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Oh! mon bon monsieur, quand je la vois, je ne la crains pas, grâce à Dieu, mon briquet ne crains personne. Mais mon briquet ne peut aller que dans une main, et ce serpent de couteau passe d'une main dans l'autre ; il vous voit quand vous ne le voyez pas, et il entre comme dans la mie de ce pain.

Vous vous êtes longtemps battu contre les guérillas ; c'est une mauvaise guerre.

c'est derrière.

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Mauvaise! on ne sait pas où elle est. Le chemin est toujours ouvert, il n'y a jamais d'ennemis devant; mais Quand on veut seulement aller boire à un trou, ou couper du bois, il faut se garder de toutes les pierres. Tout-à-coup il en sort un de ces bons garçons que vous voyez là, et vous n'avez pas le temps de crier vive l'empereur, que vous êtes mort. Pardon, ajouta le bon sergent, vous savez que, quand nous nous battions contre ces gens-là, c'est vive l'empereur que l'on criait alors. Et lui, savez-vous, n'entendait pas que nous eussions peur. Dans la campagne d'Égypte

Vous vous souvenez, monsieur, de la campagne d'Egypte.....?

Pas tout-à-fait, car je n'y étais pas; mais j'en ai ouï parler.

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Eh bien! je vais vous dire . . . Les sabres de ces Turcs vous coupaient un homme comme ici nous faisons sauter la tête d'un petit sapin. Ces sabres nous faisaient peur d'abord; mais le général nous la fit passer bien vite. Il disait que nous étions des enfants. Cependant nous étions plus grands et plus vieux que lui ; j'avais, moi, quatre ans de plus. Eh bien! il nous dit tant de choses, que nous n'eûmes plus peur. Cependant ces couteaux

Ne vous y a-t-il pas habitués?

Habitués !

on dit bien plus; c'est que lui ne voulut plus revenir ici à cause de ça, et je vous demande, quand lui avait peur nous autres !!!

Croyez-vous, réellement, que Bonaparte ait eu peur de retourner en Espagne à cause des couteaux?

Ma foi, on l'a dit. Et puis, voyez-vous, il venait de se marier, et c'est fâcheux la première année d'un mariage, de venir faire cette guerre-là. Moi, j'ai cru plus d'une

fois ne plus revoir ma vieille mère. Tenez, monsieur, buvons un coup, ajouta ce brave homme; tout cela est bon à dire quand on n'y est plus. Et se retournant en même temps vers de jeunes soldats, avec lesquels il choqua le verre: Mes pauvres enfants, leur dit-il, Dieu vous préserve de l'Espagne!

On nous préparait le souper pendant cet intervalle. C'étaient des lambeaux de viande qu'on faisait griller à la flamme, et qui succédaient aux spartilles* pendues aux branches brûlantes. Je demandai des œufs, il n'y en avait pas: du beurre, pas davantage. Il fallut se résigner. Chacun s'empara de l'un de ces lambeaux brûlants, et, avec un petit flacon qui passait à la ronde, fit couler un peu de vin dans son gosier. Pendant le repas, on s'entretenait du voyage et de l'état du port. Chaque muletier donnait son avis.

Il fait froid.

Il fait du vent.

Il tombera de la neige.

On ne pourra pas passer.

Tenez, entendez-vous ce bruit qui se fait dans la montagne?.... Il y a de quoi être emportés tous. Nous ferons encore un déjeuner ici, demain.

Et un souper, ajoute un autre. Je m'adresse à l'un d'entre eux. Est-on retenu pour longtemps, lui dis-je, quand il fait mauvais ?

Oh! me répondit-il, quelquefois une quinzaine de jours. Et, en disant cela, le plaisant regarde son voisin avec un sourire assez gai. Un autre me rassure en me disant que quinze jours c'est trop, mais qu'une semaine ce n'est pas impossible. Voyant que je ne gagnais rien à les interroger, je résolus de prendre du repos. Mais toutes les prophéties de mon vieux sergent s'accomplissaient, et les lits ne valaient pas mieux que le souper. Une partie des convives étaient déjà couchés autour de moi. Quelques-uns étaient sur des lits de planches dans certains enfoncements, d'autres sur des peaux de mouton. Le maître m'avait réservé sa couche, placée non loin du foyer. J'avoue qu'en la voyant je ne pus accepter son

Kind of sandals or shoes.

obligeant sacrifice, et je demandai de la paille. De la paille, me dit-il, comme si j'avais été trop exigeant, elle a été donnée aux troupes, et nous n'avons plus que des feuilles sèches. Après ce dernier échec, je renonçai à faire des demandes nouvelles. Je me roulai dans mon carrick; je mis la tête sur un portemanteau, et j'essayai de dormir. Le bruit des mulets qui étaient placés audessous de nous et d'une cinquantaine de ces dormeurs qui soufflaient comme des phoques, m'empêcha de fermer l'œil, quoique je fusse très-fatigué. Le feu qui commençait à s'éteindre éclairait cependant encore un peu la scène. Je voyais, d'un côté un douanier espagnol, qui, ayant servi sous la régence, fuyait avec elle, et se retirait avec une assez jolie femme de la vallée d'Arán. Les deux époux étaient roulés dans un même manteau bleu. Non loin, de jeunes Aragonais, étudiants en théologie, étaient recouverts de soutanelles noires, et un gros curé soulevait avec son ventre une grande couverture de laine qui sert à envelopper la charge des mulets. Enfin, ça et là, des muletiers, des contrebandiers, des insurgés fugitifs se roulaient ensemble, se heurtaient dans leur dur sommeil, et poussaient de gros soupirs à chaque ruade.

Le brigadier de gendarmerie dont j'ai déjà parlé ne s'était pas encore retiré, et il fumait sa pipe au coin du feu. Je me levai, et j'allai m'asseoir à ses côtés. En me déplaçant j'aperçus l'Espagnol dont il s'était agi à propos du couteau, qui avait étendu ses gros membres à terre et appuyé sa tête contre un rouleau de bois. Ce magnifique bandit, comme l'Endymion éclairé par un rayon de la lune, recevait la lueur rougeâtre du feu. Il dormait profondément. Je remarquais surtout ses grands yeux fermés, sa bouche entr'ouverte, ses longs cheveux épars confusément autour de son cou. Malgré son costume grossier, je n'ai pas vu de plus beau modèle d'homme. Quel dommage, me disais-je, que la civilisation ne vienne pas éclairer et développer une vie si puissante!

Que dites-vous de cette société ? me demanda le gendarme. Et sans me donner le temps de lui répondre. Il faut, ajouta-t-il, que vous ayez bien affaire pour être ici; et quant à moi, il faut bien que j'y sois obligé par mon

métier pour y rester. J'ai gardé toutes les côtes de France, tous les défilés des Alpes; j'ai fait le service en Italie même, pendant le blocus; je vous assure que je n'ai pas vu encore de contrebandiers tels que ceux de la vallée de Carol. Tenez (en me montrant l'honorable galerie), voilà des gens qui connaissent les moindres trous de la montagne, et qui passent là où ni vous ni moi n'oserions jamais aller. Et quelle contrebande croyez-vous qu'ils passent? . . . . Dans le Jura, près Genève, les montagnards portent des bijoux, des montres, et c'est si petit qu'il est naturel de ne pas s'en apercevoir. Mais ceux-ci font simplement la contrebande.... De quoi? diriezvous! Des laines . . . et nous ne pouvons presque jamais nous en aviser. Ils gravissent en effet les montagnes du côté du midi, et, quand ils sont au sommet, ils précipitent les balles qui roulent au nord, et que d'autres reçoivent et transportent à travers les défilés, dans les pays de plaine. Nous avons beau les surveiller, ils nous échappent toujours. C'est bien autre chose pour le sucre et le café. Oh! pour ces marchandises, il les font passer comme les dames, dans les ports de mer, font passer la vanille dans leur sac. Ils forment un peuple indocile, méchant, que nous avons la plus grande peine à contenir; qui n'est ni français, ni espagnol, et qui n'aime qu'une chose, c'est le renchérissement des denrées.

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SOULIÉ.

MELCHIOR-FRÉDÉRIC SOULIÉ, l'un de nos plus célèbres romanciers, est né à Foix (Ariége) en 1800. Nous avons de cet écrivain une foule de romans, dont la plupart jouissent d'une réputation bien méritée. On remarque entre autres, Le Maître d'Ecole, Les Forgerons, Les Quatre Époques, les Mémoires du Diable, etc.

LES MARCHANDS DE NOUVEAUTÉS.

JE dis que l'intérieur du marchand de nouveautés est la première et la plus éclatante représentation de notre esprit social. Tout en montre et rien ou presque rien en boutique. En effet, si je remonte le boulevart, et que j'examine ces magasins drapés de cachemires, de foulards, de sacarillas, de chalis, de satins, de mérinos fantastiques, où se trouvent mêlés des châles, des ridicules, des écharpes, des bas de soie, des mouchoirs de poche, des bonnets; il me semble voir l'emblème vivant de nos hommes d'état, parlant avec éclat de tout, beauxarts, politique, commerce, finances, drames, chemins de fer, guerre et garde nationale. Attiré par le pimpant de tant de belles marchandises, vous entrez au magasin dont je parle, espérant, derrière cette parade étincelante d'étoffes, un magnifique assortiment de toutes choses. Vaine croyance! si quelque chose vous a plu il faut le décrocher de la montre: tout est là, les rayons ne gardent que le vieux, l'usé, le commun. De même si, épris de la faconde universelle d'un tribun ministériel, vous courez à lui pour sonder quelque idée qu'il vous a paru avoir: peine inutile! vous avez tout vu, tout entendu, il devient marchand de nouveautés, il décroche quelque phrase de son dernier discours aux deux chambres, et vous l'offre dans son cabinet: après la surface, le vide; tout est aux carreaux.

N'importe, voyons toujours. Avec un public aussi exigeant qu'une femme de commissaire priseur, qui pour

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