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Il

autel. M. Edgeworth se revêt des ornements sacerdotaux, et commence à célébrer la messe; Cléry la sert, le roi l'entend à genoux avec le plus grand recueillement. reçoit ensuite la communion des mains de M. Edgeworth, et, après la messe, se relève plein de force, et attendant avec calme le moment d'aller à l'échafaud. Il demande des ciseaux pour couper ses cheveux lui-même et se soustraire à cette humiliante opération faite par la main des bourreaux; mais la commune les lui refuse par défiance.

Dans ce moment, le tambour battait dans la capitale. Tous ceux qui faisaient partie des sections armées se rendaient à leur compagnie avec une complète soumission; ceux qu'aucune obligation n'appelait à figurer dans cette terrible journée se cachaient chez eux. Les portes, les fenêtres étaient fermées, et chacun attendait chez soi la fin de ce triste événement. On disait que quatre ou cinq cents hommes dévoués devaient fondre sur la voiture, et enlever le roi. La convention, la commune, le conseil exécutif, les jacobins, étaient en séance.

A huit heures du matin, Santerre, avec une députation de la commune, du département et du tribunal criminel, se rend au Temple. Louis XVI, en entendant le bruit, se lève et se dispose à partir. Il n'avait pas voulu revoir sa famille, pour ne pas renouveler la triste scène de la veille. Il charge Cléry de faire pour lui ses adieux à sa femme, à sa sœur et à ses enfants; il lui donne un cachet, des cheveux et divers bijoux, avec commission de les leur remettre. Il lui serre ensuite la main en le remerciant de ses services. Après cela, il s'adresse à l'un des municipaux en le priant de transmettre son testament à la commune. Ce municipal était un ancien prêtre, nommé Jacques Roux, qui lui répond brutalement qu'il est chargé de le conduire au supplice, et non de faire ses commissions. Un autre s'en charge, et Louis, se retournant vers le cortége, donne avec assurance le signal du départ.

Des officiers de gendarmerie étaient placés sur le devant de la voiture; le roi et M. Edgeworth étaient assis dans le fond. Pendant la route, qui fut assez longue, le roi

lisait, dans le bréviaire de M. Edgeworth, les prières des agonisants, et les deux gendarmes étaient confondus de sa piété et de sa résignation tranquille. Ils avaient, dit-on, la commission de le frapper si la voiture était attaquée. Cependant aucune démonstration hostile n'eut lieu depuis le Temple jusqu'à la place de la Révolution. Une multitude armée bordait la haie: la voiture s'avançait lentement et au milieu d'un silence universel. Sur la place de la Révolution, un grand espace avait été laissé vide autour de l'échafaud. Des canons environnaient cet espace; les fédérés les plus exaltés étaient placés autour de l'échafaud, et la vile populace, toujours prête à outrager le génie, la vertu, le malheur, quand on lui en donne le signal, se pressait derrière les rangs des fédérés, et donnait seule quelques signes extérieurs de satisfaction, tandis que partout on ensevelissait au fond de son cœur les sentiments qu'on éprouvait. A dix heures dix minutes, la voiture s'arrête. Louis XVI, se levant avec force, descend sur la place. Trois bourreaux se présentent; il les repousse et se déshabille luimême. Mais voyant qu'ils voulaient lui lier les mains, il éprouve un mouvement d'indignation et semble prêt à se défendre. M. Edgeworth, dont toutes les paroles furent alors sublimes, lui adresse un dernier regard, et lui dit: "Souffrez cet outrage comme une dernière ressemblance avec le Dieu qui va être votre récompense." A ces mots, la victime résignée et soumise se laisse lier et conduire à l'échafaud. Tout-à-coup Louis fait un pas, se sépare des bourreaux, et s'avance pour parler au peuple. "Français," dit-il d'une voix forte, "je meurs innocent des crimes qu'on m'impute; je pardonne aux auteurs de ma mort, et je demande que mon sang ne retombe pas sur la France." Il allait continuer ; mais aussitôt l'ordre de battre est donné aux tambours ; leur roulement couvre la voix du prince, les bourreaux s'en emparent, et M. Edgeworth lui dit ces paroles: Fils de Saint Louis, montez au ciel! A peine le sang avait-il coulé, que des furieux y trempent leurs piques et leurs mouchoirs, se répandent dans Paris en criant vive la république! vive la nation! et vont jusqu'aux portes du Temple, montrer la brutale et fausse joie que la multi

tude manifeste à la naissance, à l'avénement et à la

chute de tous les princes.

Hist. de la révolution francaise.

LES CONTREBANDIERS ESPAGNOLS.

On ne peut sortir de la Cerdagne que par la vallée de Carol, gorge longue et périlleuse qui débouche sur Ax, dans le département de l'Ariége. C'est là ce qu'on nomme le port de Puymaurin, et c'est l'un des plus difficiles des Pyrénées. Chemin faisant on n'entend que cette question adressée par les muletiers qui vont, à ceux qui viennent: Le port est-il bon? Cela signifie le vent, la neige, ne risquent-ils pas de nous engloutir? On couche ordinairement dans un bourg qui est à l'entrée de la vallée, et qu'on appelle la Tour de Carol. On part ensuite le lendemain matin, et on emploie la journée entière à franchir cette gaîne de rochers que les gens du lieu appellent le Port, et que dans les Alpes on nommerait Col.

J'arrivai à l'entrée de la nuit dans ce bourg, que je viens d'appeler la Tour de Carol. Je vis d'abord quelques habitations couvertes de neige, groupées confusément, et offrant un aspect de saleté qui me frappa encore, après ce que je venais de voir en ce genre. Mon cheval, vieil habitué du pays, me transporta de lui-même dans une cour où étaient appliqués, sur les murailles, des lambeaux de bœufs et des peaux encore toutes sanglantes. Cette cour servait d'abattoir à l'un des fournisseurs de l'armée, et le fumier qui en recouvrait le sol était formé de sang et de paille. Cet aspect me révolta. Mon guide me prêta de grands sabots, dans lesquels j'enfonçai le pied de mes bottes, et je traversai cette cour puante pour me rendre, par une petite porte, au pied d'une échelle qui conduisait à l'étage supérieur. La société, que j'avais jugée nombreuse, par les mulets qu'on déchargeait dans la cour, l'était en effet beaucoup. Dans une grande et vaste salle se trouvait un feu où brûlait un arbre presque entier. La flamme montait le

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long de la muraille, et allait sortir par un trou pratiqué au toit. Tout autour de ce feu étaient assis sur des pierres carrées, ou sur des rouleaux de bois, des muletiers, des moines, des contrebandiers, toujours appelés commerçants, des féaux et amés qui prenaient la fuite, et des femmes qui, pressées de se chauffer, n'avaient pas encore quitté leurs mantes noires. Il régnait là une parfaite égalité, et la place appartenait au premier occupant. Plusieurs rangs de voyageurs gelés attendaient leur tour. Dès que l'un de ceux qui étaient en première ligne commençait à sentir sa peau se brûler, il se retirait, et son serre-file prenait sa place. Heureusement mon guide s'était fait mon chargé d'affaires, et il eut soin d'occuper un siége pour me le transmettre ensuite. Je me trouvai bientôt assis auprès d'un chef de bande, dont la face me promettait beaucoup d'histoires curieuses, si je pouvais me faire entendre, et surtout accueillir de sa fierté castillane. Il avait un grand manteau roulé en bandoulière autour du corps; une ceinture de cuir où ne pendait plus de sabre. Mais en revanche, je voyais un manche grossier sortir de la poche de son pantalon. Il venait de brûler une pipe, et portant la main à cette poche, il en sortit un instrument d'une longueur extrême qui se déployant tout-à-coup, me laissa voir un poignard déguisé en couteau. Il se servit de la pointe pour nettoyer le fourneau de sa pipe, et cette opération faite il regarda son arme un instant, et la retourna plusieurs fois avec complaisance, comme un homme qui contemple son dernier écu. Un brigadier de gendarmerie qui était là y porta la main aussitôt, en lui disant qu'il n'était pas permis d'entrer en armes sur le territoire français.

Eh bien! dit l'autre, n'est-il pas permis de couper son tabac et son pain?

Fort bien, reprit le brigadier; mais il y a là plus qu'il ne faut pour couper du tabac et du pain.

Et les loups et les chiens, ne faut-il pas se défendre contre eux ?

Le guérillas disait cela avec une attitude indolente, mais si fière, que mon gendarme, habitué à demander des passeports, et non des poignards, n'osa pas insister. Il

y avait là un vieux sergent, le seul peut-être de son âge et de sa figure que j'aie rencontré dans notre armée, qui se serait, je crois, volontiers chargé de désarmer le guérillas. Il avait l'air de connaître beaucoup ces sortes de couteaux. Je l'entendis murmurer entre les dents et demander avec humeur si on venait en France pour y assassiner? Cependant la police ne le concernait pas ; il s'en alla boire dans un coin, tandis que l'autre continua de fumer dans le sien; et ils se séparèrent ainsi comme deux dogues d'égale force, qui s'éloignent en grondant.

Je me rapprochai de la table où buvait le vieux sergent. La face de ce brave homme s'éclaircit tout-à-coup; il m'offrit franchement à boire, et de suite me demanda, avec étonnement, ce que je faisais au milieu de ce monde. Mon pauvre monsieur, me dit-il, je vous plains; vous mangerez mal, vous passerez une mauvaise nuit, et vous ferez demain un plus mauvais voyage encore. Pour nous, ajouta-t-il, ce n'est rien. Il y a un an que nous gardons ici ces Espagnols, qui font le diable chez eux, et qui viennent ensuite se mettre à l'abri chez nous. il y en a un là! . . . .

Eh bien! mon ami, qu'en pensez vous?

Ce que j'en pense, c'est qu'il est aussi vieux au service que moi, et que ce couteau à tué plus de Français qu'il n'a coupé de tabac.

Et comment devinez-vous cela?

Pour Dieu, je les connais bien! je devine ces visages-là, moi, comme nos pêcheurs, en regardant l'horizon, devinent le mistral.

Vous êtes donc né sur les bords de la mer?

Eh oui, bon Dieu! Ma mère ouvre des huîtres à Cette et quoique j'aie toujours couru les montagnes, je vous assure que ce brave homme aurait déjà pris une poignée de neige sur le Canigou, que je n'y aurais pas encore arraché une touffe d'herbe. Tenez, voyez moi ces pieds; il n'y a pas une chèvre qui les ait aussi fourchus. Et ce poignard! je parie qu'il a bu de notre sang à tous. Est-ce qu'une méchante arme comme celle-là devrait entrer en France? .... Si le brigadier voulait! . . . .

Vous la redoutez donc beaucoup?

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