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par le desir de sortir vainqueur d'un défi. Ce musicien avait déjà reçu de Louis XIV des lettres de noblesse, quand on lui dit que, s'il voulait suivre la roufe ordinaire pour arriver à la gentilhommerie par une charge de secrétaire du roi, cette porte lui serait fermée, et qu'une personne de la compagnie s'en était même vantée. Pour avoir le plaisir de narguer ses ennemis, il garda ses lettres de noblesse et ne les fit point enregistrer.

Quelques jours après, il remplit de nouveau le personnage du Muphti dans le Bourgeois gentilhomme, à Versailles, chanta fort bien sa partie et chargea ce rôle par les danses, les pasquinades les plus folles. Le roi, qu'il divertit beaucoup, lui fit des compliments; Lulli s'empressa de lui dire qu'il avait fait tous ses efforts pour plaire à Sa Majesté; que son zèle pour la servir l'avait emporté sans doute un peu trop loin, et que malheureusement il allait en être puni. - Pourquoi donc ? Sire, j'avais dessein d'être secrétaire du roi, les secrétaires de Votre Majesté ne voudront plus me recevoir. -Ils ne voudront plus vous recevoir! repartit le monarque en propres termes; ce sera bien de l'honneur pour eux. Allez, voyez monsieur le chancelier. »

Lulli courut chez M. Le Tellier, et le bruit se répandit aussitôt que le Baptiste des Facheux, le Chiacchierone du Bourgeois gentilhomme, devenait monsieur le secrétaire du roi, monsieur de Lulli. Les secrétaires du roi, ses envieux, se révoltèrent, ils murmuraient tout haut:- Voyez-vous le moment qu'il choisit ? A peine a-t-il quitté son bonnet pointu, sa barbe de muphti, qu'il ose solliciter une charge honorable, et prétendre à la qualité de secrétaire de Sa Majesté. Ce farceur, ce baladin, encore tout haletant des pirouettes et des gambades qu'il vient de faire sur le théâtre, demande une entrée au sceau ! »>

C'est ce que desirait Lulli; ce malin candidat les voulait pousser à bout, les irriter, afin que l'excès de leur dépit vînt ajouter à l'éclat de sa victoire. M. de Louvois, sollicité par messieurs de la chancellerie, et qui faisait partie de leur corps,

en fut offensé vivement. Il reproche à Lulli sa témérité, tout à fait inconvenante à l'homme qui n'avait de recommandation et de services que d'avoir fait rire. - Hé! tête-bleu, vous en feriez autant, si vous le pouviez ! » La riposte était gaillarde, ajoute un contemporain; il n'y avait dans le royaume que le maréchal de La Feuillade et Lulli qui eussent osé répondre à M. de Louvois de cet air. Le roi dit un mot à l'oreille de M. Le Tellier, et ce chancelier alors changea de gamme, en adroit courtisan. Les secrétaires du roi vinrent lui faire des remontrances sur l'intérêt qu'ils avaient à ce qu'on refusât Lulli pour la gloire de leur corps. Le chancelier les renvoya comme des chiens, employant à leur égard des termes plus désagréables que ceux dont Louis XIV s'était servi.

Lulli reçut ses provisions avec des agréments inouïs, le reste de la cérémonie s'accomplit avec la même facilité; ses confrères firent assaut de politesse pour l'accueillir. Lulli ne voulut pas montrer moins d'empressement et de galanterie : le secrétaire musicien donna le festin le plus somptueux à ses nouveaux camarades, et leur offrit un plat de son métier, en les invitant à la représentation du Triomphe de l'Amour, annoncée à l'Opéra. Ils y vinrent tous, et l'on vit la chancellerie en corps, quatre rangs de gens graves, en manteau noir, en grand chapeau de castor, aux plus belles places de l'amphithéâtre, qui écoutaient avec un sérieux admirable les sarabandes et les gigues de leur confrère le musicien. Cette singulière décoration embellit le spectacle, et l'Opéra fit connaître à tout Paris que son seigneur, ayant voulu se donner un nouveau titre, n'en avait pas eu le démenti. M. de Louvois même ne crut pas devoir garder så mauvaise humeur. Suivi d'une troupe de courtisans, il rencontra Lulli dans la galerie de Versailles, et lui dit en passant : Bonjour, mon confrère ! » Ce qui fut regardé comme un bon mot de M. de Louvois.

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Pour avoir écrit des opéras, Lulli faillit être privé de la sépulture chrétienne; ce ne fut qu'à force d'argent que les Petits-Pères consentirent à recevoir son corps dans leur église

de Notre-Dame-des-Victoires. Beaucoup d'autres associations. religieuses l'avaient déjà repoussé. On a marqué sur le tombeau de ce musicien qu'il avait fondé une messe à perpétuité.

Dans toutes les éditions de Molière où se trouve le mot Chiaccherone, on fera bien de lire Chiacchierone. Avis aux éditeurs à venir.

Les 'plaisanteries du maître de philosophie, devenu dans la même scène maître de langue, étaient une critique d'un ouvrage ridicule de grammaire de ce temps-là. C'est ainsi que Favart dans la Fille mal gardée, vaudeville dramatique, ridiculise la singulière invention de composer de la musique. au moyen des chances de trois dés, que l'on avait sérieusement proposée dans le Mercure de France.

Au mois de janvier 1717, la Comédie-Française vient se réunir à l'Académie royale de Musique pour donner une suite de magnifiques représentations du Bourgeois gentilhomme sur le théâtre de l'Opéra. « Jamais spectacle n'a été plus brillant, mieux exécuté, plus suivi, » dit le Mercure de France de janvier, page 250.

Voyez dans le même recueil, mars 1740, page 269, le compte rendu des représentations de Basile et Quitterie et du Roi de Cocagne, où l'Opéra, la Comédie-Italienne figuraient en entier dans les divertissements de chant et de danse ajoutés à ces comédies produites sur le théâtre des comédiens français, réunion des trois grands théâtres de Paris.

Traduits en turc, le Malade imaginaire et le Bourgeois gentilhomme ont été représentés, l'année dernière, à Constantinople, avec une brillante mise en scène, au grand contentement des naturels du pays. Halabalachou, qui jadis avait scandalisé l'ambassadeur turc, résidant à Paris, avait été sans doute remplacé par un mot tout à fait innocent.

Le Bourgeois gentilhomme, traduit en italien, devint un opéra bouffon, dont Paër fit la musique. Ce drame lyrique, ayant pour titre la Testa riscaldata, parut, en 1797, sur le théâtre de Parme.

Le même musicien avait fait représenter à Rome l'École des

Maris, comédie de Molière, devenue opéra bouffon sous le titre de Una in bene, una in male. 1794.

La Preciosa ridicola, tel est le titre d'une farsetta, d'une opérette représentée à Venise en 1719.

Le 9 janvier 1852, la Comédie-Française se réunit à l'Académie nationale de Musique pour donner de superbes représentations du Bourgeois gentilhomme sur le théâtre de l'Opéra. Les rôles de la pièce de Molière y sont remplis par MM. Samson, Provost, Leroux, Got, Delaunay, Maubant,. Mirecour, Chéri, Anselme, Mathien, Mmes A. Brohan, Denain, D. Marquet. Les parties de chant y sont confiées à MM. Gueymard, Chapuis, Obin, Marié, Koenig, Merly, Berthier, Adice, à Mmes Laborde, Masson, Dameron. Dans les ballets figurent MM. Saint-Léon, Bauchet, Fuchs, Mmes Plunkett, Taglioni, Caroline, Pierron, Quéniaux, Émarot. Tous les acteurs de la Comédie-Française et l'Opéra, chant et danse, choristes et figurants, défilent devant le public dans la marche finale de ce chef-d'œuvre de Molière.

LES FEMMES SAVANTES.

MOLIÈRE, 1672.

ACTE III, SCÈNE V.

TRISSOTIN.

Vos vers ont des beautés que n'ont pas tous les autres.

VADIUS.

Les Graces et Vénus règnent dans tous les vôtres.

TRISSOTIN.

Vous avez le tour libre et le beau choix des mots.

VADIUS.

On voit partout chez vous l'ithos et le pathos.

TRISSOTIN.

Nous avons vu de vous des églogues d'un style
Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile.

VADIUS.

Vos odes ont un air noble, galant et doux,
Qui laisse de bien loin votre Horace après vous.

TRISSOTIN.

Est-il rien d'amoureux comme vos chansonnettes ?

VADIUS.

Peut-on rien voir d'égal aux sonnets que vous faites?

TRISSOTIN.

Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux ?

VADIUS.

Rien de si plein d'esprit que tous vos madrigaux?

TRISSOTIN.

En ballades surtout vous êtes admirable.

VADIUS.

Et dans les bouts rimés je vous trouve adorable.

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