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doutiez quelque piége, quelque malice. Rassurez-vous, je suis innocent comme l'enfant qui vient de naître, candide comme le pupille du docteur Pangloss, et tout à fait incapable de vous induire à la moindre idée étrange ou maligne. Puisque vous gardez le silence, il faut donc que je m'explique en termes clairs et précis.

Les galeries du Palais-de-Justice, corridors ténébreux où quelques marchands de parapluies, de pantoufles, quelques loueurs de dominos noirs (à l'usage des jeunes-premiers de la maison, qui n'ont pas encore fait emplette d'un costume de caractère), ouvrent leur magasin peu resplendissant: ces passages humides et crottés, où les écrivains publics se sont réfugiés quand on a détruit les charniers des Saints-Innocents; ces couloirs mystérieux, qui seraient déserts s'il n'y avait plus le moindre plaideur en France, étaient jadis le lieu de réunion éminemment fashionable de Paris; le rendez-vous des galants et des galantes, des rimeurs et des savants, des précieuses et des raffinés; l'entrepôt des livres nouveaux et des modes fraîchement écloses, dont la cour et la ville s'empressaient de savourer le jeune parfum. Les canons des marquis étaient forés, tournés dans la Galerie du Palais, et les dames venaient y choisir leurs ajustements les plus coquets. Elles triomphaient en emportant une commode sur leur tête, et n'étaient pas moins fières que Me Augustine Brohan, des Précieuses ridicules, quand elle fait briller ses beaux yeux sous ce diadème de linon. L'arsenal de la presse et de la toilette, ces deux puissances qui gouvernent le monde, était en ce palais magique où scintillaient bijoux et diamants à la clarté de mille flambeaux. C'est là que les poètes venaient s'inspirer en la compagnie des sibylles de la mode, sur leurs trépieds assises, cherchant, trouvant quelques chiffons capricieux. En 1634, Pierre Corneille honore d'une comédie ce lieu de prédilection, en donnant la Galerie du Palais ou l'Amie rivale. En 1683, Boileau veut-il faire combattre deux escadrons de chanoines, espadonnant avec de gros bouquins, volumes cuirassés,

éperonnés de bois et de fer, c'est la Galerie du Palais qu'il choisit pour champ de bataille. Et nulle pyramide, pas la moindre inscription ne rappelle aujourd'hui le souvenir de tant de gloire! O vanité des choses humaines!

Trève de réflexions philosophiques et décourageantes; poursuivons notre revue rétrospective. Les marchandes du Palais, c'est ainsi qu'on les appelait, sans avoir besoin d'ajouter la désignation des objets de leur commerce. Nous dirions aujourd'hui marchandes de modes; ce qui, pour être plus clair, n'en serait pas moins une longue et cacophonique sottise; pourquoi ne pas dire modistes?

Les modistes du Palais inventèrent, en 1723, une coiffure en gaze, qu'elles produisirent sous le nom de mirliton. Ce mot figura bientôt dans le refrain d'une chanson du PontNeuf, dont l'air devint fameux par les innombrables couplets auxquels on l'adapta. Le prévôt de Versailles, prévôt de l'hotel, fut assez maladroit pour le défendre, et cette prohibition ne fit que redoubler l'ardeur, la malice et la fécondité des chansonniers. Le lendemain de sa proclamation, il parut des couplets en mirlitons contre le prévôt, contre les dames de la cour, soupçonnées d'avoir sollicité, provoqué la défense, et de là sur toutes sortes de personnes et de sujets. La plus jolie de ces pièces gracieuses et légères est celle que Piron composa sur le Jugement de Pâris; c'est un petit chefd'œuvre, je le recommande à mes lectrices.

Inez de Castro, de La Motte, ayant été mise en scène à cette époque avec un succès merveilleux, on chanta la parodie entière de cette tragédie sur l'air à la mode. Trois cent soixantecinq couplets! un pour chaque jour de l'année, autant que Lablache compte de tabatières; plus un, comme ce virtuose dit plus une pour les années bissextiles. Certes les habitués de la Comédie-Italienne devaient avoir du miriiton par dessus les oreilles, Dominique leur en donnait largement. Agnès de Chaillot fit fureur, fanatisme, alla jusqu'aux nues, alle stelle, grâce à la vogue du mirliton; bien entendu que toutes les actrices, danseuses, choristes et figurantes, chan

tant le mirliton, étaient coiffées de mirlitons, confectionnés à la Galerie du Palais, où l'inventrice avait pompeusement étalé cette honorable collection des produits de son génie. Les louis d'or portant le millésime de l'année 1723, furent appelés mirlitons, et sont encore ainsi nommés par les numismates érudits, qui les colligent et vénèrent à cause de cette singularité.

Voici les deux premiers couplets de la chanson dramatique du joyeux Arlequin. Vous me pardonnerez la suppression des trois cent soixante-quatre autres :

LE ROI.

Reine, je tiens ma promesse,
Et mon fils doit en ce jour,
En épousant la princesse,

Lui donner tout son amour,

Et son mirliton, mirliton, mirlitaine,
Et son mirliton, mirliton, don, don.

LA REINE.

Seigneur, j'ai sujet de craindre
Pour vous mille déplaisirs :
Le prince a beau se contraindre,
Je connais trop les desirs

De son mirliton, mirliton, mirlitaine,
De son mirliton, mirliton, don, don.

La Motte, furieux contre le parodiste, obtint que l'impres sion d'Agnès de Chaillot fût prohibée en France; il fit par venir des indemnités pécunaires aux imprimeurs de la Hollande pour empécher cette publication à l'extérieur. Voilà, certes, de l'argent bien employé; lorsque tous les soirs Agnès de Chaillot dictait ses 366 couplets à douze cents amateurs avides, curieux de les apprendre, afin de les répéter à leurs amis et connaissances. Les cinq cent mille voix des Parisiens ne suffisaient point à chanter les couplets favoris, il fallait encore un orchestre burlesque pour les accompagner et compléter ainsi la bouffonnerie devenue universelle. On eut recours à la flûte à l'oignon, que l'on multiplia jusqu'à

l'infini, sans arriver de longtemps à contenter les desirs de tous les virtuoses. Cette flûte grotesque prit à l'instant le nom de mirliton, fit la fortune des marchands de jouets établis dans la Galerie du Palais, et vint briller de tout son éclat à la foire, alors prochaine, de Saint-Cloud. Quelques plaideurs désappointés, quelques comtesses de Pimbesche peuvent encore se munir de mirlitons à la Galerie du Palais; mais l'exploitation du mirliton sur une grande échelle est demeurée à la ville de Saint-Cloud. C'est là que les amateurs vont faire leurs achats; c'est la terre féconde et classique du mirliton.

Schneitzhoeffer avait écrit une symphonie pour un orchestre de mirlitons. Cette facétie musicale fut exécutée dans un salon, devant un nombreux et brillant auditoire, qui l'applaudit avec transport; Tulou figurait en tête de ces flutistes champêtres.

DAPHNIS ET ALCIMADURA,

Opéra en trois actes.

MONDONVILLE, 1754.

J.-J. Rousseau, citoyen de Genève, s'était attribué la musique du Devin du Village, et celle de Pygmalion, composées par Granet, par Horace Coignet, citoyens de Lyon. Mondoville se disait l'auteur des livrets que l'abbé de Voisenon arrangeait ou composait pour lui. Ce musicien les publiait sous son propre nom; Jean-Jacques en avait agi de même à l'égard de la partition de Granet.

En 1754, Mondonville fait représenter Daphnis et Alcimadura, pastorale imitée de l'Opera de Frountignan, pièce languedocienne, dont la plupart des airs étaient des chansons populaires de nos contrées méridionales. L'Opera de Frountignan, remis en lumière par Goëthe, sous le titre de Jéri et Bethly, fut, après quelques essais malheureux, converti définitivement en opéra comique, et s'appelle aujourd'hui le Chalet, à l'Opéra-Comique, Bethly, à l'Opéra.

Daphnis et Alcimadura offrit une singularité précieuse; le drame, écrit en languedocien, fut merveilleusement exécuté par Jéliotte, Latour et Mile de Fel, qui tous les trois Gascons, avaient une prononciation excellente, et n'eurent pas de peine à montrer l'étonnante supériorité de leur langue d'oc sur le patois parisien, qu'une circonstance désastreuse a fait adopter, en France, comme langage national. En célébrant ce triomphe, les écrivains de l'époque n'épargnèrent pas les critiques au dialecte français, qu'ils avaient pu contempler dans toute sa laideur et sa misère. L'ours mal léché parut

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