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donner à cette brillante journée le nom de bataille des Pyramides. Histoire de Napoléon.

PASSAGE DES ALPES PAR BONAPARTE.

TANDIS que l'Europe croit le premier Consul livré à Paris aux soins du gouvernement, il arrive à Genève et prend le commandement de l'armée; c'est là que, résolu à porter la guerre sur le Pô, entre Milan, Gênes et Turin, il choisit la base de ses opérations sur les revers du Simplon et du Saint-Gothard. Libre de toute crainte sérieuse du côté du général Cray, contenu par Moreau, Bonaparte veut surprendre les défilés des Alpes, pour attaquer les derrières de Mélas, dont les forces disséminées sur Gênes, sur le Var, doivent garder les débouchés des Alpes et de la Lombardie occupée, mais non soumise. Sur-le-champ, rival audacieux d'Annibal et de César, il décide le passage de l'armée et le transport de sa formidable artillerie par la crête des montagnes, à plus de douze cents toises au-dessus du niveau de la mer. Le général Marescot, chargé de la reconnaissance du SaintBernard, avait eu beaucoup de peine à le gravir jusqu'à l'hospice où stationnait, depuis deux mois, un petit poste détaché du corps du général Moreau. Peut-on passer?" fut la seule question de Bonaparte. "Oui," dit Marescot, "cela est possible.-Eh bien; partons." L'armée passera, le premier Consul le veut; mais l'artillerie, comment pourra-t-elle passer? Cette difficulté était prévue. Les cartouches et les munitions renfermées dans de petites caisses, les affûts démontés, seront portés à dos de mulets. On a préparé des troncs d'arbres creusés de manière à pouvoir contenir nos pièces de canon; cent* soldats s'attellent à chacune d'elles. Lannes commande l'avant-garde. Le 17 mai, trente-cinq mille Français, conduits par Bonaparte, abordent le Saint-Bernard. Moncey marche vers le Saint-Gothard avec quinze mille hommes, pour descendre à Bellinzona. Béthencourt a sa direction sur le Simplon, tandis que Thureau a la

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sienne sur le Mont-Cénis. Cette dernière démonstration doit empêcher Mélas d'abandonner la rivière de Gênes. Au sein des rochers les plus escarpés, au travers de glaces éternelles, au milieu des neiges qui effacent toutes les traces et n'offrent plus qu'un immense désert, et par des chemins où le pied de l'homme n'a jamais été empreint, les Français montrent un indicible courage: gravissant péniblement, n'osant prendre le temps de respirer, parce que la colonne en eût été arrêtée; près de succomber sous le poids de leurs armes, ils s'excitent les uns les autres par des chants guerriers. Survient-il un péril presque insurmontable, alors ils font battre la charge, et comme un ennemi, le péril disparaît devant eux. Sous les regards de Bonaparte, tous les obstacles de la nature deviennent des conquêtes. L'infanterie, la cavalerie, les bagages, les canons, ont atteint les sommités des Alpes, où nos différents corps reçoivent tour-àtour, des religieux de l'hospice, tous les secours de la plus généreuse charité; mais après une halte de quelques heures, chaque division se précipite avec une nouvelle ardeur, quoique avec bien plus de dangers, sur les pentes rapides du Piémont. Bonaparte lui-même opère la descente à la ramasse, sur un glacier presque perpendiculaire. Histoire de Napoléon.

LES DERNIERS JOURS DE NAPOLÉON.

L'ANNÉE 1821 a commencé sous de funestes auspices. Napoléon décline de moment en moment; n'importe! Un pied déjà dans la tombe, il s'occupe encore de l'Europe et de son avenir; il parle de l'Italie en homme qui avait sur elle de grands et de justes desseins; il regrette amèrement de n'avoir pu faire de la Péninsule une puissance unique et indépendante, sur laquelle son fils eût régné. Dans le mois de février, une comète parut audessus de Sainte-Hélène; Napoléon songea d'abord à celle de Jules-César, et parut prévoir que sa propre mort était prochaine. Tout ce qui l'environnait le presse d'aller

voir ce phénomène, mais instances inutiles! Un seul de ses officiers gardait le silence.

"Vous m'avez compris, vous!" lui dit-il. Depuis longtemps il avait la conviction de ne point échapper au climat de Sainte-Hélène, et à tout moment quelques paroles prophétiques annonçaient cette conviction. Elle était aussi dans le cœur de ses serviteurs; aussi, le 17 mars, le comte Montholon écrivit à la princesse Borghèse: "que la maladie de foie dont Napoléon souffrait depuis plusieurs années, et qui est endémique et mortelle à Sainte-Hélène, avait fait des progrès effrayants depuis deux mois; qu'il ne pouvait marcher dans son appartement sans être soutenu." Le comte ajoutait : "A la maladie de foie se joint une autre maladie, également endémique dans cette île. Les intestins sont gravement attaqués. Le comte Bertrand a écrit au mois de septembre à lord Liverpool pour demander que l'empereur soit changé de climat, et faire connaître le besoin qu'il a des eaux minérales. Le gouverneur, sir Hudson Lowe, s'est refusé à faire passer cette lettre à son gouvernement, sous le vain prétexte que le titre d'empereur était donné à S.M. L'Empereur compte aussi sur V. A. pour faire connaître à des Anglais influents l'état véritable de sa maladie. Il meurt sans secours sur cet affreux rocher; son agonie est effroyable.

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En effet, ce fut le jour même où écrivait le général Montholon, que commença la crise qui, deux mois après, devait emporter Napoléon. "Là, c'est là!" disait-il, le 17 mars, 1821, en montrant sa poitrine au docteur Antomarchi. Celui-ci lui présenta un flacon d'alkali. non, ce n'est pas faiblesse," s'écria Napoléon, "c'est la force qui m'étouffe; c'est la vie qui me tue. "Puis, s'élançant à une fenêtre et regardant le ciel, "17 mars,' dit-il, "à pareil jour, il y a six ans,"-il était à Auxerre, venant de l'île d'Elbe,- "il y avait des nuages au ciel. Ah! je serais guéri si je voyais ces nuages." Puis il saisit la main du docteur, et, l'appuyant sur son estomac : "C'est un couteau de boucher qu'ils m'ont mis là, et ils ont brisé la lame dans la plaie."

Les derniers jours de Napoléon furent aussi grands que les plus glorieuses époques de sa vie. Trop certain de sa

mort, il souriait de pitié, ou plutôt de compassion, à ceux qui cherchaient à combattre en lui cette idée. "Pouvezvous joindre cela?" dit-il à M. Munckhouse, officier anglais, après avoir coupé en deux le cordon de la sonnette de son lit. "Aucun remède ne peut me guérir. Mais ma mort sera un baume salutaire pour nos ennemis. J'aurais désiré de revoir ma femme et mon fils. Mais que la volonté de Dieu soit faite!" Puis avec une attitude digne de Socrate, il ajouta: "Il n'y a rien de terrible dans la mort. Elle a été la compagne de mon oreiller pendant ces trois semaines, et à present elle est sur le point de s'emparer de moi pour jamais." Un autre jour il dit: "Les monstres! me font-ils assez souffrir? Encore s'ils m'avaient fait fusiller, j'aurais eu la mort d'un soldat. J'ai fait plus d'ingrats qu'Auguste: que ne suisje comme lui en situation de leur pardonner! La nouvelle maison destinée à Napoléon venait d'être terminée. "Elle me servira de tombeau," dit-il, et, en effet, on dut en prendre les pierres pour bâtir le caveau où il repose.

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L'empereur n'interrompit le silence léthargique où il était plongé que pour laisser échapper ces deux mots: "Tête d'armée :" telle fut la dernière parole du vainqueur de l'Europe. Histoire de Napoléon.

JOUY.

VICTOR-JOSEPH-ÉTIENNE DE JOUY, membre de l'Académie française, est né à Jouy en 1769. Nous devons à ce spirituel auteur une foule de pièces de théâtre qui ont eu un grand succès. Mais ce qui a surtout établi sa réputation, c'est son Ermite de la Chausséed'Antin, excellente description des mœurs parisiennes.

LA COUR DES MESSAGERIES A PARIS.

ON ne s'imagine pas tout ce qu'on peut apprendre dans une cour des Messageries, toutes les observations qu'on y peut faire, toutes les aventures qui s'y passent ou qui s'y

préparent, tous les secrets qui s'y découvrent. C'est là que nos moralistes et nos romanciers, au lieu de tourner sans cesse dans le cercle étroit de leur imagination, pourraient venir étudier la nature, la prendre sur le fait, ou du moins chercher des couleurs pour la peindre. Soit qu'à l'exemple de La Bruyère ils voulussent tracer des caractères piquants, ou comme Duclos, les rapprocher pour en déduire des conséquences sur l'état actuel des mœurs; soit qu'à l'imitation de Le Sage, ils s'occupassent de cette suite de tableaux dont se compose la galerie de la vie humaine; soit enfin qu'ils se bornassent, ainsi que Sterne, à quelques scènes d'intérieur, dont l'extrême intérêt résulte du naturel et de la vérité des détails, il est certain qu'en aucun lieu du monde ils ne trouveraient réunis dans un aussi petit espace une aussi grande quantité de matériaux tout prêts à être mis en œuvre. Quelle foule de situations et d'originaux! Le premier que je remarque est le conducteur, moins reconnaissable à son bonnet garni de fourrure et à sa feuille qu'il tient à la main qu'à cet air d'importance et d'autorité qu'il affecte avec les postillons et les porte-faix. Il faut le voir, ce petit despote, passant la revue de sa voiture, criant contre le charron pour une jante, contre le maréchal pour un écrou; faisant placer et déplacer selon son caprice ou son intérêt, et sans égard pour les réclamations des voyageurs, leurs porte-manteaux et leurs paquets dans le magasin ou sur la vache.

Plusieurs voitures étaient au moment de leur départ : au milieu des chevaux que l'on attelait, des voyageurs qui allaient et venaient sans cesse, des commissionaires chargés de malles; de ceux-ci qui arrivaient en jurant, de ceux-là qui partaient en pleurant, on aurait pu se croire dans une ville prise d'assaut. La diligence dans laquelle je devais partir était ouverte ; une seule personne y était déjà montée: c'était un militaire, qu'à ses longues moustaches, à sa grande redingote verte, à son charivari à boutons blancs bombés, et à sa toque basque, je reconnus pour un officier de chasseurs à cheval: comme il fermait sur lui la portière, une jeune femme la rouvrit d'un air délibéré, appela l'officier par son nom et le pria de descendre d'un ton qui pouvait passer pour un ordre. L'air de stupé

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