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réforme des monastères, fut retenu captif à Orsières, par les Sarrasins. Il ne dut même sa liberté qu'à une forte rançon '.

La description qu'il fit des excès commis à son égard et des cruautés exercées sur les autres prisonniers, devint pour le saint abbé l'occasion de purger les montagnes d'un grand nombre de ces brigands. Sa parole eut un effet analogue à celui que produisit dans la bouche de Pierre-l'Hermite et de Robert d'Arbriselle, le récit des maux infligés aux pélerins de Terre-Sainte, L'indignation publique se souleva, et Guillaume de Provence honteux de ce que la protection de Hugues son prédécesseur, avait perpétué le brigandage dans les Alpes, attaqua Fraxinet, dernier refuge des Sarrasins, et le leur enleva (vers 975).

Pendant tout ce tems, il est bien certain qu'il n'exista pas d'hospice religieux dans le Saint-Bernard. Il est à peu près aussi difficile d'en admettre un pour toute la période suivante.

C'était alors en effet le règne de Rodolphe III, dernier roi du second royaume de Bourgogne, prince faible que l'histoire a justement flétri du nom de fainéant. Sous son administration inepte, les vexations exercées au Saint-Bernard contre les voyageurs, changèrent de nature, mais furent loin de diminuer. Le passage ne s'effectuait plus que par caravannes de 4 à 500 personnes; encore ce nombre était-il parfois insuffisant. Rodolphe lui-même eut à en souffrir.

Mais cette fois le brigandange était pour ainsi dire organisé au moyen de péages excessifs exigés sur la route et d'exactions exercées ouvertement, comme le dit Baronius, par les præpotentes illius regionis. En un mot, c'était la pratique en grand de cette protection féodale infligée trop souvent aux marchands forains et aux voyageurs par les manoirs de ces tristes époques.

L'audace de ces exacteurs au Saint-Bernard était portée à un point dont le fait suivant donnera une idée.

En 1026, une armée de Normands excités par les succès de leurs compatriotes dans la Pouille, passait le Saint-Bernard pour se rendre

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" Transcensis Alpibus, cum montis Jovis declivia sequerentur.... à Sarra› cenis capitur et deducitur in villam quæ dicitur Pons Ursariæ. ■ - Rolland, In vilâ S. Mayolis.

en Italie. Les receveurs du droit de péage eurent l'audace d'exiger d'eux le droit de passage par l'Ostiolum de la montagne. Un combat énergique et sanglant eut bientôt donné aux Normands, raison de cette insulte; mais on voit par-là combien de vexations devaient endurer les autres voyageurs.

Et c'est ainsi que les passions humaines savent remplacer par des scènes de violence et par des crimes, ce que l'esprit de foi sait produire partout d'actes de vertu et de charité à l'égard des pauvres et des gens qui souffrent.

Dans le même tems (en 1027), Rodolphe se rendit à Rome pour y assister au sacre de l'empereur Conrad-le-Salique, qu'il finit par instituer héritier de son royaume. Canut roi de Danemark, et plus tard d'Angleterre, s'y trouvait aussi. Ce dernier, en présence du pape, fit de vives plaintes à Rodolphe sur les dangers que les voyageurs, et en particulier les pélerins qui se rendaient au tombeau des saints Apôtres, rencontraient dans la montagne. Rodolphe promit d'y porter remède, et Canut crut pouvoir écrire aux évêques et aux seigneurs de ses États qu'il avait assuré dorénavant la sécurité du passage.

Mais les faibles promesses de Rodolphe devaient être sans effet. De plus grands, de plus généreux princes que lui eussent vainement tenté de réaliser une semblable espérance. Dieu seul, dans les secrets de sa miséricorde, connaissait et préparait l'instrument de salut pour son peuple. Et comme dans les desseins de cette admirable Providence, il arrive toujours que la puissance des puissans et la sagesse des sages doivent être confondues par la faiblesse et la simplicité des pauvres et des petits, Dieu n'alla point chercher sur le trône ni dans les grandeurs, le libérateur qu'il préparait. Un pauvre prêtre qui avait renoncé à toutes les joies, à toutes les richesses de la terre pour se faire petit et humble à la suite de Jésus-Christ, tel fut l'instrument qui devait opérer tant de merveilles; telle fut la puissance qui devait mettre fin à de si grands maux.

Cet homme choisi de Dieu, ce prêtre, suivant le cœur de Jésus, c'était Bernard de Menthon dont nous allons maintenant raconter en peu de mots les grandes œuvres et la sainte vie.

LUQUET,
Evêque d'Hésebon.

Philosophie Sociale,

ATTAQUES CONTRE LA SOCIÉTÉ.

LE

COMMUNISME DE M. CABET.

Deuxième Article1.

Les événemens de juin. - Danger des utopies.- Comment procède M. Cabet.

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listes. Sytème transitoire proposé par M. Cabet. - Bases de ce sys tème. - De la République démocratique. — Efforts tentés pour réaliser le système de M. Cabet. Ses conséquences.

Rétablissez l'ordre, non pas seulement dans les rues, mais dans les idées; appliquez-vous à déraciner les mauvais principes, ces germes de désorganikation qui se sont introduits dans la société et qui D'ont reçu que trop d'encouragemens.

Paroles de M. L. FAUCHER à l'Assemblée nationale, séance du 20 juin.

Un garde national nous a rapporté qu'après la prise des barricades de la Bastille, comme on appelait les habitans à les défaire, il dit à l'un d'eux qui paraissait hésiter: « Vous auriez mieux fait » d'empêcher de les faire. Vous auriez mieux fait, vous, répondit » cet homme du peuple, d'empêcher qu'on nous mît dans les mains • depuis quatre mois les journaux que nous avons lus. » —— Ce mot est cruel, et nous attestons la véracité de celui à qui il a été dit 2. » — Au plus fort de la lutte, au moment où l'Archevêque de Paris allait cueillir la palme du martyre, alors que quelques représentans se trouvaient comme otages entre les mains des insurgés, une accusa

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Voir le 1er art., t. xvi, p. 447.

* Voir M. Pagès-Duport, Journées de juin, p. 115.

tion semblable n'a-t-elle pas été portée, du haut de la tribune nationale, contre certains organes de la presse quotidienne?

Ces paroles sorties de la bouche des hommes du peuple tracent aux historiens des sanglantes journées de Juin la voie qu'ils devront suivre. De grands événemens ont eu lieu, mais derrière ces événemens il y a des doctrines qui les avaient préparés; des barricades ont été élevées, mais on avait trompé les esprits qui se sont armés pour les construire. L'histoire des idées est donc l'antécédent nécessaire de celle des faits seule elle peut les éclairer et les expliquer. Ce sont ces idées que nous nous proposons de recueillir.

Qu'on ne s'étonne donc pas de nous voir revenir sur l'ouvrage de M. Cabet : les sophismes qu'il contient sont trop insidieux, trop séduisans, pour qu'on ne doive pas s'attacher à les dévoiler. Autrefois, les utopies pouvaient se produire sans un grand danger: de fortes études avaient mûri les intelligences d'élite auxquelles elles s'adressaient; leurs auteurs, d'ailleurs, étaient trop sages pour vouloir forcer leurs concitoyens à les réaliser. Ainsi, Platon abandonne le monde réel pour entrer dans le pays des fables; il écrit sa République et ses Lois. Mais l'idéal qu'il crée, il le 'rejette au-delà des confins du possible. Quand ses deux ouvrages paraissent, ils enlèvent l'admiration; mais personne ne songe à prendre ces fictions à la lettre : il y avait trop de bon sens à Athènes! Dans des tems plus rapprochés, Th. Morus nous livre son utopie; mais il se hâte d'exprimer ses réserves. Protestant contre l'application de ses idées, il les déclare irréalisables. Ces fortes intelligences ne se faisaient pas illusion sur la valeur de leurs conceptions. Aujourd'hui, un autre spectacle nous est donné. De toutes parts s'élèvent des hommes qui trouvent des faits là où Platon et Morus n'avaient mis que des fantaisies. On sait combien grandes sont leurs prétentions: ils n'aspirent à rien moins qu'à nous imposer leurs théories.

Et que ne font-ils pas pour arriver à ce but? Ils se tournent, non plus vers les hommes de réflexion, d'étude et de science, mais vers les masses, gémissant sur l'ignorance dans laquelle on veut, disent-ils, les faire croupir2; se posant comme les propagateurs des lumières et

Voir le Moniteur.

M. E. Sue dans son Juif errant, s'est fait l'écho de cette mensongère ac

du bien-être, comme les défenseurs de leurs droits et les martyrs de leur cause. Des publications irritantes se trouvent ainsi lancées parmi les classes laborieuses; on accumule dans leur esprit toutes les idées fausses; on remue dans leurs cœurs toutes les mauvaises passions, on excite toutes les haines, on prêche l'anathème contre tout ce qui existe. C'est avec ces sophismes que se fait leur éducation, avec ces accusations qu'on les nourrit, avec ces visions sombres et sanglantes qu'on les assiège. Tout cela porte ses fruits, — fruits de destruction et de mort. Car chaque accusation fait naître une colère, chaque sophisme devient, entre les mains des esprits égarés, une arme que le sang rougira, chaque vision, une provocation au renversement -de l'organisation sociale que l'on dit être vicieuse, un appel incessant à la réalisation de l'utopie.

cusation. «Hier, dit un de ses héros, Agricol m'a fait lire un article de jour»nal, dans lequel on employait tour-à-tour le blâme violent ou l'ironie amère » et dédaigneuse pour attaquer ce qu'on appelle la funeste tendance de quel»ques gens du peuple à s'instruire, à écrire, à lire les poëtes, et quelquefois » à faire des vers. Les jouissances matérielles nous sont interdites par la pauvreté; est-il humain de nous reprocher les jouissances de l'esprit ? Quel mal peut-il résulter de ce que chaque soir, après une journée laborieuse >> sevrée de tout plaisir, de toute distraction, je me plaise, à l'insu de tous, » à assembler quelques vers.... ou à écrire sur ce journal les impressions > bonnes ou mauvaises que j'ai ressenties?... » Le Juif errant, t. vi, p. 22021, format-Cazin.

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1 << La première cause des désordres, ce sont les opinions folles jetées dans la classe ouvrière. Il était évident que de pareilles idées mèneraient à des troubles sanglans.» M. Arago; paroles citées par M. Bauchart dans son rapport sur l'attentat du 15 mai et sur l'insurrection du 23 juin.

2 Nous nous contenterons de rappeler ici quelques paroles prononcées au Luxembourg par M. L. Blanc.... « Etant presque enfant, j'ai dit : Cet ordre » social est inique; j'en jure devant Dieu, devant ma conscience, si jamais je » suis appelé à régler les conditions de cette société inique, je n'oublierai pas » que j'ai été un des plus malheureux enfants du peuple, que la société a pesé sur moi. Et j'ai fait contre cet ordre social, qui rend malheureux un si grand nombre de nos frères, le serment d'Annibal... Vive la République ! qui fera qu'il n'y aura plus de riches ni de pauvres ! Au point de vue moral » comme au point de vue matériel, le système sur lequel est basée la société » est un système infâme. » L. Blanc, Discours inédits publiés par M. Bauchart dans son rapport, ib, supr.

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