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« la plus active surveillance, soit pour que Sa Majesté ne puisse sortir de la Mal« maison, soit pour prévenir toute tentative contre sa personne. »

Le général Beker partit aussitôt pour Paris afin d'y prendre les passeports. Le conseiller d'État Berlier, adjoint au ministre secrétaire d'État, lui dit : « Le a gouvernement a trop à cœur le salut de Napoléon pour n'avoir pas songé à « tous les moyens propres à favoriser son départ; il a pensé que dans ce voyage « un strict incognito, sous votre nom et votre protection, serait le moyen le a plus certain de le faire arriver saus danger à sa destination. »

Voici le texte de ce passeport:

« La commission du gouvernement ordonne à tous les officiers civils et militaires de « laisser passer librement M. le comte Beker, lieutenant général, député à la Chambre a des représentants, se rendant à Rochefort, accompagné de son secrétaire et d'un do<< mestique.

<< Leur enjoint expressément de ne pas souffrir qu'il soit apporté aucun retard, ni aucun « obstacle à la marche de M. le comte Beker, et de lui prêter au contraire, en cas de be<< soin, aide et assistance.

« Fait à Paris, le 26 du mois de juin 1815.

"Le secrétaire adjoint au ministre secrétaire d'Eat,

« T. Berlier. »

Après avoir lu cette pièce, Napoléon dit au général : « Me voilà donc votre « secrétaire ! » Il se considéra dès lors comme prisonnier, et prit la résolution d'attendre à la Malmaison ses passeports pour l'Amérique; il chargea le général d'informer le ministre de la guerre de sa détermination.

Les dépêches de la commission du gouvernement et du ministre de la guerre se succédaient, pour ainsi dire, d'heure en heure, et pressaient le départ de l'empereur. Les courtisans s'étaient éloignés, et la reine Hortense elle-même avait été forcée de lui faire ses adieux. Napoléon, impatient de mettre un terme à ses anxiétés toujours croissantes, prit une résolution digne de lui, et dont le succès n'était pas impossible.

Le 30 juin, à cinq heures du matin, il fit appeler le général Beker; il lui annonça sa résolution de le charger d'une mission importante.

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L'empereur, dans cet entretien, dit le général, avait l'épée au côté, le chaa peau sous le bras; derrière lui se tenaient debout Madame mère et le cardi<<nal Fesch, récemment arrivés, le duc de Bassano et d'autres personnages. « J'ai confiance en votre loyauté, dit Napoléon au général; remplissez cette « mission. Vous me rendrez un nouveau service. » Et le général partit immédiatement pour Paris.

Son apparition étonna la commission du gouvernement, qui croyait déjà Napoléon sur la route de Rochefort. L'explication ne se fit pas attendre. L'objet de son retour était, en effet, tout à fait imprévu et d'une haute importance.

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L'empereur m'envoie vous dire que la situation de la France, les vœux des

patriotes et les cris des soldats réclament sa présence pour sauver la patric. « Ce n'est plus comme empereur qu'il demande le commandement, mais comme • général dont le nom et la réputation peuvent encore exercer une grande ina fluence sur le sort de l'Empire. Après avoir repoussé l'ennemi, il promet de << se rendre aux Etats-Unis pour y accomplir sa destinée. »

Le président Fouché invita le général à s'asseoir près de lui, les autres membres de la commission restaient silencieux; Fouché, sans les consulter, reprocha au général de s'être chargé d'une pareille mission. « L'ennemi, lui dit-il, mar« che rapidement sur Paris, et les rapports de nos généraux nous annoncent unc grande défection dans l'armée... Dites-inoi qui était avec l'empereur lorsqu'il vous a chargé de ce message? »>

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Le général lui désigna leurs noms.

A celui du duc de Bassano, Fouché s'écria : « Je vois d'où est parti ce conscil; « mais dites à l'empereur que ses offres ne peuvent être acceptées; qu'il est de « la plus grande urgence qu'il parte pour Rochefort, où il se trouvera plus en « sûreté que dans les environs de Paris. »

Le général insista pour obtenir une réponse qu'il pût remettre à l'empereur. Fouché, sans interroger ses collègues d'un seul regard, traça à la hâte le billet suivant à l'adresse du duc de Bassano :

« Le gouvernement provisoire ne pouvant accepter les propositions que le général « Beker vient de lui faire de la part de S. M., par des considérations que vous saurez ap"précier vous-même, je vous prie, M. le duc, d'user de l'influence que vous avez constam"ment exercée sur son esprit, pour lui conseiller de partir sans délai, attendu que les Prus«siens marchent sur Versailles, etc.

■ Signé le duc D'OTRANTE. »

Fouché agissait en dictateur et comme s'il eût eu seul le droit et le pouvoir de régler les destinées de la France. Carnot se promenait dans les angles de la salle du conseil ; le duc de Vicence, le général Grenier, le baron Quinette, assis autour de la table, continuaient de garder le silence.

De retour à la Malmaison, le général Beker trouva la première cour encombrée d'équipages, d'officiers à cheval: l'empereur allait partir pour l'armée; quelques minutes plus tard le général Beker n'eût plus trouvé au château que les gens de service. Il se rendit sur-le-champ auprès de Napoléon; il le trouva seul : il portait un habit brun, une culotte blanche, et des bottes à l'écuyère. Le duc de Bassano était déjà parti de la Malmaison. Le général remet à l'empereur le billet dont Fouché l'avait chargé pour le duc.

L'empereur le lut rapidement, et s'écria avec humeur : « Ces gens là ne cona naissent pas l'état des esprits en refusant ma proposition; on s'en repentira. « Donnez, en conséquence, des ordres pour mon départ; lorsqu'ils seront exécutés, vous viendrez me prévenir. »

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Déjà tout avait été disposé pour le départ, et le même jour, 29 juin, Napo

léon monta, avec le général Beker, Bertrand et Savary, dans une calèche, attelée de quatre chevaux et précédée d'un coureur. On se dirigea sur Rambouillet. L'empereur voulut s'y arrêter, et il ne se décida à continuer son voyage que le lendemain matin. Le 1er juillet il arriva à Tours. Les incidents du voyage jusqu'à Rochefort sont connus. La relation du général Beker offre plusieurs particularités que l'histoire doit recueillir.

Les événements qui se succédèrent pendant son séjour à Rochefort et jus qu'à son embarquement font le sujet de la seconde partie de la relation. Les détails très-circonstanciés de ce dénouement du grand drame de 1815, ne permettent pas de douter que l'empereur n'eût pu échapper à ses ennemis et se rendre aux Etats-Unis.

L'empereur s'était installé à l'hôtel de la préfecture de Rochefort. Chaque jour le conseil de l'amirauté, les généraux qui accompagnaient l'empereur conféraient sur les moyens d'assurer son embarquement. Les propositions arrêtées le jour étaient abandonnées le lendemain.

Les deux frégates la Saal et la Méduse, mises à la disposition de l'empereur, mouillaient dans la rade, sous la protection des batteries de l'île d'Aix: la Saal arborait le pavillon du capitaine Philibert; le capitaine de frégate Pont commandait la Méduse.

Les divers projets proposés sont rappelés dans une lettre du générel Beker, du 4 juillet 1815. De jeunes marins offrirent leur service et leur dévouement le plus absolu, le plus désintéressé. Le capitaine d'un navire danois, M. Besson, d'origine française, s'engagea à conduire l'empereur en Amérique avec une suite peu nombreuse; il était sûr du succès. L'empereur voulut attendre; on perdit un temps précieux. Les deux frégates françaises auraient pu échapper aux croiseurs anglais, encore très-éloignés de la rade. Mais les éléments semblaient conjurés contre Napoléon ; les vents étaient contraires, et, quand ils changèrent, le Bellerophon apparut. Le départ des frégates devint impossible.

Le roi Joseph arriva à Rochefort le 13 juillet, pour concerter avec son frère les moyens d'effectuer leur départ; il avait d'avance pris toutes ses mesures. « La corvette la Bayadère était à ses ordres dans la rivière de Bordeaux, alors « moins surveillée par les Anglais que ne l'étaient les passages du Pertuis, Le « capitaine Baudin était parfaitement armé, équipé, approvisionné, et se faisait a fort de conduire l'empereur au bout du monde. Indépendamment de ce mode « de transport, on pouvait monter un bâtiment américain en partant pour les Etats-Unis, et dérober le départ aux croiseurs anglais.

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Tels étaient les termes du rapport du général Lallemand, de retour de sa mission spéciale à Bordeaux. Tous les officiers de marine, consultés à ce sujet, opinaient pour la Bayadère.

D'autre part, le lieutenant de vaisseau, M. Gentil, offrait deux bâtiments de cabotage mouillés dans la rade de l'ile; il se proposait, avec les officiers du 14o ré

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giment de marine pour équiper sur-le-champ et monter ces navires qui devaient recevoir l'empereur et sa suite.

Ce projet fut agréé, les deux navires achetés. Le départ fut fixé à la nuit du 15 au 14 juillet; déjà les officiers et les marins étaient à bord avec une partie des bagages. L'empereur devait monter le bâtiment danois avec sa suite. Le temps fixé pour le départ était passé; le jour commençait à paraître. Un des conseillers de l'empereur l'avait déterminé à renoncer à tout projet d'évasion et à préférer l'hospitalité anglaise. Le général Beker fut chargé par l'empereur d'entrer en négociation avec le commandant de la croisière britannique. On sait quel en fut le résultat.

Le prince Joseph suivit ses premières inspirations et parvint heureusement aux Etats-Unis. Napoléon crut à la générosité du gouvernement anglais : il mourut avant le temps sur le rocher de Sainte-Hélène.

Cette seconde et dernière partie de la relation du général Beker renferme de précieux documents pour l'histoire contemporaine. L'ouvrage est écrit avec précision et clarté; l'auteur s'est borné à raconter les faits dont il a été témoin, et il les raconte avec cette consciencieuse impartialité que peut scule inspirer unc profonde conviction (1).

DUFEY (de l'Yonne),

Membre de la première classe de l'Institut Historique.

COURS PHILOSOPHIQUE ET INTERPRÉTATIF

DES INITIATIONS ANCIENNES ET MODERNES,

PAR J.-M. RAGON.

A ne s'en tenir qu'à l'ordre des idées offertes par le titre que je viens de transcrire, il semblerait que l'auteur du livre dont nous allons nous occuper a eu pour but de traiter méthodiquement, d'abord des anciennes initiations, puis des initiations modernes, et d'en dévoiler successivement les arcanes les plus mystérieux. Sous ce rapport, un tel sujet rentrerait, quant à sa première partie, dans le but que s'était proposé le savant Sainte-Croix par son livre sur les mystères, dans les immenses travaux de l'illustre Creuzer, et dans les investigations, non moins utiles qu'infatigables, auxquelles se livrent encore MM. Félix Lajard, de Hammer, et tant d'autres érudits.

Telle avait été, effectivement, ma première pensée; mais un rapide coup d'œil sur le livre de M. Ragon a suffi pour me désabuser. Dès les premières lignes de son introduction, cet écrivain accuse en ces termes la principale donnée de son œuvre : « On a dit qu'un édifice est bien près de s'écrouler quand on

(1) La première classe (Histoire de France), adoptant les conclusions du rapporteur, a ordonné le dépôt de l'ouvrage à la bibliothèque de la Société, et a décidé qu'une lettre de remerciement serait adressée à la personne qui lui en a fait hommage.

« peut voir ses fondations. A ce compte, la maçonnerie est impérissable, car « depuis longtemps on convient et on répète que son origine se perd dans la « nuit des siècles: Son temple a le temps pour durée, l'univers pour espace. »

Vous le voyez, ce n'est point dans les cryptes souterraines, théâtres des initiations d'Éleusis, de la Samothrace ou de l'Égypte, que M. Ragon nous introduit tout d'abord, mais dans le Temple moderne où la maçonnerie célèbre ses mystères, lieu assez peu commode, il en faut convenir, pour l'auteur de cet article, que n'a jamais éclairé la lumière d'aucun Orient maçonnique.

Si donc les initiations anciennes entrent pour quelque chose dans l'œuvre de M. Ragon, ce n'est, et ce ne peut être, que comme prooemium de son sujet principal, la franc-maçonnerie, qui, dans sa pensée, en est une dérivation. ·

Au point de vue de M. Ragon, la maçonnerie, qui par les Croisés, par les chrétiens hérétiques de l'Orient, par les sectes juives, par Salomon et Moïse, se rattacherait aux doctrines ésotériques de l'Egypte, aurait frayé la voie au christianisme, et serait même la source d'où le christianisme serait émané. Avant de discuter une opinion de ce genre, nous n'observerons pas qu'elle fait table rasc de la divinité de Jésus-Christ, et du culte qu'il est venu établir sur la terre; cette remarque ne résoudrait le problème que si nous avions à faire à un chrétien, et M. Ragon ne l'est pas, du moins dans sa publication. D'un autre côté, la Société devant laquelle je me fais entendre est une réunion scientifique; c'est donc par l'histoire, et non par la théologie, qu'il faut élucider devant elle le problème dont il est ici question.

Şur quoi ce problème repose-t-il ? sur l'hypothèse toute gratuite que Moïse et Salomon étaient initiés aux mystères égyptiens. Quant à l'initiation prétendue de Salomon, pas un écrivain ancien ou moderne qui en ait administré la preuve. Dans les traditions juives et mahométanes ce prince a bien pu passer pour un enchanteur habile, pour un sage auquel était révélée la puissance mystérieuse du nom incommunicable et trois fois saint; tous les prodiges que les Kabalistes juifs ou arabes ont attribués à ce nom et aux lettres qui le composent, depuis le tétragramme sacré jusqu'aux soixante-douze caractères qui peuvent entrer dans ce nom; tous ces prodiges, disons-nous, ont sans doute été affirmés de Salomon, mais sans preuve authentique, par les fabuleuses croyances d'un peuple tombé dans d'inextrica bles superstitions, et en considérant le glorieux fils de David comme le prince des Kabalistes, nulle part comme un initié à l'ésotérisme égyptien. Or, qui ne sait l'énorme différence qui existe entre les dogmes de la Kabale et ce qu'on a pu entrevoir jusqu'à ce jour des doctrines secrètes de l'Egypte? Tous les efforts du savant P. Kircher pour les assimiler n'ont-ils pas été infructueux? et leur séparation n'est-elle pas encore plus flagrante depuis les consciencieux travaux de M. Frank sur le Zohar,et de M. Félix Lajard sur le culte de Mithra? L'initiation de Moïse aux mystère d'Isis est encore moins soutenable. Salomon n'ayant en effet laissé aucune doctrine cosmogonique, on pourrait, ce semble, sans craindre d'être démenti, lui attribuer celle des Egyptiens; mais com

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