Page images
PDF
EPUB

rois, toutes les hontes des cours, tous les griefs du peuple avaient pour ainsi dire abouti sur sa tête et marqué son front innocent pour l'expiation de plusieurs siècles. Les époques ont leurs sacrifices comme les religions. Quand elles veulent renouveler une institution qui ne leur va plus, elles entassent sur l'homme, en qui cette institution se personnifie, tout l'odieux et toute la condamnation de l'institution elle-même; elles font de cet homme une victime qu'elles immolent au temps: Louis XVI était cette victime innocente, mais chargée de toutes les iniquités des trônes, et qui devait être immolée en châtiment de la royauté. Voilà le roi. Histoire des Girondins.

PORTRAIT DE MARIE-ANTOINETTE.

La reine (Marie-Antoinette) semblait avoir été créée par la nature pour contraster avec le roi, et pour attirer à jamais l'intérêt et la pitié des siècles sur un de ces drames d'état qui ne sont pas complets quand les infortunes d'une femme ne les achèvent pas. Fille de MarieThérèse, elle avait commencé sa vie dans les orages de la monarchie autrichienne. Elle était sœur de ces enfants que l'impératrice tenait par la main quand elle se présenta en suppliante devant les fidèles Hongrois, et que ces troupes s'écrièrent: "Mourons pour notre roi MarieThérèse!" Sa fille aussi avait le cœur d'un roi. A son arrivée en France, sa beauté avait ébloui le royaume; cette beauté était dans tout son éclat. Elle était grande, élancée, souple: une véritable fille du Tyrol. Les deux enfants qu'elle avait donnés au trône, loin de la flétrir, ajoutaient à l'impression de sa personne ce caractère de majesté maternelle qui sied bien à la mère d'une nation. Le pressentiment de ses malheurs, le souvenir des scènes tragiques de Versailles, les inquiétudes de chaque jour pâlissaient seulement un peu sa première fraîcheur. La dignité naturelle de son port n'enlevait rien à la grâce de ses mouvements; son cou bien détaché des épaules, avait ces magnifiques inflexions qui donnent tant d'expression aux attitudes. On sentait la femme sous la reine, la

tendresse du cœur sous la majesté du sort. Ses cheveux blond-cendré étaient longs et soyeux; son front, haut et un peu bombé, venait se joindre aux tempes par ces courbes qui donnent tant de délicatesse et tant de sensibilité à ce siége de la pensée ou de l'âme chez les femmes ; les yeux de ce bleu-clair qui rappelle le ciel du Nord ou l'eau du Danube, le nez aquilin, les narines bien ouvertes et légèrement renflées, où les émotions palpitaient, signe du courage; une bouche grande, des dents éclatantes, des lèvres autrichiennes, c'est-à-dire, saillantes et découpées; le tour du visage ovale, la physionomie mobile, expressive, passionnée; sur l'ensemble de ces traits, cet éclat, qui ne se peut décrire, qui jaillit du regard, de l'ombre des reflets du visage, qui l'enveloppe d'un rayonnement semblable à la vapeur chaude et colorée où nagent les objets frappés du soleil; dernière expression de la beauté qui lui donne l'idéal, qui la rend vivante et qui la change en attrait. Avec tous ces charmes, une âme altérée d'attachement, un cœur facile à émouvoir, mais ne demandant qu'à se fixer, un sourire pensif et intelligent qui n'avait rien de banal, des intimités, des préférences, parcequ'elle se sentait digne d'amitié. Voilà Marie-Antoinette comme femme.

C'était assez pour faire la félicité d'un homme et l'ornement d'une cour. Pour inspirer un roi indécis et pour faire le salut d'un état dans des circonstances difficiles, il fallait plus: il fallait le génie du gouvernement; la reine ne l'avait pas. Rien n'avait pu la préparer au maniement des forces désordonnées qui s'agitaient autour d'elle; le malheur ne lui avait pas donné le temps de la réflexion. Accueillie avec enivrement par une cour perverse et une nation ardente, elle avait dû croire à l'éternité de ces sentiments. Elle s'était endormie dans les dissipations de Trianon. Elle avait entendu les premiers bouillonnements de la tempête sans croire au danger; elle s'était fiée à l'amour qu'elle inspirait et qu'elle se sentait dans le cœur. La cour était devenue exigeante, la nation hostile. Instrument des intrigues de la cour sur le cœur du roi, elle avait d'abord favorisé, puis combattu toutes les réformes qui pouvaient prévenir ou ajourner les crises. Sa politique n'était que de

N

l'engouement, son système n'était que son abandon alternatif à tous ceux qui lui promettaient le salut du roi. Le comte d'Artois, prince jeune, chevaleresque dans les formes, avait pris de l'empire sur son esprit. Il se fiait à la noblesse; il parlait de son épée. Il riait de la crise. Il dédaignait ce bruit de paroles, il cabalait contre les ministres, il flétrissait les transactions. La reine enivrée d'adulations par cet entourage, poussait le roi à reprendre le lendemain ce qu'il avait concédé la veille. Sa main se sentait dans tous les tiraillements du gouvernement. Ses appartements étaient le foyer d'une conspiration perpétuelle contre l'esprit nouveau; la nation finit par s'en apercevoir et par la haïr. Son nom devint pour le peuple le fantôme de la contre-révolution. On est prompt à calomnier ce qu'on craint. Les bruits les plus infâmes circulaient; les anecdotes les plus controuvées furent répandues. On pouvait l'accuser de tendresse; de dépravation, jamais. Belle, jeune et adorée, si son cœur ne resta pas insensible, ses sentiments du moins n'éclatèrent jamais en scandales. Le cœur d'une femme, fut-elle reine, a son inviolabilité. Les sentiments ne deviennent de l'histoire que quand ils éclatent en publicité.

La reine s'aperçut trop tard de l'inimitié du peuple; la rancune dut envahir son cœur. On accusa MarieAntoinette de conjurer la perte de la nation, qui demandait à chaque instant sa tête. Le peuple soulevé a besoin de haïr quelqu'un, on lui livra la reine. Son nom fut chanté dans ses colères. Une femme fut choisie pour l'ennemie de toute une nation. Sa fierté dédaigna de la détromper. Elle s'enferma dans son ressentiment et dans sa terreur. Emprisonnée dans le palais des Tuileries, elle ne pouvait mettre la tête à la fenêtre sans provoquer l'outrage et entendre l'insulte. Chaque bruit de la ville lui faisait craindre une insurrection. Ses journées était mornes, ses nuits agitées; son supplice fut de toutes les heures pendant deux ans ; il se multipliait dans son cœur par son amour pour ses deux enfants et par ses inquiétudes pour le roi. Sa cour était vide, elle ne voyait plus que des autorités ombrageuses, des ministres imposés, et M. de la Fayette, devant qui elle était

obligée de composer même son visage. Ses appartements recelaient la délation. Les serviteurs étaient ses espions. Il fallait les tromper pour se concerter avec le peu d'amis qui lui restaient. Des escaliers dérobés, des corridors sombres conduisaient la nuit dans les combles du château les conseillers secrets qu'elle appelait autour d'elle. Ces conseils ressemblaient à des conjurations; elle en sortait sans cesse avec des pensées différentes; elle en assiégeait l'âme du roi, dont la conduite contractait ainsi l'incohérence d'une femme aux abois.

Mesures de forces, tentatives de corruption sur l'assemblée, abandon sincère à la constitution, essais de résistance, attitude de dignité royale, repentir, faiblesse, terreur et fuite, tout était conçu, tenté, préparé, arrêté, abandonné le même jour. Les femmes, si sublimes dans le dévouement, sont rarement capables de l'esprit de suite et d'imperturbabilité nécessaire à un plan politique. Leur politique est dans le cœur ; leur passion est trop près de leur raison. De toutes les vertus du trône, elles n'ont que le courage; elles sont souvent des héros, rarement des hommes d'état. La reine en fut un exemple de plus. Elle fit bien du mal au roi; douée de plus d'esprit, de plus d'âme, de plus de caractère que lui, sa supériorité ne servit qu'à lui inspirer confiance dans de funestes conseils. Elle fut à la fois le charme de ses malheurs et le génie de sa perte; elle le conduisit pas à pas jusqu'à l'échafaud, mais elle y monta avec lui. Histoire des Girondins.

ABDICATION DE LOUIS-PHILIPPE.
(24 FÉVRIER 1848.)

QUE se passait-il au château pendant le débordement de l'insurrection grossissant toujours?

Le roi avait donné l'ordre de cesser le feu et de conserver seulement les positions. Le maréchal Bugeaud, déjà monté à cheval pour combattre, en était redescendu à l'annonce de sa révocation des fonctions de commandant de Paris. M. Thiers, en désarmant ainsi la

résistance, croyait avoir désarmé l'agression. Le duc de Nemours réitérait partout l'ordre d'arrêter les hostilités. La duchesse d'Orléans était abandonnée dans ses appartements aux anxiétés de son esprit, aux incertitudes de son sort.

[ocr errors]

66

La reine, dont le cœur avait du sang de Marie-Thérèse, de Marie-Antoinette et de la reine de Naples, montrait ce courage civil qui oublie les prudences de la politique. Allez," disait-elle au roi, montrez-vous aux troupes abattues, à la garde nationale indécise, je me placerai au balcon avec mes petits-enfants et mes princesses, et je vous verrai mourir égal à vous-même, au trône et à nos malheurs!" La physionomie de cette épouse aimée et de cette mère si longtemps heureuse, s'animait pour la première fois de l'énergie de son double sentiment pour son mari et pour ses enfants. Toute sa tendresse pour eux se concentrait et se passionnait dans le souci de leur honneur leur vie ne venait qu'après dans son amour. Ses cheveux blancs contrastant avec le feu de ses regards et avec l'animation colorée de ses joues, imprimaient à son visage quelque chose de tragique et de saint, entre l'Athalie et la Niobé. Le roi la calmait par des paroles de confiance dans son expérience et dans sa sagesse, qui ne l'avaient encore jamais trompé. A onze heures, il se croyait tellement sûr de dominer le mouvement et de réduire la crise à une modification de ministère acceptée par le peuple, qu'il descendit le visage souriant et en costume négligé d'intérieur dans la salle à manger pour le déjeuner de famille.

A peine le repas était-il commencé que la porte s'ouvrit et qu'on vit entrer précipitamment deux conseillers intimes et désintéressés de la couronne, désignés, dit-on, par M. Thiers pour le ministère. C'étaient MM. de Rémusat et Duvergier de Hauranne. Ils prièrent le duc de Montpensier de les entendre en particulier. Le prince se leva, fit un signe de sécurité au roi et à la reine, et courut vers les deux négociateurs. Mais le roi et la reine, ne pouvant contenir leur impatience, se levèrent au même moment, interrogeant des yeux M. de Rémusat. "Sire,” dit celui-ci, "il faut que le roi sache la vérité : la taire dans un pareil moment serait se rendre complice de l'événe

« PreviousContinue »