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monde sait qu'on trouvait chez les Grecs et chez les Romains des cérémonies analogues'.

Ainsi donc, quand M. Jean Reynaud est venu nous parler de cette cérémonie chez les Mages, ce n'est pas une découverte qu'il a faite; il n'a dit que ce qu'avaient dit avant lui les apologistes catholiques. Seulement, il a prouvé qu'il ne savait pas expliquer ces traditions, qu'il en ignorait l'origine.

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Quelle conclusion faut-il tirer de tous ces faits?

Le rit fondamental du sacrifice, dit M. Gerbet, complète l'unité >> du culte primitif dont le plan se découvre alors tout entier. Suivant » la foi antique, Dieu, qui, à l'origine, se rendait personnellement » présent à l'homme, a continué d'être présent par sa grâce à l'homme dégénéré. Par quel moyen pouvait-on participer à la grâce divine? » Par le moyen de la prière accompagnée de l'offrande, et en vertu » d'une expiation figurée par le sacrifice. Mais cette union elle» même avait une forme extérieure dans la participation aux ali» mens consacrés par l'offrande, et à la chair des victimes. Ainsi, » une communion à la grâce, à la foi spirituelle et corporelle, invisible » dans son essence et visiblement manifestée : tel était le centre auquel aboutissaient, dans ce qu'elles avaient de commun, les litur»gies de tous les peuples, tel était le foyer vital du culte, quel que <<< fût son état d'altération 2. »

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"Outre ces efforts à la poursuite d'une lumière supérieure, dit un » des plus profonds théologiens de ce siècle, on a toujours soupiré » après la découverte d'un principe qui pût régénérer le cœur hu» main et le rétablir dans une communion plus étroite avec la Divi>nité, comme autrefois, dans l'état normal où il avait été créé. De quel » autre sentiment, en effet, aurait pu naître la coutume de participer >> aux sacrifices offerts aux dieux du Paganisme? Cet acte même » n'impliquait-il pas que la victime était devenue la propriété de Dieu, et, pour ainsi dire, sa nourriture? Les hommes entraient en » société avec lui, ou devenaient ses hôtes, et, ainsi associés avec lui,

"

'Gerbet, Considérations sur le dogme générateur, 33. Lettres sur Jésus-Christ, 11, 183.

2 Gerbet, Considerations sur le dogme générateur.

Rossignol

acquéraient des droits à sa protection et à son amitié. Dans certains » lieux, il y avait encore une ressemblance plus marquée avec la >> Pâque de la loi nouvelle...

>> Si notre divin Sauveur est venu sur la terre pour rétablir, au» tant que pouvait le permettre la dégradation de ses facultés intellec»tuelles et morales, l'homme malheureux dans l'état de bonheur » dont il est déchu, s'il est venu pour satisfaire tous les justes désirs » de l'humanité pour ce qui est bon et saint, nous devons nous at» tendre à trouver dans sa religion simple, et dans l'Église, son para» dis terrestre, des institutions parfaitement en rapport avec ces grands objets. Or, le catholique croit qu'il en est ainsi1. >>

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Après avoir trouvé l'origine de l'Eucharistie dans la liturgie mazdéenne, M. Reynaud veut aussi faire dériver le Baptême, institué par de Jésus-Christ, de la religion prêchée par Zoroastre2; mais il est étrange que les écrivains que nous combattons oublient, comme Voltaire et Kant l'ont avoué, que toutes les religions étaient fondées sur la conviction de la chute originelle. Voilà ce qui explique pourquoi l'on avait environné d'expiations solennelles tout ce qui regardait les cérémonies du mariage et de la naissance. Cette pratique qu'on retrouve à Rome, au Mexique, en Égypte, au Thibet, dans l'Inde, en Grèce et aux Canaries ne peut pas être regardée comme une habitude locale. Quant aux emprunts prétendus que le Christ aurait faits aux céré

Mgr Wisemann, Conférences sur les doctrines de l'Eglise catholique Conférence xvi, trad. Juron. Dans les Demonst. de Migne, t. xv.

2

Voyez ce qu'il dit de l'eau, Zour, 815, 816. M. E. Quinet fait aussi dériver le Baptême du mazdéisme, Génie des religions, p. 318.

:

Voltaire, Questions sur l'Encyclopédie. Il est curieux d'entendre Kant. là-dessus Les hommes ont prétendu d'un commun accord que le monde a » commence par le bien, mais que la chute rapide dans le mal s'est bientôt » manisfestée.. Kant, De la religion dans les limites de la raison. Trad. Lortet. Pour les preuves traditionnelles, voir Annales de philosophie chrédienne, 11, 17, 51. -IV, 372, 414. — 1x, 53, 357.-VIII, 51, 110, 111. - XI, 184. et xi, 152, 346. — xvi, 128, 254. - xvIII, 276.-Pour la preuve psychoJogique, voir Pascal, Pensées, et Gerbet, Introduction à l'étude des vérités chrétiennes, dans l'Université catholique, 1, 11. La Pureté du cœur, Introd. 4 Rohrbacher, Histoire universelle de l'Eglise catholique, 1.

monies du Mazdéisme, un célèbre théologien du siècle dernier a résolu depuis longtems cette difficulté qui paraît très à tort, formidable à nos adversaires '.

« D'autres incrédules plus entêtés, dit Bergier, ont soutenu que >> nos cérémonies sont un reste de paganisme, qu'il n'y a aucune » différence entre les rites du Christianisme et la théurgie des payens. » C'est une vieille objection des Manichéens. Nous soutenons au » contraire, que l'emploi des cérémonies au culte du vrai Dieu, est » la restitution d'un vol fait par les payens. La vraie religion est plus >> ancienne que les fausses, elle a droit de revendiquer les rites que » ses rivales ont profanés. Faut-il nous abstenir de prier Dieu parce » que les payens ont prié Jupiter et Vénus, ne plus nous mettre à » genoux, parce qu'ils se sont prosternés devant les idoles ? »

Nous avons donc le droit de dire aux incrédules: Plus vous examinerez les origines du Christianisme, plus vous apercevrez ses profondes racines dans les traditions universelles du genre humain. Une intelligence complète de son histoire merveilleuse, fait disparaître toutes les difficultés que soulève perpétuellement contre elle l'érudi tion superficielle du rationalisme contemporain. Nous croyons en avoir jusqu'ici fourni bien des preuves, et les occasions ne nous manqueront pas dans la suite pour démontrer d'une manière plus complète et plus étendue la vérité que nous énoncions tout-à-l'heure. On peut donc dire de la révélation chrétienne, ce que Bacon disait de la science: «< Leviores haustus avocant à Deo, pleniores ad Deum » revocant! »

L'abbé FRÉDÉRIC EDOUARD CHASSAY.

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Voyez ce que M. J. Reynaud dit de l'eau bénite, du feu du samedi saint, etc. 814, 815. — E. Quinet, p. 320.- Le protestant Poynder avait fait déjà les les mêmes difficultés, voir Le Papisme en alliance avec le paganisme.Pour la réfutation, Mgr Wisemann y a répondu, voir Lettres à M.J. Poynder, trad. Furon, 3 lettre, dans les démonstrations évangéliques de Migne, 1. XVI, p. 206.

2 Voir Augustin, Contra Fauslum, lib. xx, c. 4 et 21.

* Bergier, Dict. Thecl., art. Cérémonies, 10.

Histoire.

LE

GRAND SAINT-BERNARD

ANCIEN ET MODERNE.

Deuxième Article 1.

III. LE TEMPLE DE JUPITER ET LES ÉTABLISSEMENS ROMAINS AU GRAND SAINT-BERNARD.

Depuis l'époque où, dans le monde antique, le souvenir des traditions primitives fut effacé de la mémoire des hommes, on vit négliger partout et abandonner le culte du TRÈS-HAUT; on vit les peuples aveugles s'empresser de rendre aux objets de la création les devoirs suprêmes qu'ils devaient uniquement au Créateur.

Ainsi l'ont fait les idolâtres antiques; ainsi le font encore de nos jours ces innombrables tribus d'infidèles qui peuplent le monde étranger à notre foi, le monde où n'a point pénétré la douce et sainte morale de l'Évangile.

Ne soyons donc point surpris si jadis les peuples des Alpes ont choisi pour sanctuaire, et même pour objet de leur culte, les plus grandioses de leurs montagnes.

La terreur populaire, en effet, y plaçait le siége d'une puissance invisible formidable; elle les animait, ou tout au moins les peuplait de ces génies du mal qui leur envoyaient tantôt les inondations fatales à leurs vallées, les chutes de rochers ou d'avalanches non moins funestes; c'était là pour l'ignorance et la superstition de ces âges des divinités redoutables qu'il fallait désarmer en les adorant.

Parmi ces montagnes, une des plus célèbres fut évidemment, dès les premiers tems, celle que l'antiquité payenne nomma le Mont de

Voir le 1er art. au no 101, t. xvII, p. 376.

Jupiter, celle que la reconnaissance des peuples chrétiens appellera bien des siècles encore le Grand Saint-Bernard. Cette montagne connue par les dangers d'un passage aussi fréquenté que difficile fut donc, parmi toutes les autres, une des premières à recevoir la consécration d'un culte religieux. Mais dire l'époque où ce culte fut régulièrement établi; développer les transformations qu'il dut y subir; préciser en particulier le tems où le Jupiter Poeninus des Romains y fut adoré, c'est ce qu'une saine critique ne saurait entreprendre. On a voulu se servir d'un passage de Julius Obsequens pour prouver que sous Tarquin-le-Superbe, les livres sibyllins parlaient déjà de cette divinité, quand ils prescrivaient aux armées romaines des sacrifices au dieu de Cordela. Mais en admettant même l'authenticité de toutes ces choses, rien dans ce passage n'indique qu'il s'agisse plutôt du Jupiter de la montagne que de telle ou telle autre divinité célèbre dans la contrée 2.

En parlant de ce même culte, Tite-Live en relève aussi la haute antiquité. Mais, comme déjà nous l'avons vu, il s'efforce de changer complétement le sens du surnom du dieu adoré. Ainsi, d'après lui, c'est de Penninus, mot dérivé de la position géographique du lieu 3 qu'il s'agirait, et non de Poeninus, nom tout historique en faveur du passage des Carthaginois 4. Mais, nous l'avons déjà fait remarquer, tout ce système croule de soi-même à la seule vue des inscriptions qui consacrent irrévocablement l'orthographe primitive 5. Nous rap

1 Aujourd'hui la ville d'Aoste.

2 Sub Appio Claudio et Publico Metello consulibus, (143 ans avant J.-C.) cum à Salassis illata clades esset Romanis, Decemviri pronuntiarunt se invenisse in Sibyllinis, quoties bellum Gallis illaturi essent, sacrificari in eorum finibus oportere (apud Cordelam Salassorum urbem). Juli.Obseq. Prod. libell.,

C. LXXX.

J

En langue celtique, pen veut dire lieu élevé.

4 Luitprand auteur du 10° siècle assure avoir vu sur le rocher de Donas dans la vallée d'Aoste, l'inscription suivante: Transilus Annibalis. Mais à supposer que l'inscription fût antique, elle ne prouverait rien de positif pour le Grand Saint-Bernard; le passage du Petit Saint Bernard y aboutit également. 4 Tous les ex-voto conservés portent POENINO, à l'exception de deux où on Hit: rvOENINO et PHOENINO.

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