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de paix; ils pénétrèrent jusque sous le vestibule, où se trouvaient d'autres défenseurs du château. Une barrière les séparait. C'est là que le combat s'engagea, sans qu'on ait pu savoir encore de quel côté commença l'agression. Les Suisses firent alors un feu meurtrier sur les insurgés, qui se dispersèrent. La place du Carrousel fut balayée. Mais les Marseillais et les Bretons revinrent bientôt en force: les Suisses furent canonnés, investis. Ils tinrent jusqu'à ce qu'ils eussent reçu l'ordre du roi de cesser le feu. Mais le peuple exaspéré ne cessa point de les poursuivre, et se livra aux plus sanglantes représailles. Ce ne fut plus alors un combat, mais un massacre; et la multitude se livra dans le château à tous les excès de la victoire.

L'assemblée était, pendant ce temps, dans les plus vives alarmes. Les premiers coups de canon y avaient répandu la consternation. A mesure que les décharges de l'artillerie devenaient plus fréquentes, l'agitation redoublait. Il y eut un moment où les membres de l'assemblée se crurent perdus. Un officier entra précipitamment dans la salle, en disant: "En place, législateurs, nous sommes forcés!" Quelques députés se levèrent pour sortir. "Non, non," dirent les autres, "c'est ici notre poste." Les tribunes s'écrièrent aussitôt: Vive l'assemblée nationale! et l'assemblée répondit en criant: Vive la nation! Enfin on entendit au dehors: Victoire! victoire! et le sort de la monarchie fut décidé.

Histoire de la révolution française.

THIERS.

LOUIS-ADOLPHE THIERS, membre de l'Académie française, historien distingué et l'un de nos plus grands hommes d'état, est fils d'un serrurier de Marseille, où il est né en 1797. Il vint à Paris où il se fit bientôt connaître dans un journal à la rédaction duquel il était employé. A la révolution de 1830, il fut appelé aux affaires, et depuis il a occupé les plus hautes dignités de l'état ; il est devenu successivement député, ministre de l'intérieur, ministre des affaires étrangères et président du conseil.

Ses principaux ouvrages sont : l'Histoire de la révolution française et l'Histoire du Consulat et de l'Empire, qui le placent au premier rang parmi les littérateurs de l'époque.

LES DERNIERS JOURS DE LOUIS XVI.

LOUIS XVI était définitivement condamné, aucun sursis ne pouvait différer le moment de la sentence, et tous les moyens imaginés pour reculer l'instant fatal étaient épuisés. Tous les membres du côté droit, les royalistes secrets comme les républicains, étaient également consternés et de cette sentence cruelle, et de l'ascendant que venait d'acquérir la montagne. Dans Paris régnait une stupeur profonde, l'audace du nouveau gouvernement avait produit l'effet ordinaire de la force sur les masses; elle avait paralysé, réduit au silence le plus grand nombre, et excité seulement l'indignation de quelques âmes plus fortes. Il y avait encore quelques anciens serviteurs de Louis XVI, quelques jeunes seigneurs, quelques gardes du corps, qui se proposaient, dit-on, de voler au secours du monarque et de l'arracher au supplice. Mais se voir, s'entendre, se concerter au milieu de la terreur profonde des uns et de la surveillance active des autres, était impraticable, et tout ce qui était possible, c'était de tenter quelques actes isolés de désespoir. Les Jacobins, charmés de leur triomphe, en étaient cependant étonnés, et ils se recommandaient de se tenir serrés pendant les dernières vingt-quatre heures, d'envoyer des commissaires à toutes les autorités, à la

commune, à l'état-major de la garde nationale, au département, au conseil exécutif, pour réveiller leur zèle et assurer l'exécution de l'arrêt. Ils se disaient que cette exécution aurait lieu, qu'elle était infaillible; mais, au soin qu'ils mettaient à le répéter, on voyait qu'ils n'y croyaient pas entièrement. Ce supplice du roi, au sein d'un pays qui, trois années auparavant, était, par les mœurs, les usages et les lois, une monarchie absolue, paraissait encore douteux, et ne devenait croyable qu'après l'événement.

Le conseil exécutif était chargé de la douloureuse mission de faire exécuter la sentence. Tous les ministres étaient réunis dans la salle de leurs séances frappés de consternation. Garat, comme ministre de la justice, était chargé du plus pénible de tous les rôles, celui d'aller signifier à Louis XVI les décrets de la convention. Il se rend au Temple, accompagné de Santerre, d'une députation de la commune et du tribunal criminel, et du secrétaire du conseil exécutif. Louis XVI attendait depuis quatre jours ses défenseurs, et démandait en vain à les voir. Le 20 janvier, à deux heures après midi, il attendait encore, lorsque tout-à-coup il entend le bruit d'un cortége nombreux; il s'avance, il aperçoit les envoyés du conseil exécutif. Il s'arrête avec dignité sur la porte de sa chambre, et ne paraît point ému. Garat lui dit alors avec tristesse qu'il est chargé de lui communiquer les décrets de la convention. Grouvelle, secrétaire du conseil exécutif, en fait la lecture. Le premier déclare Louis XVI coupable d'attentat contre Îa sûreté générale de l'État; le second le condamne à mort; le troisième rejette tout appel au peuple; le quatrième enfin ordonne l'exécution sous vingt-quatre heures. Louis, promenant sur tous ceux qui l'entouraient un regard tranquille, prend l'arrêt des mains de Grouvelle, l'enferme dans sa poche, et lit à Garat une lettre dans laquelle il demandait à la convention trois jours pour se préparer à mourir, un confesseur pour l'assister dans ses derniers moments, la faculté de voir sa famille, et la permission pour elle de sortir de France. Garat prit la lettre, en promettant d'aller la remettre tout de suite à la convention. Le roi lui donna en même temps

l'adresse de l'ecclésiastique dont il désirait recevoir les derniers secours.

Louis XVI rentra avec beaucoup de calme, demanda à dîner, et mangea comme à l'ordinaire. On avait retiré les couteaux, et on refusait de les lui donner. "Me croit-on assez lâche," dit-il avec dignité, "pour attenter à ma vie? Je suis innocent, et je saurai mourir sans crainte." Il fut obligé de se passer de couteau: il acheva son repas, rentra dans son appartement, et attendit avec sang-froid la réponse à sa lettre.

La convention refusa le sursis, mais accorda toutes les autres demandes. Garat envoya chercher M. Edgeworth de Firmont, l'ecclésiastique dont Louis XVI avait fait choix; il le fit monter dans sa voiture, et le conduisit lui-même au Temple. Il arriva à six heures, et se présenta dans la grande tour, accompagné de Santerre. Il apprit au roi que la convention lui permettait d'appeler un ministre du culte et de voir sa famille sans témoins, mais qu'elle rejetait la demande d'un sursis.

Garat ajoute que M. Edgeworth était arrivé, qu'il était dans la salle du conseil, et qu'on allait l'introduire. Garat se retira, toujours plus surpris et plus touché de la tranquille magnanimité du prince.

A peine introduit auprès du roi, M. Edgeworth voulut se jeter à ses pieds; mais le roi le releva aussitôt, et versa avec lui des larmes d'attendrissement. Il lui demanda ensuite, avec une vive curiosité, des nouvelles du clergé de France, de plusieurs évêques, et surtout de l'archevêque de Paris, et le pria d'assurer ce dernier qu'il mourait fidèlement attaché à sa communion. Huit heures étant sonnées, il se leva, pria M. Edgeworth d'attendre, et sortit avec émotion, en disant qu'il allait voir sa famille. Les municipaux, ne voulant pas perdre de vue la personne du roi, même pendant qu'il serait avec sa famille, avaient décidé qu'il la verrait dans la salle à manger, qui était fermée par une porte vitrée, à travers laquelle on pouvait apercevoir tous ses mouvements sans entendre ses paroles. Le roi s'y rendit, se fit placer de l'eau sur une table pour secourir les princesses, si elles en avaient besoin. Il se promenait avec anxiété, attendant le moment douloureux où paraîtraient les

êtres qui lui étaient si chers. A huit heures et demie la porte s'ouvrit ; la reine, tenant le dauphin par la main, madame Elisabeth, madame Royale, se précipitèrent dans les bras de Louis XVI, en poussant des sanglots. La porte fut fermée, et les municipaux, Cléry, M. Edgeworth, se placèrent devant le vitrage pour être témoins de cette entrevue déchirante. Ce ne fut pendant le premier moment qu'une scène de confusion et de désespoir. Les cris, les lamentations empêchaient de rien distinguer. Enfin les larmes tarirent, la conversation devint plus tranquille, et les princesses, tenant toujours le roi embrassé, lui parlèrent quelque temps à voix basse. Après un entretien assez long, mêlé de silence et d'abattement, il se leva pour se soustraire à cette situation douloureuse, et promit de les revoir le lendemain matin à huit heures. "Nous le promettez-vous ?" lui demandèrent avec instance les princesses. "Oui, oui," répondit le roi avec douleur. Dans ce moment, la reine l'avait saisi par un bras, madame Elisabeth par l'autre ; madame Royale tenait son père embrassé par le milieu du corps, et le jeune prince était devant lui, donnant la main à sa mère et à sa tante. Au moment de sortir, madame Royale tomba évanouie; on l'emporta aussitôt, et le roi retourna auprès de M. Edgeworth, accablé de cette scène cruelle. Après quelques instants, il parvint à se remettre, et recouvra tout son calme.

M. Edgeworth lui offrit alors de lui dire la messe, qu'il n'avait pas entendue depuis longtemps. Après quelques difficultés, la commune consentit à cette cérémonie, et on fit demander à l'église voisine les ornements nécessaires pour le lendemain matin. Le roi se coucha vers minuit, en recommandant à Cléry de l'éveiller avant cinq heures. M. Edgeworth se jeta sur un lit; Cléry resta debout près du chevet de son maître, contemplant le sommeil paisible dont il jouissait à la veille de l'échafaud.

Le lendemain 21 janvier, cinq heures avaient sonné au Temple. Le roi s'éveille, appelle Cléry, lui demande l'heure, et s'habille avec beaucoup de calme. Il s'applaudit d'avoir retrouvé ses forces dans le sommeil. Cléry allume du feu, transporte une commode dont il fait un

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