominait sur les esprits par la supériorité de son génie et de ses lumières, il disposait à son gré des passions des autres, parcequ'il était maître des siennes. Mais ce qui accéléra ses succès, ce fut la force de son caractère. Son âme indépendante et altière fut indignée de bonne heure de la domination que les Lacédémoniens et les Athéniens avaient exercée sur les Grecs en général, et sur les Thébains en particulier. Il leur voua une haine qu'il aurait renfermée en lui-même: mais, dès que sa patrie lui eut confié le soin de sa vengeance, il brisa les fers des nations, et devint conquérant par devoir. Il forma le projet aussi hardi que nouveau d'attaquer les Lacédémoniens jusque dans le centre de leur empire, et de les dépouiller de cette prééminence dont ils jouissaient depuis tant de siècles; il le suivit avec obstination, au mépris de leur puissance, de leur gloire, de leurs alliés, de

leurs ennemis, qui voyaient d'un œil inquiet ces progrès rapides des Thébains.

*

Si la mort n'avait terminé ses jours au milieu d'un triomphe qui ne laissait plus de ressources aux Lacédémoniens, il aurait demandé raison aux Athéniens des victoires qu'ils avaient remportées sur les Grecs, et enrichi, comme il le disait lui-même, la citadelle de Thèbes des monuments qui décorent celle d'Athènes.

Voyage d'Anacharsis.

COMBAT DES THERMOPYLES.

LEONIDAS pressait sa marche: il voulait, par son exemple, retenir dans le devoir plusieurs villes prêtes à se déclarer pour les Perses; il passa par les terres des Thébains, dont la foi était suspecte, et qui lui donnèrent néanmoins quatre cents hommes avec lesquels il alla se camper aux Thermopyles.

Ce pas est l'unique voie par laquelle une armée puisse pénétrer de la Thessalie dans la Locride, la Phocide, la Béotie, l'Attique, et les régions voisines.

Le chemin n'offre d'abord que la largeur nécessaire pour le passage d'un chariot; il se prolonge ensuite entre des marais que forment les eaux de la mer et des rochers presque inaccessibles qui terminent la chaîne des montagnes connues sous le nom d'Eta.

Léonidas plaça son armée auprès du bourg d'Anthéla, rétablit le mur des Phocéens, et jeta en avant quelques troupes pour en défendre les approches. Mais il ne suffisait pas de garder le passage qui est au pied de la montagne; il existait sur la montagne même un sentier qui commençait à la plaine de Trachis, et qui, après différents détours, aboutissait auprès du bourg d'Alpénus. Léonidas en confia la défense aux mille Phocéens qu'il avait avec lui, et qui allèrent se placer sur les hauteurs du mont Eta.

Ces dispositions étaient à peine achevées, que l'on vit l'armée de Xercès se répandre dans la Trachinie, et

* Il tomba percé d'un javelot, à la bataille de Mantinée.

couvrir la plaine d'un nombre infini de tentes. A cet aspect, les Grecs délibérèrent sur le parti qu'ils avaient à prendre. La plupart des chefs proposaient de se retirer à l'isthme; mais Léonidas ayant rejeté cet avis, on se contenta de faire partir des courriers pour presser le secours des villes alliées.

Alors parut un cavalier perse, envoyé par Xercès pour reconnaître les ennemis. Le poste avancé des Grecs était, ce jour-là, composé des Spartiates: les uns s'exerçaient à la lutte; les autres peignaient leur chevelure; car leur premier soin, dans ces sortes de dangers, est de parer leurs têtes. Le cavalier eut tout le loisir d'en approcher, de les compter, de se retirer, sans qu'on daignât prendre garde à lui. Comme le mur lui dérobait la vue du reste de l'armée, il ne rendit compte à Xercès que des trois cents hommes qu'il avait vus à l'entrée du défilé.

Le roi, étonné de la tranquillité des Lacédémoniens, attendit quelques jours pour leur laisser le temps de la réflexion. Le cinquième, il écrivit à Léonidas: "Si tu veux te soumettre, je te donnerai l'empire de la Grèce." Léonidas répondit: "J'aime mieux mourir pour ma patrie, que de l'asservir." Une seconde lettre du roi ne contenait que ces mots: "Rends-moi tes armes." Léonidas écrivit au-dessous: "Viens les prendre."

Xercès, outré de colère, fait marcher les Mèdes et les Cissiens, avec ordre de prendre ces hommes en vie, et de les lui amener sur-le-champ. Quelques soldats courent à Léonidas, et lui disent: "Les Perses sont près de nous." Il répond froidement: "Dites plutôt que nous sommes près d'eux." Aussitôt il sort du retranchement avec l'élite de ses troupes et donne le signal du combat. Les Mèdes s'avancent en fureur; leurs premiers rangs tombent percés de coups; ceux qui les remplacent éprouvent le même sort. Les Grecs, pressés les uns contre les autres, et couverts de grands boucliers, présentent un front hérissé de longues piques. De nouvelles troupes se succèdent vainement pour les rompre. Après plusieurs attaques infructueuses, la terreur s'empare des Mèdes; ils fuient, et sont relevés par le corps des dix mille Immortels que commandait

Hydarnès. L'action devint alors plus meurtrière. La valeur était peut-être égale de part et d'autre ; mais les Grecs avaient pour eux l'avantage des lieux et la supériorité des armes. Les piques des Perses étaient trop courtes, et leurs boucliers trop petits; ils perdirent beaucoup de monde, et Xercès, témoin de leur fuite, s'élança, dit-on, plus d'une fois de son trône, et craignit pour son armée.

Le lendemain le combat recommença, mais avec si peu de succès de la part des Perses, que Xercès désespérait de forcer le passage. L'inquiétude et la honte agitaient son âme orgueilleuse et pusillanime, lorsqu'un habitant de ces cantons, nommé Epialtès, vint lui découvrir le sentier fatal par lequel on pouvait tourner les Grecs. Xercès, transporté de joie, détacha aussitôt Hydarnès avec le corps des Immortels. Épialtès leur sert de guide: ils partent au commencement de la nuit; ils pénètrent dans le bois de chênes dont les flancs de ces montagnes sont couverts, et parviennent vers les lieux où Léonidas avait placé un détachement de son armée.

Hydarnès le prit pour un corps de Spartiates; mais, rassuré par Épialtès qui reconnut les Phocéens, il se préparait au combat, lorsqu'il vit ces derniers, après une légère défense, se réfugier sur les hauteurs voisines. Les Perses continuèrent leur route.

Pendant la nuit, Léonidas avait été instruit de leur projet par des transfuges échappés du camp de Xercès; et, le lendemain matin, il le fut de leurs succès par des sentinelles accourues du haut de la montagne. A cette terrible nouvelle, les chefs des Grecs s'assemblèrent. Comme les uns étaient d'avis de s'éloigner des Thermopyles, les autres d'y rester, Léonidas les conjura de se réserver pour des temps plus heureux, et déclara que, quant à lui et à ses compagnons, il ne leur était pas permis de quitter un poste que Sparte leur avait confié. Les Thespiens protestèrent qu'ils n'abandonneraient point les Spartiates; les quatre cents Thébains, soit de gré, soit de force, prirent le même parti; le reste de l'armée eut le temps de sortir du défilé.

Cependant Léonidas se disposait à la plus hardie des

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entreprises: "Ce n'est point ici," dit-il à ses compagnons, 'que nous devons combattre ; il faut marcher à la tente de Xercès, l'immoler, ou périr au milieu de son camp." Les soldats ne répondirent que par un cri de joie. Il leur fait prendre un repas frugal, en ajoutant: "Nous en prendrons bientôt un autre chez Pluton." Toutes ses paroles laissaient une impression profonde dans les esprits. Près d'attaquer l'ennemi, il est ému sur le sort de deux Spartiates qui lui étaient unis par le sang et par l'amitié il donne au premier une lettre, au second une commission secrète pour les magistrats de Lacédémone. "Nous ne sommes pas ici," lui disent-ils, "pour porter des ordres, mais pour combattre ; sans attendre sa réponse, ils vont se placer dans les rangs qu'on leur avait assignés.

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Au milieu de la nuit, les Grecs, Léonidas à leur tête, sortent du défilé, avancent à pas redoublés dans la plaine, renversent les postes avancés, et pénètrent dans la tente de Xercès, qui avait déjà pris la fuite: ils entrent dans les tentes voisines, se répandent dans le camp, et se rassasient de carnage. La terreur qu'ils inspirent se reproduit à chaque pas, à chaque instant, avec des circonstances plus effrayantes. Des bruits sourds, des cris affreux, annoncent que les troupes d'Hydarnès sont détruites; que toute l'armée le sera bientôt par les forces réunies de la Grèce. Les plus courageux des Perses ne pouvant entendre la voix de leurs généraux, ne sachant où porter leurs pas, où diriger leurs coups, se jetaient au hasard dans la mêlée, et périssaient par les mains les uns des autres, lorsque les premiers rayons du soleil offrirent à leurs yeux le petit nombre des vainqueurs. Ils se forment aussitôt, et attaquent les Grecs de toutes parts. Léonidas tombe sous une grêle de traits. L'honneur d'enlever son corps engage un combat terrible entre ses compagnons et les troupes les plus aguerries de l'armée persane. Deux frères de Xercès, quantité de Perses, plusieurs Spartiates y perdirent la vie. A la fin, les Grecs, quoique épuisés et affaiblis par leurs pertes, enlèvent leur général, repoussent quatre fois l'ennemi dans leur retraite; et, après avoir gagné le défilé, franchissent le retranchement, et vont se placer sur la petite colline

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