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La vue des monuments arabes dut inspirer aux architectes européens le goût de cette richesse, et son application à l'architecture bysantine, au XIIe siècle, jointe à l'emploi de l'arc aigu ou ogive, des figures d'hommes ou d'animaux, ressource inconnue aux Arabes, produisit l'architecture dite gothique.

L'ogive, à son apparition, ne fut d'abord qu'à peine indiquée, mais peu à peu elle se revêtit des ornements de l'architecture romane. Dès le milieu du XII° siècle on avait élevé des églises dans le style ogival; mais ces monuments conservaient une partie du caractère ancien. Ce ne fut que vers 1250 que ce style eut acquis son élégance, sa légèreté, ses proportions; alors seulement il exista seul lui-même.

et par

A cette époque le chœur s'allongea; la chapelle placée dans l'abside commença à prendre un plus grand développement, et fut consacrée à la Vierge. Au reste, cet usage ne fut complètement adopté que dans le XIVe siècle, où s'introduisit aussi celui des chapelles des nefs latérales, qui ne se retrouvent dans les églises du XIIIe qu'ajoutées après coup.

Une des principales et des plus remarquables innovations fut l'introduction de ces arcs-boutants qui s'appuient d'un côté sur les contreforts des bassesnefs, et de l'autre vont soutenir les murs du grand comble. Dès-lors, pour accompagner ces supports projetés en l'air avec tant de légèreté, on couronna les contreforts d'élégants clochetons, et on les orna de niches qui reçurent des statues. Les contreforts, dans les édifices élevés, supportèrent jusqu'à troi rangs d'arcs-boutants superposés, qui servirent en même temps d'aqueducs pour l'écoulement des eaux, que des gargouilles rejetèrent loin des murailles.

Les ornements les plus usités au XIIIe siècle sont les trèfles, les quatre-feuilles, les violettes, les fleur ons, les rosaces, les guirlandes de feuillages, les pampres, comme dans la charmante église de Marissel près de Beauvais, les dais, les arcades pleines, et les dents de scie qui, ayant commencé à se montrer dès la fin du XIe siècle, sont extrêmement communes au commencement du XII. Ce fat dans cette même période que s'introduisit l'usage des balustrades qui surmontent les entablements de beaucoup d'édifices.

Les colonnes minces et allongées forment encore un des caractères les plus frappants de l'architecture ogivale; quelquefois on les isolait, et on les plaçait à des distances égales pour l'ornement des murs; le plus souvent elles étaient disposées par faisceaux, et tapissaient les pilastres. Les demi-colonnes adossées aux piliers dans l'architecture byzantine donnèrent peut-être l'idée première des faisceaux gothiques. En général, les colonnes, soit isolées, soit groupées, se détachent de manière que les trois quarts du cylindre restent visibles; quelquefois même elles sont entièrement détachées. Antérieurement au XIVe siècle, les fûts des colonnes sont souvent partagés dans leur hauteur par des cordons; plus tard, nous les voyons s'élancer d'un seul jet jusqu'aux voûtes, ou se composer d'une suite de colonnes immédiatement superposées, et ayant chacune leur base et leur chapiteau. Il est des églises où le premier ordre était formé par

de grosses colonnes qui, au-dessus de leurs chapiteaux, se résolvaient en faisceaux de colonnes groupées; c'est ce qu'on voit à l'église de Louviers.

Les chapiteaux ne manquent pas d'élégance; quelquefois ils affectent la forme corinthienne, mais le plus souvent ils offrent des feuilles galbées terminées par des espèces de volutes.

Dans l'architecture ogivale primitive, les fenêtres, généralement désignées sous le nom de lancettes, sont étroites, allongées et dénuées de tout ornement; mais peu à per elles se garnissent de voussures décorées de tores ou boudins venant s'appuyer sur des colonnettes. Dans les grands monuments ces fenêtres sont souvent réunies deux à deux, et encadrées dans une arcade commune.

Dans les édifices qui offrent trois étages superposés, entre les arcades inférieures et les fenêtres, règne dans tout le pourtour une petite galerie obscure qui concourt beaucoup à donner aux monuments gothiques leur aspect de légèreté; telles sont la cathédrale de Paris, l'abbaye de Saint-Denis, etc.

Au XIe siècle les portes latérales des églises s'ouvraient dans les bas-côtés du chœur ou des nefs, comme on le voit à l'église d'Orcival ; mais, dès le XIIe siècle, on les plaça aux extrémités des transepts. Les portes sont ordinairement au nombre de trois aux façades des grandes églises. Les tympans sont d'une grande richesse et couverts de petites figures.

Les voûtes sont peut-être ce qu'offrent de plus étonnant les constructions des XII et XIIIe sièles; elles n'ont quelquefois que six pouces d'épaisseur; elles ne sont point composées de pierres de taille, mais bien de petites pierres mêlées à beaucoup de ciment; et cependant elles ont résisté pendant des siècles aux efforts des hommes et des éléments. Les arceaux des voûtes en ogive, comme ceux des voûtes à plein cintre, sont quelquefois parallèles, mais le plus souvent ils sont croisés, et à leur point d'intersection sont placés des fleurons, qui plus tard, prenant une immense extension, deviennent ces délicieuses clefs de voûte pendantes, comme celle qu'on admire à Paris à Saint-Étienne du Mont.

Dès le XIe siècle on avait construit des tours d'une grande hauteur; mais c'était aux XIIe et XIII qu'il était réservé de voir élever ces pyramides gigantesques, ces clochers aériens qui semblent monter au ciel avec les prières des fidèles. Les tours carrées étaient ordinairement placées aux deux côtés de la facade et surmontées d'une flèche en pierre flanquée de quatre clochetons. Rarement les deux flèches furent achevées, comme celles de l'Abbaye-aux-Hommes de Caen, et des cathédrales de Bordeaux et de Coutances. Souvent on n'en éleva qu'une seule, comme à Strasbourg, à Saint Denis, à Chartres; plus souvent encore les travaux s'arrêtèrent aux plates-formes des tours, comme nous le voyons aux cathédrales de Paris, de Rouen, d'Orléans, de Tours, de Troyes, de Lyon, d'Amiens, etc. Quelquefois aussi ces flèches ont disparu, comme à l'abbaye de la Chaise-Dieu, sous les efforts réunis de la foudre, du t mps et des hommes. Nous avons des exemples d'une autre tour plus hardie, s'élevant au centre de la croisée, comme

à Rouen, à Autun, à Milan; celle de Beauvais, plus haute et plus étonnante en core, s'écroula cinq années seulement après sa construction.

C'est dans le cours des XIII, XIV et XV siècles que l'Espagne, la France, les Pays-Bas et l'Angleterre se couvrirent de ces admirables monuments, ces cathedrales mystérieuses et sublimes, ces édifices merveilleux, chefs-d'euvre du génie inspiré par la foi religieuse.

L'architecture du XIVe siècle n'a pas de caractère bien tranché, et ne constitue pas, comme celles du XIII® ou du XVe, une variété bien distincte du style ogival. Ce fut dans ce siècle que s'introduisit l'usage de couronner souvent les arcades ogives d'espèces de frontons décorés extérieurement de crochets. Les fenêtres, qui jusque-là n'avaient jamais été que réunies deux à deux, prirent une plus grande largeur, et plusieurs divisions devinrent nécessaires dans le sens de leur

hauteur.

On a peu de monuments entiers du XIV siècle, qui ne fit guère que continuer l'immense quantité d'édifices commences dans les XIle et Xille. C'est de cette époque que datent plusieurs parties des cathédrales d'Amiens, de Reims, de Bourges, et la nef de Tours.

Le style ogival du XVe siècle a reçu aussi le nom de prismatique. En effet, les formes prismatiques ou anguleuses dominent dans toutes les moulures et remplacent les formes arrondies des siècles précédents; elles se manifestent jusque dans les moindres détails. Les colonnes groupées sont pour la plupart d'une. extrême finesse; quelquefois même de simples nervures prismatiques les remplacent.

Aux imitations des feuilles d'acanthe sont substituées, dans les ornements comme dans les chapiteaux, des feuilles de chardon ou de chou frisé. De tous les ornements en usage à cette époque, les pinacles simulés sont peut-être ceux qui ont été le plus employés, et qui se distinguent par le plus de grâce et de délicatesse. Quelques portes se trouvent placées dans une espèce d'encadrement carré; d'autres, en plus grand nombre, présentent de chaque côté des pilastres divisés en plusieurs panneaux et surmontés d'aiguilles ou de pinacles. La plupart des portes offrent, au-dessus de la principale arcade, une sorte de fronton pyramidal garni de crochets, et dont le sommet est surmonté d'un piedestal destiné à recevoir une statue. Ce fronton, se relevant subitement près du point de jonction, forme une pointe très aiguë. Ce mouvement, que l'on trouve souvent dans l'architecture moresque, se reproduit partout, et est un des caractères particuliers des arcades de cette époque. Telle est la façade entière de la cathédrale de Toul.

Les compartiments qui divisent la partie supérieure des fenêtres, et les grandes Ouvertures circulaires appelées roses, présentent le plus ordinairement des figures bizarrement contournées et offrant quelque analogie avec le mouvement ondulé des flammes, ce qui a fait nommer par quelques-uns le style de cette

époque gothique flamboyant. Ces mêmes ornements se reproduisent dans les balustrades.

Enfin la dernière époque du style ogival, de 1480 à 1550, fut celle de sa plus grande richesse, et a reçu le nom de gothique fleuri. Les festons, les entrelacs, les broderies, los arabesques, les dentelures furent prodigués. C'est à cette période qu'appartiennent l'église de Saint Remy à Amiens, la cathédrale presque entière de Gand, celles d'Anvers, de Malines, de Mézières, l'église de Brou, grand portail, la tour de Beurre, et plusieurs autres parties de la cathédrale de Rouen, enfin les transepts de Beauvais, parmi les ornements desquels domine la salamandre de Français Ier.

Cependant l'Italie, tout en élevant quelques édifices gothiques, tels que SantaMaria della Spina de Pise, et le dôme de Milan, n'avait jamais entièrement adopté cette architecture. Les monuments de l'art antique que les artistes italiens avaient sous les yeux, les colonnes, les fragments qu'ils employaient sans cesse, et qui n'auraient pu s'appliquer au style gothique, furent un obstacle à sa natu ralisation dans la patrie des arts. Cette persistance de l'Italie devait être la première cause de cette renaissance qui surgit comme par enchantement au commencement du XVe siècle. Brunelleschi parut, qui le premier sentit le besoin d'étudier sérieusement les beaux restes de l'architecture romaine. La règle et le compas à la main, il parcourut les ruines de l'ancienne Rome, mesura les colonnes, dessina les chapiteaux; et l'église Saint-Laurent de Florence, où reparut pour la première fois l'ordre corinthien avec sa régularité, l'étonnante coupole de Santa Maria del Fiore, lui méritèrent le titre de restaurateur de l'architecture.

De ce moment l'attention se reporta sur ce style si noble et si pur. Dans les premières années du XVIe siècle, Léon-Battista Alberti, profitant des recherches de Brunelleschi et des siennes propres, composa un traité d'achitecture, qui, plus clair, plus intelligible que celui de Vitruve, rendit d'immenses services. Bientôt son œuvre fut complétée par les écrits et surtout les admirables exemples des Serlio, des Palladio, des Michel-Ange, des Vignole, des Raphaël, et de tant d'autres illustres architectes, et l'œuvre de la renaissance fut consommée.

Malheureusement les monuments que ces grands artistes avaient consultés étaient déjà eux-mêmes dégénérés de la première pureté de l'architecture grecque, et les maîtres du XVIe siècle érigèrent en principe ce qui, dans l'antiquité, n'était déjà qu'une innovation. Leurs égarements furent funestes à l'art, en devenant la source des extravagantes productions architecturales du Borromini et de ses imitateurs.

L'école du Bernin exerça aussi une fatale influence, car il en fut d'elle comme de toutes les écoles; les élèves n'eurent point les qualités du maitre, et outrèrent tous ses défauts. Heureusement ces erreurs furent de courte durée.

Vignole, qui vint avec le Prinatice à la cour de François Ier, eut avec Jean Goujon une grande influence sur la renaissance en France. Bientôt la célébrité

et le talent des architectes de notre pays devinrent tels, que le roi d'Espagne, Philippe II, se servit d'un architecte français, Louis de Foix, pour son vaste båtiment de l'Escurial, et que Catherine de Médicis, quoique italienne, n'employa aux Tuileries que des Français, Philibert de Lorme et Jean Bullant, l'élève favori de Pierre Lescot. Marie de Médicis confia de même à un Français, Jacques de Brosses, la construction du palais du Luxembourg.

Le style de la renaissance était plas remarquable par son extrême élégance que par sa pureté, par sa richesse que par sa majesté. Sous Louis XIV, on prétendit revenir à la sévérité primitive. Mansart fut protégé et employé, l'Académie de France à Rome fut fondée, Perrault traduisit Vitruve, Versailles fut créé, et le Louvre continué. C'était beaucoup sans doute; mais malheureusement le goût vint souvent à manquer; et si l'on réussit à faire du grandiose, de l'imposant, on était encore bien loin du but qu'on s'était proposé. La période frivole de la régence et de Louis XV vint tout à coup arrèter l'élan, et l'architecture fut abandonnée à ces ornements bizarres, à ces caprices de boudoir qu'on est convenu d'appeler style rococo ou Pompadour.

Presque toujours un excès succède à un autre excès. La révolution arriva, et avec elle les souvenirs de la Grèce et de Rome. Dès lors on ne vit p'us que de pâles imitations des grands édifices des siècles de Périclès et d'Auguste. L'architecture de l'empire continua celle du directoire, et ce fut avec justice qu'on put s'écrier:

Qui nous délivrera des Grecs et des Romains?

Alors une église, une bourse, un palais, une caserne, une halle, tout était taillé sur le même patron; tout était Panthéon ou Parthenon. Aux édifices les plus riches de la période ogivale venaient se plaquer des façades toscanes ou corinthiennes, des sacristies ioniques, des chapelles doriques ou composites.

Enfin une ère plus raisonnable semble avoir lui pour l'art. Il ne faut plus compter sur l'érection de grands monuments, mais au moins est arrivée l'époque des restaurations consciencieuses; on commence à sentir le besoin de se conformer au style des édifices qu'on augmente ou qu'on rétablit, et des travaux comme cenx de Saint-Denis, de Saint-Germain l'Auxerrois, de l'hôtel-de-ville, ou de Fontainebleau, pourront encore faire quelque honneur à une époque qui marquera peut-être aussi dans l'histoire de l'art, ne fût-ce que par son goût pour eette histoire même, par l'apparition de tant d'ouvrages, la création de tant de sociétés qui ont déjà détourné et détourneront encore le marteau sacrilége qui trop souvent a fait disparaitre ce que vingt siècles avaient épargné.

ERNEST BRETON,

Membre de la quatrième classe de l'Institut Historique.

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