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chose, dès lors, que l'état d'aisance, le travail attrayant, le droit au travail, l'égalité dans les jouissances du monde. Qu'il y ait là un certain mal et un certain bien, soit; mais ce n'est que la moindre partie de l'un et de l'autre. Le mal, dans la langue du Christianisme, est incomparablement plus vaste et plus profond; il comprend tout ce qui dégrade l'homme, tout ce qui est opposé aux lois de la conscience et à la volonté de Dieu. Ce mal peut se rencontrer, et se rencontre en effet chez le riche non moins que chez le pauvre, et quelquefois à un plus haut degré. De même pour l'idée du bien. Le commentateur fouriériste descend dans ses explications fort au-dessous, non seulement de la philosophie antique, mais de la religion païenne; il s'abaisse jusqu'aux élémentaires conceptions de l'homme sauvage.

>> La seconde observation à indiquer, et qui est semblable à la première, c'est que le nouvel interprète de l'Oraison dominicale semble ne tenir aucun compte de la vie à venir. Tout pour lui est dans le présent. Que l'homme soit bien nourri, bien vêtu, bien diverti sur cette terre, et cela lui suffit. Son idéal ne s'élève pas plus haut; son espérance ne va pas au-delà. Que la vie actuelle doive entrer en ligne de compte nous y souscrivons. Il ne faut rien outrer, et les mystiques qui traitent les choses terrestres comme absolument indignes de nous occuper, font, nous en avons peur, un système bon pour l'école, non pour la réalité. Mais l'erreur inverse est plus forte encore, et si le rédacteur de la Démocratie pacifique avait bien voulu lire une seule fois le Nouveau-Testament, il aurait vu partout que la vie éternelle est présentée comme le but, et la vie d'ici-bas comme un simple moyen. Malheureusement, on ne se donne guère aujourd'hui la peine d'étudier les matières dont on parle, et pour la science comme pour les actes, on veut être chrétien au meilleur marché possible. Nous n'en félicitons pas notre époque 1.

Que le Semeur nous permette de lui faire les observations suivantes: 1° Quant les fouriéristes interprètent ainsi l'Oraison dominicale et y trouvent leurs propres théories et leurs propres pensées, que fontils autre chose que ce qu'a fait Luther, et tous les protestans après lui? Chacun d'eux n'a-t-il pas trouvé quelque explication nouvelle de

'Le Semeur, n° 41, 1848.

l'Ecriture? Pourquoi interdire ce droit aux fouriéristes? L'auteur même de l'article en offrant une autre explication de ce texte, sur quoi se base t-il? Il met de côté la tradition, ce qui serait la méthode catholique, alors il ne peut avoir recours qu'à sa raison particulière, et il faut forcément qu'il sontienne, ou que cette raison voit directement la vérité, ou que Dieu la lui révèle intérieurement. Mais alors comment peut-il logiquement refuser ce même droit et cette même faveur aux fouriéristes? Toute son argumentation se réduit donc à dire: Vous avez tort et c'est moi qui ai raison.

2o Quand il définit le mal tout ce qui est opposé aux lois de la conscience et à la volonté de Dieu, ne tombe-t-il pas lui-même dans le travers qu'il reproche aux fouriéristes? Que font-ils si ce n'est de mettre les lois de leur conscience avant la volonté de Dieu, c'est-àdire leur pensée avant la parole de Dieu ? Qu'il veuille bien nous expliquer ce que c'est que ces lois qui sont autre chose que la volonté de Dieu ? Nous le répétons, ce sont là des questions insolubles pour toutes les personnes qui ont renoncé à la méthode traditionnelle : il ne reste plus qu'un mysticisme, ou illuminisme confus, qui conduit droit et forcément au pantheisme.

A. B.

1

Correspondance.

LETTRE D'UN PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE

SUR

NOTRE DISCUSSION AVEC M. L'ABBÉ ESPITALIER.

Monsieur le directeur,

C'est avec une véritable satisfaction que j'ai lu la lettre de M. l'abbé Espitalier, insérée dans le numéro de mai dernier, p. 360 de vos Annales. Cette lettre dénote un homme qui, nourri de fortes études, raisonne avec justesse et clarté soit en philosophie, soit en théologie. Quoique vous ne paraissiez pas tout à fait d'accord avec lui, je crois qu'il n'y a aucun dissentiment quant au fond de la question. Vous me permettrez donc de me jeter dans la mèlée pour faire cesser tout désaccord entre vous et lui; car il n'y a qu'un malentendu, et j'ajouterai un défaut d'explication plus détaillée à faire disparaître, pour ôter tout dissentiment.

Vous êtes d'accord avec M. l'abbé Espitalier que la methode scholastique était aristotélicienne, parconséquent rationaliste; « parce que, comme vous » le dites (p. 366), je vois les définitions, divisions, expressions avec les cita>>tions des livres d'Aristote, d'où elles sont extraites. » M. l'abbé Espitalier laisse là le moyen, la méthode dont il n'est plus question, puisque vous êtes d'accord là-dessus, et va plus loin à l'occasion de certaines paroles que vous avez avancées et qui n'ont pas la portée qu'il leur suppose. En parlant de la méthode, vous aviez dit que « l'enseignement de la scholastique est basé, > fondé sur Aristote et ses commentateurs. » M. l'abbé Espitalier prenant vos paroles dans un sens que vous n'aviez pas eu l'intention de leur donner, a cru qu'il ne s'agissait plus de la methode, mais du fondement de l'enseignement et de la base même de la foi. Aussi ajoute-t-il que si le fondement de la foi » qui animait les scholastiques était rationaliste, il fallait dire que non seule» ment la méthode était rationaliste, mais encore que la base même, l'enseigne» ment tout entier de la religion l'auraient été; » ce qui certainenent est bien loin de votre pensée, car p. 319, vous ajoutez : « Nous ne répondons qu'une chose, c'est que celui qui ne croirait pas que la religion est révélée de » Dieu, ne croirait pas complètement le symbole catholique. » Vous auriez pu dire ne croirait nullement le symbole des apòlres. (P. 371 ) vous ajoutez que le Christ est le seul fondement de l'Eglise, et l'Eglise est son interprète.» D'après cela vous êtes au fond d'accord avec M. l'abbé Espila

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fier; mais vos réponses auraient eu besoin de plus de développement, car à ne regarder les choses qu'à la superficie, l'on croirait que vous tombez dans l'erreur que vous voulez éviter et que vous combattez partout où vous la rencontrez. En effet par vos réponses générales, on pourrait dire : « que la foi est » toujours bonne, quelque soit son fondement, ou motif qui nous fait croire, » tandis que pour vous, comme pour tout véritable chrétien, la foi n'est véri » table qu'autant que son objet formel ou motif est basé sur l'autorité de » Dieu qui révèle les vérités qui sont l'objet matériel de notre foi, » pour m'exprimer comme les théologiens.

C'est ce que vous faites assez entendre, en disant que « celui qui ne croirait » pas que la religion est révélée de Dieu, ne croirait pas complètement le » symbole des apôtres. » C'est bien dire implicitement que le fondement ou le motif de notre foi est Dieu qui révèle, et que notre foi n'est pas établie sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu',

Quant à la foi des simples ou ignorans et celle des gens éclairés, elle est bien la même et quant à l'objet matériel et quant à l'objet formel, mais elle diffère accidentellement en ce que les personnes instruites croient explicitement plus d'articles que celles qui ne connaissent que les articles nécessaires au salut.

Voilà ce que M. l'abbé Espitalier demande, et ce que vous croyez comme lui avec l'Eglise. Il n'y a donc plus de dissentiment entre vous et lui.

Quant aux différentes méthodes de Descartes, de Malebranche, de Lamennais, d'Hermès et des protestans, il y aurait bien des choses à dire, mais ce n'est pas ici le lieu. Du reste toutes ces méthodes n'ont pour base que le rationalisme envisagé sous différentes faces.

Veuillez agréez l'assurance du respect et de l'estime avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc.,

***

Directeur au séminaire de....

Nous n'ajoutons rien à cette lettre, si ce n'est que nous avons toujours soigneusement distingué la méthode pour arriver à la foi, du fondement même de la foi. Bien des gens arrivent à la foi par le rationalisme, mais comme c'est là un chemin de traverse, il faut l'éviter parceque le plus grand nombre s'y perd, reste en chemin et n'entre jamais dans l'Église.

'Saint Paul, Corinth., 11, 5.

A. B.

Nouvelles et Mélanges.

ITALIE. ROME.

EUROPE.

Allocution de notre Très-saint-Père Pie par la Providence divine, IX° du nom, sur la mort de Mgr Affre, archevêque de Paris.

Mgr Sibour, évêque de Digne, a été préconisé pour le siége de Paris, dans le consistoire du 11 septembre. Après cette nomination Sa Sainteté Pie IX, a prononcé le discours suivant, où il rend un juste hommage à la mémoire de Mgr Affre.

Vénérables Frères,

Nous nous empressons aujourd'hui de faire cesser le veuvage de l'illustre Eglise métropolitaine de Paris, et Notre charité pontificale Nous impose en cette occasion, Vénérables Frères, le devoir de rendre, dans votre auguste assemblée, un témoignage solennel et plein d'amour à l'illustre Evêque de cette Eglise, dont la mort cruelle Nous causa une si vive douleur. Vous le comprenez, Nous parlons de Notre Vénérable Frère Denis-Auguste Affre, `qui, distingué par la piété, par la charité, par le zèle et les autres vertus sacerdotales, ne négligea rien, dans l'administration et le gouvernement de ce diocèse, pour défendre la religion catholique, fortifier la discipline ecclésiastique, éloigner des pâturages empoisonnés, amener dans les pâturages salutaires les brebis confiées à sa foi, pour secourir de toute manière, consoler, relever les pauvres, les malheureux, et, par ses paroles et par ses exemples, gagner tout le monde au Christ. Cet Evêque a poursuivi son troupeau d'un tel amour que, remplissant magnifiquement la charge du bon pasteur, il a donné un grand et admirable exemple de charité chrétienne, spectacle aimé de Dieu, des anges et des hommes. Lorsque, en effet, au mois de juin dernier, une lugubre guerre civile s'éleva dans Paris, Lui, vous le savez, s'oubliant complètement soi-même, uniquement inquiet et préoccupé du salut commun des autres, du désir d'apaiser les mouvemens violens et ensanglantés des citoyens, de détourner entièrement de son troupeau les pertes, les massacres et les ruines, animé d'un courage vraiment chrétien et épiscopal, au mépris des périls les plus sérieux, il n'hésita pas à se jeter entre les combattans. Là, pendant qu'il s'efforçait de rappeler les citoyens armés les uns contre les autres à des sentimens, à des désirs, à des desseins de paix, de calme, de tranquilité, de mutuelle concorde, frappé d'une blessure mortelle, il donna sa vie pour ses brebis.

Tout le monde voit quelle gloire le clergé et l'épiscopat, non seulement de l'illustre nation française, mais encore de tout l'univers catholique, reçoivent de cet acte admirable de charité chrétienne qu'aucun siècle à venir ne passera sous silence et que la postérité la plus reculée n'oubliera jamais. Cette charité si ardente, qui porta notre Vénérable Frère à s'offrir, comme en holocauste au Dieu bon et tout-puissant, pour son troupeau, pour toute la nation française; la religion et la piété souveraine avec laquelle, le cœur plein de joie, il accueillit la mort, nous donnent le droit d'espérer que de cette triste station

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