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M. Cabet comme des chimères; mais ne vous y trompez pas, on a essayé de les réaliser. Quant à l'importance qu'elles ont à nos yeux, elles la doivent aux événemens qui se sont accomplis. Vous ne pouvez pas écrire l'histoire de la Révolution de Février sans qu'elles y occupent une large place. Voyez plutôt si vous ne reconnaîtrez pas plus d'une idée émise par certains hommes du pouvoir.

44 a 1o Le système de l'égalité absolue, de la communauté de biens et de travail obligé ne sera complétement, parfaitement, universellément et définitivement appliqué que dans 50 ans;

» 2o Pendant ces 50 ans, le droit de propriété sera maintenu et le travail restera libre et non obligatoire ;

» 3o Les fortunes actuelles seront respectées, quelque inégales qu'elles soient: mais, à partir d'aujourd'hui et pour les acquisitions futures, le système de l'inégalité DÉCROISSANTE et de l'égalité : PROGRESSIVE servira de transition entre l'ancien système d'inégalité ILLIMITÉE et le futur système d'égalité parfaite et de COMMUNAUTÉ (A).

» 4° Tous les propriétaires existans aujourd'hui continueront à conserver leur propriété. Il ne pourra être fait de changemens que pour les successions, les donations et les acquisitions futures (B).

)) .....

6o A partir d'aujourd'hui, toutes les lois auront pour but de diminuer le superflu, d'améliorer le sort des pauvres et d'établir progressivement l'égalité en tout (C).

(A) Que pensez-vous de la propriété de la terre et du droit de ceux qui » se la sont appropriée ? R. La loi peut imposer toutes sortes de conditions à ceux qui ont la terre et même les exproprier moyennant indemnité s'ils on » font un mauvais usage. Quant à ces grands propriétaires que vous avez » raison de craindre, sachez que s'ils payaient à la République un impôt con» venable, et de bonnes journées à leurs travailleurs, ils se verraient obligés » pour la plupart à vendre leurs terres à des citoyens qui en tireraient un » meilleur parti qu'eux. On fera des lois pour cela quand on voudra. » M. Renouvier, p. 22.

(B) Sans détruire le droit d'héritage, on peut le limiter pour l'intérêt public, »et, sans supprimer l'intérêt du capital, on peut prendre beaucoup de mesures » pour le rendre aussi faible qu'on voudra. Alors l'oisiveté sera dificile au » riche et le pauvre trouvera facilement credit pour s'enrichir. » M. Renouvier, ibid., p. 21.

(C) Le moyen que suggère M. Cabet, c'est l'impôt progressif,

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cet impôt

"...... 13o Le salaire de l'ouvrier sera réglé (D).

» 14° Cinq cents millions au moins seront consacrés, chaque année, à fournir du travail aux ouvriers et des logemens aux pauvres.

» 15° A cet effet, tous les travaux préparatoires pour l'établissement de la Communauté seront immédiatement commencés. » →→→ M. Cabet parle ailleurs (p. 367) de la création d'immenses ateliers

souverainement impopulaire contre lequel la France entière proteste.

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- Le

» gouvernement provisoire a posé en principe, dit M. Léon Faucher, dans le » rapport qui précède son décret sur les hypothèques, la substitution de • l'impôt progressif à l'impôt proportionnel. La théorie n'est pas neuve. Elle » peut figurer au premier rang parmi ces plagiats de la Convention qui abon» dent aujourd'hui jusque dans le programme des fêtes. En 1793, et sur la proposition de Barrière, la Convention décrétait qu'il serait établi un impôt gradué et progressif sur le luxe et les richesses tant foncières que mobilières ; →» mais ce décret de la Convention, comme celui qu'elle rendit sur la peine de >> mort, resta sans application en France. On en fit l'essai sur l'impôt mobilier, >> mais la tentative n'eut aucun succès. Depuis, la doctrine de l'impôt progres>> sif a été adoptée par l'école de Babœuf, qui le recommandait comme un >> 'acheminement à la loi agraire. Elle a séduit J.-B. Say, qui ne se rendait pas >> bien compte des conséquences. Enfin, elle a été prêchée par les disciples » de Saint-Simon, dans cette époque de ferveur où ils marchaient à la destruc» tion de l'héritage et de la propriété. C'est de leurs mains que l'école radicale › a reçu le principe proclamé par le gouvernement provisoire. M. Léon Faucher, du système de M. L. Blanc, p. 113-14. Voir sur l'impôt progressif: Jollivet, De l'impôt progressif et du morcellement du patrimoine; Ræderer, Journal d'économie publique, t. 1, p. 217; Boulatignier, Traité de la fortune publique, t. 11, l'Edimbourg Review, avril 1833, p. 143, et surtout l'excellent article que M. Francis de Corcelles a publié dans la Revue des Deux-Mondes. (D) La République a donc le droit d'intervenir dans les conditions du tra⚫ vail et le réglement des prix et des salaires?-R. Sans doute, elle a ce droit. » M. Renouvier, ibid., p. 23-24. Qu'un état quelconque ait ce droit ou ne l'ait pas, toujours est-il que le gouvernement provisoire en a largement usé. • Après avoir réglé les heures de travail, il s'est mis en train de régler les salaires: Les cochers d'omnibus, les paveurs, les boulangers, les débardeurs, ont eu » leurs tarifs. Il ne restait plus qu'à imposer un maximum à la production et qu'à renfermer la consommation dans certaines limites. M. Léon Faucher, Du système de M. Louis Blanc, p. 90.

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républicains. Eh bien! après le combat, ne s'est-on pas empressé d'ouvrir parmi nous des ateliers semblables? « Le gouvernement provisoire, qui, le 25 février, ne demandait que deux jours pour rendre au peuple le calme qui produit le travail et lui faire avoir son gouvernement, inaugurait le 28 sa commission pour les travailleurs 2. » Aussitôt se sont ouverts ces ateliers qui, pendant plusieurs mois, ont pesé sur la France. Et quels hommes les composaient ! N'ont-ils pas essayé de détruire la société ? Le premier acte d'un gouvernement fort n'a-t-il pas dû être de les dissoudre? M. Cabet propose aussi la diminution des heures de travail. On sait que sur ce point encore son projet a été mis à exécution 4; on sait aussi qu'il a fallu demander le rapport du décret porté à cet effet.

Tels seraient quelques-uns des principes de l'organisation sociale que propose M. Cabet. Il a soin de nous répéter que « basée sur la propriété et l'inégalité décroissante de fortunes, elle respecterait ce qu'on appelle droits acquis, tandis que le système définitif de la Communauté ne devrait exister que pour le petit nombre des enfans au-dessous de 15 ans et pour les générations à naître 5. »

Il faudrait aussi une organisation politique transitoire, et M. Cabet proposerait de constituer, toujours à l'exemple des Icariens, une Ré

■ Proclamation du gouvernement provisoire. Bulletin des lois no 1.

▲ Voir M. Baude, Les ateliers nationaux, Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1848.

3 « Toute personne un peu au fait, non des mystères, mais des misères de Paris, peut affirmer hardiment que sur les 103,500 individus des ateliers nationaux, il s'en trouvait au moins 18,000 gens de sac et de corde, repris de justice de tous les degrés, depuis le voleur de la maison de Poissy jusqu'à la plus hideuse écume des bagnes de Brest et de Toulon. M. Baude, ibid., page 21.

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4 « Le gouvernement provisoire de la République décrète : La journée de travail est diminuée d'une heure. » Depuis l'abolition des maîtrises et des jurandes, dit M. Baude, ce décret est la première atteinte portée en France à la liberté du travail. Et de toutes les flagorneries empoisonnées qu'on a depuis quelque tems prodiguées aux ouvriers, la plus détestable est celle qui a conduit à leur dénier la liberté de travailler. » Ibid., p. 9.

• Voir Voyage en Icarie, p. 360.

publique démocratique et sociale. Mais, si nous ne nous trompons, on a vu flotter sur les barricades, on a saisi entre les mains des insurgés des drapeaux qui portaient cette devise. Qu'on se rappelle le 16 avril, le 15 mai et les sanglantes journées de juin : quel a été alors e mot d'ordre de la sédition? N'est-ce pas ce cri de République démocratique et sociale? Cette parole creuse n'a-t-elle pas servi de mot de ralliement? N'a-t-elle pas enlevé des quartiers tout entiers, les quartiers de l'indigence et du travail, auxquels on avait persuadé que la suppression générale de la richesse entraînerait la diminution de l'indigence? L'histoire flétrira les hommes sur lesquels pèse la responsabilité de ces funestes doctrines.

Un régime pénal et judiciaire ne serait pas moins utile pendant cette époque de transition. M. Cabet nous en donne la raison : « La >> propriété devant être conservée pendant 50 ans, il serait impos»sible d'espérer qu'il n'y aurait plus de crimes pendant cette époque, » et nécessaire de conserver les moyens de répression 2. » M. Cabet, comme on le voit, revient à ses accusations contre la propriété; on peut être certain qu'il ne laissera échapper aucune occasion de la présenter comme la cause de toutes les fautes, de tous les désordres, de tous les crimes. C'était elle, c'étaient les aristocrates et les riches, qui, en Icarie, avant la Révolution, avaient entassé dans les bagnes de malheureux condamnés. Et comme l'histoire d'Icarie est, à son dire, l'histoire du monde entier, il faut en conclure que partout il en est ainsi. Que faire donc ? Imiter Icar: « Ouvrir les prisons, rendre » les détenus à la liberté et à leurs familles, les admettre soit dans l'armée, soit dans les ateliers de la République, grâcier les voleurs » mêmes qui voudraient travailler 3. » Inutile de dire que quelque chose de semblable s'est passé en France depuis la Révolution de Février qui ne sait combien de forçats ont, dans plusieurs maisons de détenus, manqué à l'appel 4? Mais nous avons été moins heureux

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1 Voir Voyage en Icarie, p. 343.

a Voyage en Icarie, p. 360.

• Ibid., p. 360.

On sait que dans une séance de l'Assemblée nationale, M. de Falloux a reproché au ministre des travaux publics qu'il y avait 22,000 repris de justice

que les Icariens: s'il faut en croire M. Cabet, la conduite de leurs repris de justice, rendus à la liberté, fut irréprochable. Pour nous, nous avons compté grand nombre de forçats parmi les insurgés qui, sur les barricades, avaient combattu contre l'ordre, la propriété et la famille.

Il en serait de la Religion comme du régime pénal et judiciaire: tout serait transitoire d'abord; plus tard on s'occuperait d'élaborer un système définitif. Mais ici nous voulons laisser M. Cabet nous exposer lui-même quelques-unes des réformes d'Icar: «< La religion » fut ramenée à l'adoration de la divinité et à la prédication de la >> morale..... L'Eglise fut déclarée séparée de l'Etat..... Et tandis • qu'on respectait les habitudes des vieux prêtres, on employait l'édu»cation pour en façonner (sic) de nouveaux qui pussent être utiles » pour régler les sentimens religieux des générations nouvelles 3. »>

Ce ne sont pas seulement les prêtres qui devraient être façonnés ainsi. Comme toutes les espérances reposent sur les jeunes générations, elles deviendraient l'objet d'une attention persévérante, d'une sollicitude de chaque jour, de chaque instant. Pour elles on se hâterait de former dans le sens de la Communauté, bien entendu, tous les instructeurs et professeurs dont on pourrait avoir besoin; on ferait rédiger tous les ouvrages nécessaires soit pour préparer ces professeurs, soit pour instruire les élèves, soit pour instruire tous les citoyens. Ces ouvrages seraient-ils dans le sens du Manuel de M. Renouvier? M. Cabet ne nous le dit pas; mais on voit que son

dans la brigade officielle des ateliers de Paris. Ce nombre n'a pas été nié par M. Trélat.

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1 Voir le rapport de M. Bouchart.

M. de Lamennais, dans son projet de Constitution, a émis la même idée: Chacun, dit-il, professe son culle avec une égale liberté. Tous les culles • sont indépendants de l'Etat.—Il n'en salarie aucun, mais il les protège tous.» Le projet de M. de Lamennais paraît tombé, cependant quelques représentants partagent encore son opion. M. l'abbé Falize, chanoine de Bayeux, l'a discutée avec beaucoup de clarté, avec une grande élévation d'idée et une logique vive et pressante. Voir Reflexions sur la manière de traiter la question religieuse dans la future Constitution, par M. l'abbé Falize.

3 Cabet, Voyage en Icarie, p. 369.

III SÉRIE. TOME XVIII. NO 104; 1848.

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