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toutes parts lui arrivaient des avis sinistres; on disait surtout que les soldats avaient dessein de s'emparer de sa personne pour l'enlever aux officiers, comme ceux-ci l'avaient enlevé au parlement. Cromwell lui-même en écrivit avec inquiétude au colonel Whalley, soit qu'en effet il redoutât quelque tentative de ce genre, ou qu'il se proposât seulement d'en effrayer le roi, soit plutôt que toujours soigneux de ménager toutes les chances, il voulût le tromper encore sur ses intentions et se donner l'air de le servir.

Ces changements, ces rapports, tant de gênes nouvelles, mille bruits de trahison, de desseins inouïs, même d'assassinat, jetaient le malheureux Charles dans une anxiété chaque jour plus poignante; son imagination, susceptible et vive, quoique grave, en était ébranlée; une mauvaise chasse, un rêve pénible, sa lampe éteinte pendant la nuit, tout lui était un sinistre présage; tout lui semblait possible de la part de tels ennemis, quoique sa fierté se refusât à croire que jamais ils en vinssent à tout oser. On lui parla de fuir; il en était tenté : mais où ? comment? avec quel secours? Les commissaires écossais offrirent de seconder son évasion; un jour même qu'il chassait, Lauderdale lui fit dire qu'ils étaient tout près avec cinquante chevaux; que, s'il voulait les rejoindre, ils partiraient en toute hâte pour le nord. Mais les résolutions, subites étonnaient le roi: quel asile d'ailleurs que l'Écosse qui l'avait déjà livré, où il n'aurait plus aucun moyen de repousser le joug presbytérien et le covenant! Il refusa. D'autre part, le conseil lui vint de s'embarquer et de se retirer à l'île de Jersey, où la facilité de passer sur le continent forcerait tous les partis à le ménager. Mais il comptait encore, et d'après leurs secrètes promesses, sur la bonne volonté des officiers; il se flattait que leur froideur n'était qu'obligée et apparente, qu'au prochain rendezvous de l'armée ils dompteraient les agitateurs, rétabliraient la discipline, et reprendraient avec lui leurs négociations. Il ne voulait pas sortir d'Angleterre avant cette dernière épreuve. Cependant l'idée de la fuite lui devenait de plus en plus familière et pressante: on lui raconta qu'un prophète allemand s'était présenté au conseil des agitateurs, s'annonçant comme

chargé de révéler les volontés du ciel; mais qu'au seul mot de réconciliation avec le roi, ils avaient refusé de l'écouter. Par toutes sortes de voies, Cromwell insinuait qu'il fallait fuir. Quelqu'un, on ignore qui, parla au roi de l'île de Wight comme d'un asile convenable et sûr; elle touchait à la terre ferme; la population en était royaliste; tout récemment, le colonel Hammond, neveu de l'un des plus fidèles chapelains du roi, en avait été nommé gouverneur. Charles prêta à cette idée plus d'attention qu'à aucune autre, prit des renseignements, fit même quelques préparatifs. Pourtant il hésitait toujours, et cherchait partout quelque moyen de se décider. Un astrologue, William Lilly, était alors fameux à Londres, enclin au parti populaire, mais ne refusant à personne ses prédictions et ses avis. Le roi chargea une femme, mistress Wherewood, de le consulter en son nom sur le lieu où il lui convenait de fuir; et de mille livres sterlings que venait de lui envoyer l'alderman Adams, royaliste dévoué, mistress Wherewood en reçut cinq cents pour sa mission. Les astres solennellement interrogés, Lilly répondit que le roi devait se retirer vers l'est, dans le comté d'Essex, à vingt milles de Londres, et mistress Wherewood se hâta de porter à Hampton-court sa réponse. Mais Charles ne l'avait pas attendue; le neuf novembre, une lettre anonyme, écrite, à ce qu'il semble, par un ami sincère, vint l'avertir que le danger pressait, que la veille, dans une réunion nocturne, les agitateurs avaient résolu de se défaire de lui, que tout était à craindre s'il ne se mettait promptement hors d'atteinte. Un autre avis l'engageait à se méfier de la garde qui, le surlendemain, devait prendre le service du château. L'esprit frappé, Charles se décida soudain : le onze novembre, à neuf heures du soir, laissant sur sa table plusieurs lettres, et suivi d'un seul valet de chambre, William Legg, il sortit par un escalier dérobé, et gagna une petite porte donnant du parc sur la forêt, où Ashburnham et Berkeley, prévenus de son dessein, s'étaient rendus de leur côté avec des chevaux. Ils prirent leur route vers le sud-ouest; la nuit était sombre et orageuse; le roi seul connaissait la forêt, et servait de guide à ses compagnons ; ils s'égarèrent et n'atteignirent qu'au point

du jour la petite ville de Sutton, dans le Hampshire, où, par les soins d'Ashburnham, un relais leur était préparé. A l'auberge où il les attendait, un comité de parlementaires était déjà en séance, délibérant sur les affaires du comté. Ils repartirent sur-le-champ, et se dirigèrent sur Southampton vers la côte située en face de l'île de Wight, mais sans que le roi déclarât expressément où il voulait aller. Comme ils arrivaient sur le penchant d'un coteau voisin de la ville: "Mettons pied à terre," dit Charles, "et en descendant nous nous consulterons sur ce qu'il convient de résoudre." Il fut, dit-on, question entre eux d'un vaisseau qu'Ashburnham avait dû s'assurer, et dont ils n'avaient point de nouvelles; puis de s'enfoncer dans les comtés de l'ouest, où Berkeley promettait le dévouement de nombreux amis; enfin de l'île de Wight, parti plus commode que nul autre, qui mettait un terme aux embarras de leur situation, celui d'ailleurs qu'évidemment, par la route qu'ils avaient suivie, le roi se proposait en partant. Mais le gouverneur n'était point averti, et pouvait-on se fier à lui sans garanties? Il fut convenu qu'Ashburnham et Berkeley se rendraient dans l'île, sonderaient les dispositions de Hammond, lui diraient quelle marque de confiance il était sur le point de recevoir, et que le roi irait attendre leur retour à quelques lieues de là, près de Tichfield, dans un château qu'habitait la mère de lord Southampton. Ils se préparèrent; et le lendemain matin, les deux cavaliers, débarqués dans l'île, se rendirent sur-le-champ au château de Carisbrooke, résidence du gouverneur. Hammond ne s'y trouvait point; il était à Newport, principale ville du lieu, mais devait en revenir le jour même. Ashburnham et Berkeley se remirent en route pour aller audevant de lui, et le rencontrant bientôt, ils l'informèrent sans préambule du but de leur venue. Hammond pâlit; les rênes de son cheval lui échappèrent, tout son corps tremblait: "Messieurs, messieurs," s'écria-t-il, "vous m'avez perdu en amenant le roi dans cette île; s'il n'y est pas encore, je vous en conjure, ne l'y laissez pas venir; que deviendrais-je entre mes devoirs envers sa Majesté après tant de confiance, et ce que je dois à l'armée de qui je tiens mes fonctions?" Ils essayèrent de le calmer,

tantôt faisant valoir l'immense service qu'il rendrait au roi et les engagements que l'armée même avait contractés envers Sa Majesté; tantôt l'assurant que s'il n'en jugeait pas comme eux, le roi était bien loin de prétendre le contraindre à le recevoir. Hammond se désolait toujours. Cependant lorsque les deux cavaliers paraissaient à leur tour méfiants et près de retirer leur proposition, il se montrait moins incertain, leur demandait où était le roi, s'il ne courait aucun danger, témoignait même quelque regret qu'il ne se fût pas brusquement et entièrement confié à lui. La conversation dura ainsi longtemps, des deux parts pleine de trouble et de ruse, les uns et les autres craignant presque également de rompre et de s'engager. Hammond parut céder enfin: "Le roi," dit-il, "n'aura point à se plaindre de moi; il ne sera pas dit, que j'ai trompé son attente: je me conduirai en homme d'honneur; allons ensemble le trouver et l'en instruire." Berkeley alarmé voulait repousser cette proposition; mais Ashburnham l'accepta, et ils partirent aussitôt, Hammond accompagné seulement d'un de ses capitaines, nommé Basket. Une barque les porta en peu d'heures à Tichfield; et à leur arrivée, Ashburnham monta seul vers le roi, laissant Berkeley, Hammond et Basket dans la cour du château. Sur son récit: "Ah! John, John," s'écria Charles, "tu m'as perdu en amenant ici ce gouverneur; ne vois-tu pas que je ne puis plus bouger?" En vain Ashburnham fit valoir les promesses de Hammond, les bons sentiments qu'il avait laissés paraître, son hésitation même, preuve de sa sincérité. Le roi désolé marchait précipitamment dans la chambre, tantôt les bras croisés, tantôt levant les mains et les yeux au ciel avec l'expression de la plus vive angoisse: "Sire," lui dit enfin Ashburnham, fort troublé à son tour, "le colonel Hammond est là seul avec un autre homme; rien n'est si aisé que de s'en assurer."- "Quoi donc?" reprit le roi, "voulezvous le tuer? Voulez-vous qu'on dise qu'il a hasardé sa vie pour moi, et que je l'en ai indignement privé? Non, non, il est trop tard pour prendre un parti: il faut s'en remettre à la volonté de Dieu." Cependant Hammond et Basket s'impatientaient d'attendre; Berkeley en fit prévenir le roi: ils montèrent. Charles les reçut d'un

air ouvert et confiant; Hammond renouvela ses promesses, plus étendues même, quoique toujours vagues, embarrassées. Le jour commençait à baisser; ils s'embarquèrent pour l'île. Déjà le bruit s'y était répandu que le roi arrivait: beaucoup d'habitants se portèrent à sa rencontre: comme il traversait les rues de Newport, une jeune femme s'avança vers lui, et lui présenta une rose rouge, éclose malgré la rigueur de la saison, en priant tout haut pour sa délivrance. On l'assura que la population tout entière lui était dévouée, qu'au château même de Carisbrooke il y avait pour toute garnison douze vieux soldats bien disposés, qu'il pourrait toujours, quand il le voudrait, s'évader aisément. Les terreurs de Charles se calmèrent peu-à-peu; et le lendemain, lorsqu'en se levant il contempla, des fenêtres du château, le riant aspect qu'offrent sur ce point la mer et la terre, quand il eut respiré l'air du matin, quand il vit Hammond se répandre en témoignages de respect et lui promettre toute liberté de se promener à cheval dans l'île, de garder ses serviteurs, de recevoir qui il lui plairait, la sécurité rentra dans son âme; "Après tout," dit-il à Ashburnham, “ce gouverneur est un galant homme; je suis ici à l'abri des agitateurs; je n'aurai, je crois, qu'à m'applaudir de ma résolution."

CHARLES 1er AU CHÂTEAU DE HURST.

Le quatre décembre, en entrant en séance, une sombre rumeur agitait la chambre: le roi, disait-on de toutes parts, avait été enlevé de l'île de Wight, pendant la nuit, malgré sa résistance, et emmené au château de Hurst, espèce de prison située sur la côte en face de l'île, à l'extrémité d'un promontoire aride, désert et malsain. Vivement interpellés, les meneurs indépendants gardaient le silence. La séance commença; l'orateur lut des lettres venues de Newport et adressées à la chambre par le major Rolph, qui y commandait en l'absence de Hammond. La rumeur était fondée, et toute relation désormais impossible, contre le gré de l'armée, entre le roi et le parlement.

Le vingt-neuf novembre, vers le soir, quelques heures

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