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Que si nous examinons maintenant en elles-mêmes les inscriptions qui nous occupent, voici comment Rolland Viot les rapporte dans les planches gravées pour sa Vie de saint Bernard1: «Table de » marbre, dit-il, qui estoit au pied de la statue de Iupiter, treuće » auprès de la maison du Grand Saint-Bernard :

IOVI.O.M.

GENIO LOCI
FORTVNÆ

REDVCID...

TERENTIVS

VARRO
DEDICAVIT

Le style de cette inscription est parfaitement conforme à ce qu'on retrouve dans les monumens analogues. D'un autre côté il est certain que Terentius Varron remporta, l'an 728 de Rome, une victoire sur les Salasses et qu'à cette occasion une colonie romaine fut fondée à Aoste. Sous ce double rapport tout porterait donc à croire à l'authenticité de la première inscription contestée.

L'orthographe vicieuse du PENINO écrit de cette manière dans la seconde, pourrait inspirer des doutes sur l'existence même de l'inscription; mais cette incertitude de copie ne nous semble pas suffisante pour en tirer une conséquence aussi rigoureuse. Tout au plus, comme Rolland Viot semble adopter le sentiment de Tite-Live sur l'orthographe de Penninus, aura t-il fait sa copie conforme au sens de cet auteur. Voici du reste comment il la rapporte 2: « L'autel du dieu Pennin:

LVCIVS LVCILIVS

DEO PENINO

OPTIMO

MAXIMO

DONVM DEDIT

La vie de B. H. S. Bernard de Menton, fondateur des maisons de Mont loux et colonne Ioux, par R. Messire Rolland Viot, prevost desdites maisons; in-12, Lyon, F. de la Bottière, 1627, p. 163.

La vie de B. H. S. Bernard, etc., p. 165 et 167.

D'après cela, nous croyons devoir considérer ces deux inscriptions comme ayant réellement fait partie de la nombreuse collection d'ex-voto recueillis au Mont-Joux, comme ayant servi ensuite d'appui aux conjectures et aux récits hasardés d'historiens peu critiques.

IV. DESTRUCTION DES ÉTABLISSEMENS ROMAINS.

ÉTABLISSEMENS CHRÉTIENS.

BARES.

PREMIERS

NOUVEAUX RAVAGES DES BAR

A l'époque même la plus brillante des Romains, les dangers naturels de la montagne n'avaient pas seuls motivé la fondation des maisons d'hospitalité qu'ils y établirent.

Plus d'une fois le passage des troupes ennemies ou même amies de l'empire, y fut pour les voyageurs l'occasion de bien des périls dont les réfuges hospitaliers les sauvèrent.

Ainsi, lorsque sous Vitellius, Cecina sorti de sa forteresse de Vindonissa ravagea l'Helvétie; lorsque parvenu dans l'opulente Aventicum 2, et ne prenant en pitié ni les cheveux blanchis du père, ni les larmes de la fille, il eut fait tomber la tête d'Alpinus, ses troupes furieuses répandirent l'épouvante et le ravage jusque dans les profondes vallées des Veragres, et rendirent pendant ce tems bien terrible le passage de la montagne. L'expédition du farouche Maximien y laissa aussi les traces de dévastation dont nous avons déjà parlé. Puis, quand les incursions des barbares dans l'empire devinrent de plus en plus fréquentes, qu'elles se rapprochèrent de plus en plus de l'Italie, alors la malheureuse montagne devint le théâtre de scènes dont le récit fait horreur. L'Helvétie tout entière subit même une telle dépopulation, qu'au 5° siècle, Aetius voulant se débarasser des Bourguignons qui l'inquiétaient ailleurs, n'hésita point à leur abandonner le pays.

· Windisch en Argovie.

*La ville d'Avenches dans le canton de Vaud.

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3 A cette époque saint Martin traversant la montagne, inter Alpes devia seculus incidit in lalrones,» dit Sulpice Sévère. Il n'échappa que par miracle à la hache levée sur sa tête. Vita Martini, c. v; dans la Patrol. de Migne, t. xx, p. 163.

Fiers et indomptables, amis passionnés d'une liberté qu'ils préféraient à tous les biens, les Bourguignons adoucis par le Christianisme, durent rétablir un instant la sécurité du passage. Malheureusement les hordes d'Attila s'y précipitèrent pour fondre de là sur l'Italie; et le massacre de nombreux Bourguignons et de leur roi nous montre le triple état dans lequel se trouva de nouveau la montagne.

Pendant quelques années, le règne de Sigismond fut un règne de paix et de prospérité pour le pays. Mais la jalousie maternelle de Constance attira bientôt sur le prince et sur ses enfans des malheurs que les peuples durent partager d'une manière bien cruelle, des malheurs que le triomphe des princes victorieux ne termina que d'une manière imparfaite 2. On sait en effet tout ce que les dissensions in

1 Saint Sigismond, roi des Bourguignons et patrice de l'empire, fut retiré de l'arianisme ainsi que sa famille par saint Avit, archevèque de Vienne. En 515 il donna un développement considérable au monastère d'Agaune existant déjà depuis deux siècles; il y établit 500 religieux qui, divisés en cinq chœurs, chantaient sans interruption les louanges de Dieu et des saints martyrs thébéens dont ils gardaient les reliques. Il fit construire à une demi-lieue du monastère le bourg d'Épaone, où se retira toute la population étrangère à la communauté, à laquelle il assigna des revenus et des priviléges considérables dans un grand nombre de diocèses. De pareilles fondations suffisent pour faire comprendre l'état florissant et pacifique des premiers tems de son règne. (Hist. du Vel., p. 21). — Une hymne qu'on chante encore aujourd'hui à l'abbaye de Saint-Maurice (Agaune) porte encore à un chiffre plus élevé le nombre des religieux établis par le saint roi. La seconde strophe de cette hymne est ainsi conçue :

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2 Après la mort d'Ostrogothe, première femme de saint Sigismond, ce prince épousa Constance qui voulut faire passer la couronne sur la tête de son fils, aux dépens de Sigéric, né du premier lit. Elle l'accusa donc de trahison près de Sigismond qui le fit étrangler en 522. Cet acte provoqua de la part des princes français une vengeance qui finit par le massacre de Sigismond et de sa famille. Ce prince honoré comme saint est un des patrons de l'abbaye.

testines excitées sous le règne des rois francs vainqueurs de Sigismond, causèrent de mal à ce pauvre pays délivré un instant des invasions étrangères '.

L'irruption des Lombards en 574, après leur première défaite en 5692, porta de nouveau le ravage dans le Saint-Bernard. Puis vint la fameuse inondation de la Drance (en 580), qui dévasta l'Entremont et contraignit l'évêque Agricole à transporter le siège épiscopal à Sion. L'ordre enfin ne reparut complétement que sous le glorieux empire français de Charlemagne.

A cette époque où, comme dans le tems de troubles où nous vivons, les nations soupiraient après la venue d'un homme capable de rétablir à la fois les bases ébranlées de la société et de sauvegarder les droits des peuples, à cette époque préparée d'avance par l'heureuse audace et par le génie de la maison d'Héristal, Charlemagne parut. Dieu qui lui avait donné la force et l'intelligence, l'assiste de telle manière, que d'une main il sut rétablir l'ordre public en Europe et

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A ces malheurs du Valais, il faut ajouter la chûte du Tauredunum que M. Boccard rapporte de la manière suivante, d'après Marius, évêque d'Avenches et Grégoire de Tours : « En 563, une montagne (le mont Taurus ou » Tauredunum) située à une demi-lieue d'Agaune, après avoir fait entendre pendant plus de 60 jours un bruit souterrain, se détache avec fracas de sa base, ensevelit sous ses décombres la ville d'Epaone, célèbre par son concile, et qui comptait à peine 50 ans d'existence. Château, églises, richesses, » habitations et habitans, tout fut enseveli sous les décombres. Le rétrécisse»ment extraordinaire de la vallée causa de nouveaux malheurs complète»ment obstruée, le Rhône regorgea vers sa source, et après avoir inondé les localités supérieures et fait bien des victimes, le fleuve qui coulait aupara» vant le long des monts de l'ouest, se frayant impétueusement un passage » vers la chaîne orientale, renouvela les mêmes scènes de désolation dans la partie inféricure; l'eau accumulée était en si grande quantité que le lac déborda de toutes parts; Genève même, l'inondation dépassa la hauteur ⚫ des murs de la ville et en emporta les ponts et les moulins.» (Hist. du Val., p. 24). D'autres chûtes de montagnes eurent également lieu à différentes époques dont la dernière est toute récente.

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2 Cette fois ils avaient passé le Simplon.

de l'autre il releva la liberté. Puis, sous la protection de cette puissante épée, la paix intérieure put renaître partout. Bienfait vraiment inapréciable qui se réalisa bientôt dans le Valais, et en particulier dans la montagne dont les pas du grand homme ont foulé le chemin. Ainsi se préparait une meilleure existence pour un hospice que la charité des chrétiens n'abandonna jamais pendant bien longtems, depuis que le culte impur de Jupiter en fut banni.

En effet, nous venons de le voir, la vie primitive, la vie payenne de cet établissement avait fini par suite de l'invasion des barbares; par suite aussi de la première destruction de l'idolâtrie opérée en ce lieu par Théodose. Depuis ce tems aucun but religieux n'y affectionna plus l'ancien paganisme; aucun intérêt matériel n'y retint plus ceux que jadis les offrandes des peuples enrichissaient. D'ailleurs les incursions incessantes des armées suffisaient pour en éloigner de bien plus généreux courages. Une seule ressource s'offrait donc pour rétablir un asile si nécessaire. La foi chrétienne seule, nous l'avons déjà dit, pouvait refaire par la vertu d'un dévouement surhumain ce que l'antique Rome avait fondé par la puissance des armes et du génie. Or, cette charité qui enfante des prodiges, notre foi sacrée la suscita en effet dans les cœurs ; ce dévouement surhumain fut produit. Et depuis tant de siècles, après tant de traverses et tant de périls; après avoir il est vrai, disparu pour quelques instants, mais alors

'Rien n'est plus admirable que l'ordre établi par Charlemagne dans les détails d'organisation de son immense empire. La liberté légale était garantie aux peuples, mais une discipline sévère arrêtait aussi partout la licence. « Que » le peuple soit interrogé sur les additions faites à la loi, disait-il dans un ca⚫ pilulaire de 803, et lorsque tous ont consenti, que les comtes souscrivent » et confirment. Mais aussi quand l'arrêt de la loi était prononcé, il le scellait du pommeau de son épée en disant : « Voilà mes ordres, et voici le fer qui » les fera respecter. >>

Dieu tout-puissant et juste, quand se lèvera pour l'Europe, de nos jours, un homme de votre droite, qui nous rende une paix fondée sur la justice et sur la liberté ? Quand nous enverrez-vous un Charlemagne nouveau, qui fasse comprendre au peuple, et mette en pratique, cet oracle de votre éternelle sagesse : « Ubi non est gubernator, populus corruet: salus autem, ubi consilia >> multa!» · Prov., XI, 14.

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