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lors de la majesté du plus grand des dieux, et de la gloire future du peuple romain. Tout le reste répondait à cette grandeur. Les principaux temples, les marchés, les bains, les places publiques, les grands chemins, les aqueducs, les cloaques même et les égouts de la ville, avaient une magnificence qui paraîtrait incroyable, si elle n'était attestée par tous les historiens, et confirmée par les restes que nous en voyons. Que dirai-je de la pompe des triomphes, des cérémonies de la religion, des jeux et des spectacles qu'on donnait au peuple? En un mot, tout ce qui servait au public, tout ce qui pouvait donner aux peuples une grande idée de leur commune patrie, se faisait avec profusion autant que le temps le pouvait permettre. L'épargne régnait seulement dans les maisons particulières. Celui qui augmentait ses revenus et rendait ses terres plus fertiles par son industrie et par son travail, qui était le meilleur économe, et prenait le plus sur lui-même, s'estimait le plus libre, le plus puissant, et le plus heureux.

Il n'y a rien de plus éloigné d'une telle vie, que la mollesse. Tout tendait plutôt à l'autre excès; je veux dire, à la dureté. Aussi les mœurs des Romains avaientelles naturellement quelque chose, non-seulement de rude et de rigide, mais encore de sauvage et de farouche. Mais ils n'oublièrent rien pour se réduire eux-mêmes sous de bonnes lois; et le peuple le plus jaloux de sa liberté que l'univers ait jamais vu, se trouva en même temps le plus soumis à ses magistrats et à la puissance légitime.

La milice d'un tel peuple ne pouvait manquer d'être admirable, puisqu'on y trouvait, avec des courages fermes et des corps vigoureux, une si prompte et si exacte obéis

sance.

Les lois de cette milice étaient dures, mais nécessaires. La victoire était périlleuse, et souvent mortelle à ceux qui la gagnaient contre les ordres. Il y allait de la vie, non-seulement à fuir, à quitter ses armes, à abandonner son rang, mais encore à se remuer, pour ainsi dire, et à branler tant soit peu sans le commandement du général. Qui mettait les armes bas devant l'ennemi, qui aimait mieux se laisser prendre que de mourir glorieusement

pour sa patrie, était jugé indigne de toute assistance. Pour l'ordinaire on ne comptait plus les prisonniers parmi les citoyens, et on les laissait aux ennemis comme des membres retranchés de la république. Vous avez vu dans Florus et dans Cicéron l'histoire de Régulus, qui persuada au sénat, aux dépens de sa propre vie, d'abandonner les prisonniers aux Carthaginois. Dans la guerre d'Annibal, et après la perte de la bataille de Cannes, c'est-à-dire, dans le temps où Rome épuisée par tant de pertes manquait le plus de soldats, le sénat aima mieux armer, contre sa coutume, huit mille esclaves que de racheter huit mille Romains qui ne lui auraient pas plus coûté que la nouvelle milice qu'il fallut lever. Mais, dans la nécessité des affaires, on établit plus que jamais comme une loi inviolable, qu'un soldat romain devait ou vaincre ou mourir. Disc. sur l'hist. universelle.

FÉNELON.

FRANÇOIS DE SALIGNAC DE LAMOTHE-FENELON naquit en 1651, au château de Fénelon en Périgord. Membre de l'Académie fran.. çaise, il fut nommé précepteur du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV., et ensuite archévêque de Cambrai; c'est là qu'il passa les dix-huit dernières années de sa vie, dans la pratique de toutes les vertus religieuses et dans la culture des lettres.

Ses principaux ouvrages sont les Aventures de Télémaque, chefd'œuvre de style poétique et de morale, composé pour son élève le duc de Bourgogne; un Traité de l'existence de Dieu; un Traité de l'éducation des filles ; des Dialogues des morts; des Fables en prose, pleines de grâce et de naturel.

Il mourut en 1715, à l'âge de soixante-quatre ans.

LA VILLE DE TYR ET LES PHÉNICIENS.

J'ADMIRAIS l'heureuse situation de cette grande ville, qui est au milieu de la mer dans une île. La côte voisine est délicieuse par sa fertilité, par les fruits exquis qu'elle porte, par le nombre de villes et de villages qui se touchent presque; enfin, par la douceur de son climat: car

les montagnes mettent cette côte à l'abri des vents brûlants du midi : elle est rafraîchie par le vent du nord qui souffle du côté de la mer. Ce pays est au pied du Liban, dont le sommet fend les nues et va toucher les astres; une glace éternelle couvre son front; des fleuves pleins de neige tombent, comme des torrents, des pointes des rochers qui environnent sa tête. Au-dessous on voit une vaste forêt de cèdres antiques, qui paraissent aussi vieux que la terre où ils sont plantés, et qui portent leurs branches épaisses jusque vers les nues. Cette forêt a sous ses pieds de gras pâturages dans la pente de la montagne. C'est là qu'on voit les taureaux qui mugissent, les brebis qui bêlent avec leurs tendres agneaux qui bondissent sur l'herbe: là coulent mille ruisseaux d'uno eau claire. Enfin, on voit au-dessous de ces pâturages le pied de la montagne, qui est comme un jardin le printemps et l'automne y règnent ensemble pour y joindre les fleurs et les fruits. Jamais ni le souffle empesté du midi, qui sèche et qui brûle tout, ni le rigoureux aquilon, n'ont osé effacer les vives couleurs qui ornent ce jardin.

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C'est auprès de cette belle côte que s'élève dans la mer l'île où est bâtie la ville de Tyr. Cette grande ville semble nager au-dessus des eaux, et être la reine de la mer. Les marchands y abordent de toutes les parties du monde, et ses habitants sont eux-mêmes les plus fameux marchands qu'il y ait dans l'univers. Quand on entre dans cette ville, on croit d'abord que ce n'est point une ville qui appartient à un peuple particulier, mais qu'elle est la ville commune de tous les peuples, et le centre de leur commerce. Elle a deux grands môles semblables à deux bras qui s'avancent dans la mer, et qui embrassent un vaste port où les vents ne peuvent entrer. Dans ce port on voit comme une forêt de mâts de navires; et ces navires sont si nombreux, qu'à peine peut-on découvrir la mer qui les porte. Tous les citoyens s'appliquent au commerce, et leurs grandes richesses ne les dégoûtent jamais du travail nécessaire pour les augmenter. On y voit, de tous côtés, le fin lin d'Égypte, et la pourpre Tyrienne, deux fois teinte d'un éclat merveilleux: cette double teinture est si vive, que le temps

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ne peut l'effacer on s'en sert pour des laines fines qu'on rehausse d'une broderie d'or et d'argent. Les Phéniciens ont le commerce de tous les peuples jusqu'au détroit de Gadès, et ils ont même pénétré dans le vaste océan qui environne toute la terre. Ils ont fait aussi de

longues navigations sur la Mer Rouge; et c'est par ce chemin qu'ils vont chercher dans des îles inconnues, de l'or, des parfums, et divers animaux qu'on ne voit point ailleurs.

Je ne pouvais rassasier mes yeux du spectacle magnifique de cette grande ville où tout était en mouvement. Je n'y voyais point, comme dans les villes de la Grèce, des hommes oisifs et curieux, qui vont chercher des nouvelles dans la place publique, ou regarder les étrangers qui arrivent sur le port. Les hommes sont occupés à décharger leurs vaisseaux, à transporter leurs marchandises ou à les vendre, à ranger leurs magasins, et à tenir un compte exact de ce qui leur est dû par les négociants étrangers. Les femmes ne cessent jamais ou de filer les laines, ou de faire des desseins de broderie, ou de plier les riches étoffes.

D'où vient, disais-je à Narbal, que les Phéniciens se sont rendus les maîtres du commerce de toute la terre, et qu'ils s'enrichissent ainsi aux dépens de tous les autres peuples? Vous le voyez, me répondit-il: la situation de Tyr est heureuse pour le commerce. C'est notre patrie qui a la gloire d'avoir inventé la navigation : les Tyriens furent les premiers, s'il en faut croire ce qu'on raconte de la plus obscure antiquité, qui domptèrent les flots, longtemps avant l'âge de Tiphis et des Argonautes tant vantés dans la Grèce; ils furent, dis-je, les premiers qui osèrent se mettre dans un frêle vaisseau à la merci des vagues et des tempêtes, qui sondèrent les abîmes de la mer, qui observèrent les astres loin de la terre, suivant la science des Egyptiens et des Babyloniens; enfin qui réunirent tant de peuples que la mer avait séparés. Les Tyriens sont industrieux, patients, laborieux, propres, sobres et ménagers: ils ont une exacte police; ils sont parfaitement d'accord entre eux: jamais peuple n'a été plus constant, plus sincère, plus fidèle, plus sûr, plus commode à tous les étrangers.

Voilà, sans aller chercher d'autres causes, ce qui leur donne l'empire de la mer, et qui fait fleurir dans leur port un si utile commerce. Si la division et la jalousie se mettaient entre eux; s'ils commençaient à s'amollir dans les délices et dans l'oisiveté; si les premiers de la nation méprisaient le travail et l'économie; si les arts cessaient d'être en honneur dans leur ville; s'ils manquaient de bonne foi envers les étrangers; s'ils altéraient tant soit peu les règles d'un commerce libre; s'ils négligeaient leurs manufactures, et s'ils cessaient de faire les grandes avances qui sont nécessaires pour rendre leurs marchandises parfaites, chacune dans son genre, vous verriez bientôt tomber cette puissance que vous admirez.

Mais expliquez-moi, lui disais-je, les vrais moyens d'établir un jour à Ithaque un pareil commerce. Faites, me répondit-il, comme on fait ici: recevez bien et facilement tous les étrangers: faites-leur trouver dans vos ports la sûreté, la commodité, la liberté entière: ne vous laissez jamais entraîner ni par l'avarice ni par l'orgueil. Le vrai moyen de gagner beaucoup est de ne vouloir jamais trop gagner, et de savoir perdre à propos. Faites-vous aimer par tous les étrangers; souffrez même quelque chose d'eux; craignez d'exciter leur jalousie par votre hauteur; soyez constant dans les règles du commerce; qu'elles soient simples et faciles; accoutumez vos peuples à les suivre inviolablement; punissez sévèrement la fraude, et même la négligence ou le faste des marchands, qui ruine le commerce en ruinant les hommes qui le font. Surtout n'entreprenez jamais de gêner le commerce pour le tourner selon vos vues. Il faut que le prince ne s'en mêle point, de peur de le gêner, et qu'il en laisse tout le profit à ses sujets qui en ont la peine; autrement il les découragera; il en tirera assez d'avantages, par les grandes richesses qui entreront dans ses états. Le commerce est comme certaines sources; si vous voulez détourner leur cours vous les faites tarir.

Il n'y a que le profit et la commodité qui attirent les étrangers chez vous: si vous leur rendez le commerce moins commode et moins utile, ils se retirent insensiblement et ne reviennent plus, parce que d'autres peuples,

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