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idée a eu un commencement de réalisation. Il y a plus: M. Renouvier, dans son livre, s'est fait souvent l'écho de M. Cabet. Enfin, pour tous les enfans au-dessous de 10 ans jusqu'à 18, éducation et instruction gratuites en commun: on pourrait par ce moyen « les >> habituer complétement à la vie de communauté'. » Et M. Cabet s'imagine que les pères de famille se prêteraient volontiers à ce manége? Si, quand on attaque la propriété, un sentiment d'indignation les soulève, qu'on le sache bien, c'est moins pour eux que pour leurs enfans qu'ils veulent la défendre. Et ils laisseraient propager un enseignement qui la saperait par sa base! et ils confieraient leurs enfans à des maîtres qui implanteraient dans leur esprit des sentimens qu'ils ont en horreur ! Sur ce point, nous ne conservons aucune crainte il y a, dans les populations, une répulsion trop vive pour les doctrines subversives de l'ordre et de la justice.

M. Cabet, lui, ne doute nullement que son système transitoire ne doive être mis à exécution. Les cinquante ans qu'il demande une fois écoulés, alors commencerait le règne du système définitif. Partout s'établirait ce qu'il suppose exister en Icarie, « le territoire, avec toutes ses mines souterraines et ses constructions supérieures, ne formerait qu'un seul domaine, le domaine social, tous les biens

Il y a longtems que les ultra-démocrates caressent cette idée. Robespierre l'avait eue. Voici comment M. de Lamartine nous expose ses projets sur ce point : « En rendant l'éducation primaire obligatoire pour toutes les familles, » et en jetant dans le même moule toute la génération de cinq à douze ans, » Robespierre établissait à défaut du communisme de biens, le communisme » des enfants et le communisme des idées. » Histoire des Girondins, t. v, p. 405. L'histoire nous apprend quels ont été les résultats de l'emploi de ce système. Ecoutons M. Am. Gabourg : « Les liens de la famille, si souvent > affaiblis depuis la Révolution, étaient abandonnés au caprice de l'immoralité » ou des passions; l'autorité du magistrat avait été, en quelque sorte, substituée » à la puissance palernelle, et aucun frein ne comprimait les emportements » d'une adolescence vicieuse : les enfans n'étaient plus confiés à la vigilante » sollicitude de leurs mères qu'autant qu'il consentaient à subir ce joug ; ›la » loi ne voyait en eux que de petits citoyens qui avaient leurs droits, elle subs→ >> tituait la patrie à la famille. » Histoire de la Révolution et de l'empire, 1. iv, p. 210.

meubles des associés, avec tous les produits de la terre et de l'industrie, ne formeraient qu'un seul capital social. Ce domaine social et ce capital-social appartiendraient indivisément au peuple, qui les cultiverait et les exploiterait en commun, qui les administrerait par lui-même ou par ses mandataires, et qui partagerait ensuite tous les produits.» Ainsi se trouverait résolu le problème de Rousseau plus de propriété individuelle, et partant plus de pieux, plus de fossés indiquant des partages à la surface de la terre, mais la Communauté de biens.

Est-il nécessaire de rappeler ici les efforts tentés par certains membres du gouvernement provisoire pour commencer à réaliser ce système? On n'a pas oublié, sans doute, les projets de M. Duclerc sur le rachat des chemins de fer, etc., etc. C'est là de l'histoire contemporaine. Eh bien! ne sait-on pas comment, au nom de la justice et de la propriété, M. de Montalembert, le 22 juin, flétrissait les idées du ministre des finances? « C'est un mauvais système, d'après lequel » vous dites à toutes les industries: grandissez, gagnez de l'argent, » et nous viendrons mettre la main sur vos produits : c'est l'opposé » du progrès. Vous aurez bientôt, par ce système, accaparé toutes » les industries. Vous aurez pris les canaux, les salines, les usines; » prenez maintenant les assurances contre l'incendie, vous prendrez » bientôt les assurances mobilières, les assurances maritimes. Et puis, » savez-vous: un ouvrier, dans une usine, a son bras pris dans un >> engrenage, son corps suit, sa tête, son cœur, et ce sera ainsi que » votre industrie sortira expirante de votre mécanique financière... >> Vous voulez inaugurer l'Etat démocratique par un acte que ses >> ennemis seuls pourraient lui conseiller. Anticiper dans ce cas, c'est » spolier, c'est porter une première et grave atteinte à la propriété... » Ainsi, le rachat des chemins de fer n'est pas un progrès social, » c'est un fait rétrograde. Dans l'ordre politique cette mesure est légalement mauvaise. Dans l'unité despotique, l'Etat fait tout; dans

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1 Voir Voyage en Icarie, p. 35.

Voir Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, œuvres complètes, t. iv, p. 159. Edit. Lefèvre.

» les pays de progrès, comme aux Etats-Unis, il laisse faire par l'in»dustrie privée et par l'association 1.»

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L'Etat est tout, l'Etat fera tout, tel est le rêve de M. Cabet et des communistes. Ce socialisme, dit, l'Ère nouvelle, se propose comme un progrès, et jamais peut-être on në tenta un plus hardi retour au passé le plus reculé. Nous le prouverons dans un prochain article. L'abbé V. H.-D. CAUVIGNY.

Il faut lire tout ce beau discours dans le Moniteur du 23 juin.

* Voir L'Ère nouvelle, 18 juillet.

Littérature Contemporaine.

REVUE ANALYTIQUE ET CRITIQUE

DES ROMANS CONTEMPORAINS,

PAR ALPHONSE DU VALCONSEIL '.

Deuxième Article 2.

L'auteur de ce livre, qui s'est caché sous le pseudonyme de Valconseil, et que l'on sait maintenant être M. Alphonse de Milly, avait montré, dans un volume que les Annales ont déjà fait connaître, le danger, l'infamie et l'abjection de cette littérature romanesque, devenue presque l'unique littérature de la France. Ce compte-rendu consciencieux suffisait pour faire généralement suspecter le roman contemporain, et pour mettre à même de conclure qu'y toucher; c'était toucher au poison, et à un poison souvent bien subtil. A peu près tous les romanciers que M. de Milly avait analysés et jugés ont, en effet, caché dans chaque drame et sous chaque récit une idée plus ou moins désorganisatrice.

M. de Milly aurait donc pu s'en tenir rigoureusement à son premier volume. Cependant, sa tâche, complète à ce point de vue, ne l'aurait pas été sous tous les rapports. On n'avait pas encore l'appréciation et l'analyse de tous les principaux romans contemporains. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, l'écrivain si malheureusement fécond qui eut naguère tant de vogue, M. de Balzac, ne figurait pas dans la première. galerie. Son droit pourtant n'était pas contestable, et cette absence pouvait bien passer pour une lacune.

Ces considérations, peut-être, et certainement les félicitations flatteuses de plusieurs personnages éminens et l'accueil bienveillant de

1 Tome second, in-8, de 500 pages; chez les frères Gaume, à Paris. 2 Voir le premier article, t. xv, p. 37, (3e série).

la presse, ont fait reprendre la plume à l'auteur pour compléter son

œuvre.

Son nouveau volume ne le cède en rien au précédent : c'est la même sagesse de jugement, la même finesse d'aperçus, la même réserve d'exposition, la même charité chrétienne, le même parfum de probité, la même indignation vertueuse, en un mot, la même bonne œuvre '. M. de Milly, on le devine sans peine, est le chef d'une de ces familles chrétiennes où la pratique du bien est héréditaire; cù la pureté du cœur forme le plus précieux trésor; et où l'on se met unanimement en marche pour le ciel. Son livre est une confidence amicale, le secret d'un cœur oppressé, le conseil d'une âme honnête, s'adressant à tous ceux qui travaillent de bonne foi à rendre notre nature un peu meilleure. Il ne fallait rien moins que cette raison de premier ordre pour le déterminer à se replonger, non pas seulement dans la lecture, mais dans l'étude de ces centaines de volumes d'où s'exhale une odeur plus pénible que celle des cadavres.

On ne saurait trop revenir sur l'importance de ce service. Que de tems, que de dégoûts épargnés à ceux qui sont obligés de connaître cès déplorables livres, et qui ne le pourraient sans péril ou sans imprudence!

M. de Milly a étudié, dans ce second volume, M. de Balzac, M. Jules Janin, Volupté, de M. Sainte-Beuve, M. Charles de Bernard, et le Juif errant, de M. Eugène Sue.

Il n'est pas aisé de préciser l'école à laquelle M. de Balzac appartient. M. de Milly pense que ce romancier écrit pour écrire; qu'il peint pour peindre, d'abord, ensuite et surtout pour vendre ses tableaux. Afin de pénétrer dans le public entier, il a mis sur son enseigne qu'il voulait corriger et améliorer les mœurs contemporaines; que c'était là son but. Et qu'a-t-il fait pour y atteindre? Il a retracé au naturel ces mœurs elles-mêmes; il a essayé, dit-il, de reproduire la grande comédie humaine. Mais comme la vertu n'est pas en majorité sur cette terre, il arrive bien souvent que les livres de cet

1 Pour donner à ce mot, bonne auvre, tout le sens qu'il doit avoir, il faut savoir que le livre de M. de Milly se vend au profit d'une maison de hautes études ecclésiastiques.

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