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comédie, et qui est aussi bien une nouvelle dramatique dialoguée qu'une pièce. Cette œuvre, qui fut terminée en 1492, est de Rojos, qui n'avoue cependant que les derniers actes, dont la publication n'a suivi que de loin celle du premier. Moratin dit que la comédie espagnole doit ses premiers éléments à la Celestine. Nous avons nommé plusieurs écrivains tragiques qui ont précédé les grands maitres; nous ne devons pas oublier non plus Cyrano de Bergerac, qui s'est distingué parmi les écrivains comiques qui ont précédé Molière; il fut du nombre de ceux que l'auteur du Tartuffe n'a pas dédaigné d'imiter dans quelques scènes de ses pièces. Le Pédant joué, de Cyrano de Bergerac, a fourni, comme on sait, à Molière quelques-unes de ses inspirations les plus gaies.

Ce n'est que sous le règne de Louis XIV que l'élément de la tradition absorba complètement l'élément de l'actualité, dans le domaine du moins de l'imagination, qui ne s'inspira plus que de la muse antique. Ce fait anormal ne s'accomplit cependant pas sans une lutte opiniâtre et sans une vive résistance. Corneille, qui appartient au règne du grand roi, mais dont les premières impressions s'éveillèrent au dernier souffle du xvi° siècle, conserve quelque chose encore de cette allure plus fière et plus mâle, plus libre et plus originale, qui semblait devoir caractériser le théâtre de la France, lorsque la révolution dès longtemps préparée dans le monde de l'art par l'esprit d'école acheva de lui fermer sa voie naturelle.

Les souvenirs d'Athènes et de Rome cessèrent alors de n'être qu'une source d'étude et de comparaison: ils créèrent dans les mœurs, les idées et les sentiments comme une seconde nature, comme une seconde existence. Il y eut enfin dans les régions élevées de l'intelligence une double vie, l'une contempo raine, nationale et chrétienne, qui resta celle du philosophe; l'autre païenne, étrangère, rétrospective; et celle-ci, qui avait ses racines dans le passé, devint celle de l'artiste, soit que cet artiste formulat sa pensée par la poésie, soit qu'il la traduisit par la peinture ou par la statuaire. Il est à remarquer, en effet, que cette vie factice, que cette vie d'emprunt, qui fut peut-être une conséquence inévitable d'études sérieuses et profondes sur les arts de l'antiquité, ne pénétra pas cependant dans la sphère de la philosophie. Bossuet dut la pompeuse régularité de sa forme et la magnifique unité de son style à la grandeur uniforme qui distinguait alors les sommités de la nation française dont se composait son auditoire. Sous ce rapport aussi Bossuet fut de son siècle, comme il le fut en restant catholique français dans les inspirations de sa sublime éloquence. Mais il n'en est pas de même des romanciers et des dramaturges; les dieux de la Grèce, les héros de Rome inondèrent le monde de la littérature du flot de leurs vertus et de leurs crimes, de leurs passions et de leurs sentiments. La poésie et les arts pouvaient se prêter à ces jeux de l'imagination, ils pouvaient emprunter leurs inspirations et leurs formes à l'antiquité; cela n'était possible ni dans la vie civile, ni dans la vie religieuse.

Hâtons-nous toutefois d'ajouter que la comédie, essentiellement contempo

raine par sa nature même, n'a subi que légèrement dans le fond l'influence de cette importation de la société païenne dans une société chrétienne. La comédie, mieux inspirée dès l'origine que le roman, n'a pas eu ses Clélie. Il n'a pas dépendu de Molière qu'elle n'ait également échappé dans sa forme à la férule de l'esprit d'école. On ne peut lire ses œuvres sans reconnaître que cet homme, d'un si rare génie, a, lui aussi, défendu la liberté de la muse comique, comme Corneille a réclamé la liberté de la muse tragique. Vaincue sur ce terrain par l'entraînement de toute une époque, la comédie, forcée de se mouvoir dans le cercle des unités, y a peut-être perdu le mouvement de l'action. Mais du moins, sans cesse renouvelée sans effort dans ses mœurs, elle a gardé la variété des tableaux. La comédie de Regnard et la comédie de Destouches n'étaient déjà plus la comédie de Molière. La comédie de Lesage s'en éloigne davantage encore. Le spirituel Marivaux ne ressemble en rien à ses devanciers, et le satirique Beaumarchais n'a pas continué l'auteur des Fausses Confidences. Le théâtre de Picard n'a rien emprunté au Barbier de Séville, et la comédie de Scribe est bien celle de notre époque.

La tragédie, qui place dans le passé la perspective de ses peintures, eut des destinées différentes. Dans le fond, elle s'inspira aux sources de la vie antique et de la théogonie païenne, dont les esprits les plus éclairés du grand siècle étaient tous imprégnés; dans la forme, elle s'étudia surtout à réaliser, par l'harmonie des détails et par l'unité de l'ensemble, ce sentiment de la beauté qui existait à un si haut degré à la cour la plus élégante et la plus polie de l'Europe. La tragédie de Racine, enfin, dans ses conceptions les plus hautes et les plus élevées, devint la personnification idéale la plus complète de toute cette époque si magnifique que Louis XIV domina de tout l'éclat de sa grandeur et de sa puissance. Racine est sans contredit le plus merveilleux de tous les poètes classiques; son génie a donné tout ce que peut donner l'analyse la plus détaillée des mystères du cœur; il a su trouver dans les agitations de l'âme tout ce que les passions peuvent avoir d'éloquence.

Racine écrivait aussi pour plaire aux élégantes et belles femmes de la cour de Versailles; il a fait un théâtre conforme au caractère et à l'esprit de son siècle, théâtre où il a déployé ses profondes connaissances du cœur et les admirables ressources de son style.

Lorsqu'on se reporte au théâtre de l'hôtel d'Argent ou de l'hôtel de Bourgogne, rempli par la première noblesse de France, et dont la scène était occupée par une partie des spectateurs qui entouraient les acteurs, on comprendra de reste que les tragédies de Racine devaient être surtout d'éloquents dialogues; elles se jouaient moins sur un théâtre de la multitude que dans un salon de l'aristocratie; c'était presque une assemblée de beaux-esprits plutôt qu'un public de spectacle. Mais Racine, à coup sûr, quoique devenu par ses œuvres la personnification la plus complète du système qu'elles semblent avoir consacré, se préoccupait surtout du soin de séduire son auditoire; il adoptait les lois d'Aris

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tate, parceque de son temps on y croyait; il mettait sur la scène les dieux de la Grèce et les héros de Rome, parceque de son temps ces dieux et ces héros

avaient seuls le prestige du merveilleux et du grandiose qui seconde si bien le génie du poète. Racine partage, du reste, avec les grands écrivains de l'antiquité le privilége d'être un modèle qui ne cessera jamais d'être admirable tant que subsistera la langue française. Il faut étudier Racine comme on étudie Sophoele, afin surtout d'apprendre à chercher, comme il a toujours fait, cette beauté de la forme qui est la condition essentielle de toutes les productions de l'esprit, Les œuvres d'art ne passent à la postérité que par la beauté de la forme.

En historien véridique, il faut dire que les lois d'Aristote, repoussées par les maîtres de l'art avant cette époque, furent combattues alors même qu'elles régnaient d'une manière si absolue; on essaya même de ramener la poésie à des inspirations contemporaines.'

Le roman rentra dans la vie moderne et réelle. Au temps où Lesage peignait les mœurs de son siècle et de sa patrie sous le costume espagnol, au temps où Rousseau s'éleva aux plus ardentes extases de la passion, l'œuvre de rénovation était commencée dans cette branche de notre littérature. Bernardin de SaintPierre et madame de Staël, l'un dans Paul et Virginie, l'autre dans Corinne, prètèrent à la réforme tentée par leurs devanciers l'autorité d'un style ravissant et d'une imagination puissante. Enfin René vint, René, ce chef-d'œuvre de notre siècle, où le génie de M. de Chateaubriand s'est si bien inspiré de cette mélancolie du doute moderne qu'il est allé chercher dans le cœur même de notre société pour lui en offrir la désespérante image; René, ce portrait si simple, si profond et si vrai de l'homme de notre temps, que l'auteur des Martyrs a trouvé dans les profondeurs les plus mystérieuses de l'âme. La rénovation était accomplie; sur ce terrain la cause du romantisme est aujourd'hui gagnée. L'ode et l'élégie ont lutté plus longtemps contre la pensée catholique, contre l'inspiration nationale. Il n'a fallu rien de moins que les immenses déchirements qui ont bouleversé la société tout entière pour produire des poètes nés de ses propres entrailles. Nous avons désigné Lamartine et Victor Hugo.

Vaincu partout ailleurs, le classicisme semble disputer encore le sceptre de la scène au romantisme; mais ce n'est déjà plus qu'une imitation de ce théâtre du xvne siècle dont toutes les tragédies semblent être calquées l'une sur l'autre; cette imitation s'est même prolongée jusqu'au quart du XIXe siècle. Toutefois nous devons ici faire une exception; les tragédies de M. Casimir Delavigne ne sont point des calques; il est entré dans une voie nouvelle; ses œuvres ont lear couleur et leur forme. Nous devons citer aussi le Sylla de M. de Jouy. Quelques disciples de Voltaire qui, à l'exemple du maître, se sont occupés du drame, ont aussi demandé des réformes. Diderot surtout s'est distingué parmi les novateurs par la création du drame intime et bourgeois; il a le premier ouvert cette voie où Mercier l'a suivi, Mercier que nous osons à peine nommer,

parcequ'il lui manquait cette forme dont nous avons parlé tout-à-l'heure, et qui seule consacre les œuvres du génie de l'homme.

Un écrivain qui appartient beaucoup moins au drame qu'au roman, et que le charme de son style, non moins que la beauté de son imagination, classe d'une manière très distinguée dans la belle école de M. de Chateaubriand, mérite d'être cité ici pour cette forme exquise et pure qui restera éternellement le cachet de ses œuvres : c'est Charles Nodier. On a toujours trouvé dans ses productions cette liberté littéraire réglée par le goût, que nous n'avons cessé de défendre. La poésie actuelle semble devoir rester au théâtre. Depuis quinze ans, quelles tragédies avons-nous vu représenter sur le modèle des tragédies du xvIIIe siècle? Un homme d'un beau génie, M. Alexandre Soumet, a, dans sa pièce intitulée Une fête de Néron, prouvé que tous les vrais talents de notre époque ont compris la révolution qui s'opère. Mais, au milieu de ces violents débats et de ces luttes ardentes, une œuvre d'une conception hardie a été méconnue le Caligula de M. Alexandre Dumas méritait de rester au théâtre.

Je ne puis d'ailleurs que désapprouver les excès des nouvelles écoles; mais je crois que les lettres de notre temps se retremperont aux sources de la religion et de la philosophie, et se renouvelleront dans les mœurs contemporaines.

Le baron TAYLOR,

Président et membre de la première classe de l'Institut Historique.

HISTOIRE DE LA VILLE DE MAYENNE

ET DE SES PREMIERS SEIGNEURS,

DEPUIS SA FONDATION, JUSQU'EN 1161` (1).

La ville de Mayenne est appelée dans les titres latins Medanua, Medana, Medania, Mediania; elle porte le même nom que la rivière qui coule au bas du vallon où elle est située,

On ignore l'époque précise de sa fondation; cependant nous savons que saint Aldric, évêque du Mans, fonda vers 850 deux monastères, l'un de Saint-Martin in Diablentico, et l'autre de Saint-Jean ad Meduanam, nommé plus tard Saint-Jean-de-Berne.

Les Normands ayant, en 869, pris et pillé la ville du Mans, se répandirent

(1) L'Histoire de la ville de Mayenne, déjà terminée, fait partie d'un travail plus considérable sur l'ancienne province du Maine, dont l'auteur s'occupe depuis longtemps.

dans le Maine, et ruinèrent les églises et les monastères de Saint-Jean-surMayenne, de Saint-Martin in Diablentico, et l'abbaye d'Évron (1). Ce monastère de Saint-Martin doit être celui qui est situé dans le faubourg de Mayenne, qui se trouvait en effet dans le pays des Diablintes, et il est probable qu'un certain nombre de maisons étaient, suivant la coutume, groupées autour des bâtiments des moines. Peut-être existait-il déjà une tour ou forteresse sur le bord de la rivière, l'emplacement était tellement avantageux pour une place forte, qu'il dut, de bonne beure, être choisi pour cet usage; et comme nous trouvons les premiers seigneurs de Mayenne existant vers le Ixe siècle, on peut présumer qu'ils eurent alors unǝ forteresse en ce lieu.

MÉEN (2).

Il parait que les premiers seigneurs de Mayenne étaient Bretons. Un manuscrit composé par un religieux de Saint-Mars-sur-la-Futaie, et qui est le plus ancien titre où l'on parle de ces seigneurs, dit positivement que Méen était un prince breton, et qu'il était aussi seigneur de Fougères et de Saint-Méen de Gaël en Bretagne. Ce prince, qui vivait dans le 1xe siècle, nomma, d'après le même manuscrit, cette ville Méénne, dont on fit plus tard par corruption Meyenne et Mayenne. Il eut une fille nommée aussi Méenne, qui épousa Théel de Chateaubriant, à condition que le second fils qui naîtrait de leur union prendrait le nom de Méénne. Ils en eurent deux; le premier, nommé Hermer, dont il n'est pas autrement parlé, hérita sans doute des seigneuries que possédait son père en Bretagne. Le second, nommé Ruelland, ajouta à son nom celui de Méenne, et le laissa à ses descendants, avec la possession de cette terre.

Les seigneurs de Mayenne avaient sans doute alors pour souverains les anciens rois bretons; en effet, d'après la chronique de Nantes (3), Nomenoë, roi de Bretagne, se rendit maître d'une partie du Maine, jusqu'à la rivière de Mayenne. Il mourut en 851, et son fils Erispoë, qui lui succéda, prend aussi le titre de souverain de la Bretagne jusqu'à la rivière de Mayenne. Salomon, son successeur, obtint du roi de France Charles-le-Chauve le pays situé entre les rivières de la Mayenne et de la Sarthe.

RUELLAND DE MÉENNE OU MAYENNE.

On ignore le nom de la mère et de l'épouse de Ruelland; on trouve seule

(1) Lecorvaisier.

(2) J'ai trouvé de nombreux renseignements sur la ville et les seigneurs de Mayenne, dans un manuscrit sans nom d'auteur et sans date, composé d'après l'ouvrage de Legoué, (dont parle Ménage, page 182 de son Histoire de Sablé) et que j'ai trouvé assez important pour en prendre une copie.

(3) Chronicon Nannettense (Duchesne).

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