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en ridicule, en plein théâtre, Crivelli, Tacchinardi, Raffanelli, Mmes Strinasacchi, Barilli, Festa, que dis-je? Viganoni, Mandini, Mmes Morichelli, Baletti, quoique le public de Paris ait cessé de les applaudir depuis quarante ou cinquante-huit ans? Le public ne vieillit pas; celui de 1709 était apparemment tombé dans l'enfance, l'imbécillité, puisqu'il a souffert que M. Turcaret fût baffoué pour la seule phrase juste et sensée qu'il ait à dire pendant cinq actes.

Carlo Broschi, surnommé Farinelli, chantant à Rome en 1722, à l'âge de dix-sept ans, établit son immense réputation par un air de bravoure avec trompette obligée, que Porpora, son maître, écrivit tout exprès pour faire briller le talent du jeune virtuose, et celui d'un trompettiste allemand d'une habileté prodigieuse. Cet air commençait par une seule note, que tenait d'abord la trompette. Le chanteur prenait la note ensuite, pour la tenir avec un charme, un artifice de mise de voix, une longueur de temps surprenante au point que des cris d'admiration éclatèrent dans toute la salle. Ce duo de voix et trompette assura le succès de l'Eomene de Porpora. Farinelli renouvela ce miracle de perfection douze ans après, en débutant à Londres dans l'Artaserse de Hasse. Richard Broschi, frère du merveilleux exécutant, avait ajouté l'air d'entrée, avec solo de trompette, à la partition. La seule note, attaquée et tenue successivement par la trompette et par la voix, pianissimo, crescendo a poco a poco, forte, fortissimo, diminuendo, smorzando, perdendosi, excita des transports d'enthousiasme, de délire tels qu'une dame de la cour s'écria de sa loge: Il n'y a qu'un Dieu et qu'un Farinelli. »>< Après ces mots : Une belle voix, soutenue d'une trompette, au théâtre on ajoute marine. Je ne vois pas ce que cette addition peut avoir de risible; le public rit pourtant; la tradition, l'usage veut qu'il rie. Il rit par la raison qu'il ignore ce que c'est qu'une trompette marine. On admire souvent ce qu'on ne comprend pas; il doit être permis d'en rire. Faire cette malencontreuse addition, c'est rendre M. Turcaret plagiaire de M. Jourdain. Soyez persuadé que Lesage a mis le plus

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grand soin à s'éloigner de son modèle, et qu'il s'est gardé surtout d'amener ici la trompette marine de Molière, rencontre que l'on aurait prise pour un rendez-vous, sans y mettre beaucoup de malice. La scène, par elle-même, n'a déjà que trop de similitude avec celle du Bourgeois gentilhomme. Si des acteurs français avaient représenté le chef-d'œuvre de Lesage à Londres, au moment des triomphes de Farinelli, de son digne écuyer sonnant; changer la trompette de Turcaret en trompette marine eut été de leur part un trait d'esprit, un changement commandé par la circonstance, et qui pouvait faire excuser les sottes exclamations du chevalier impertinent.

LES DEHORS TROMPEURS

OU L'HOMME DU JOUR.

BOISSY, 1740.

ACTE IV, SCÈNE XII.

FORLIS.

Quoi! c'est un violon qui balance mes droits?

LA COMTESSE.

Il doit jouer, monsieur, pour la dernière fois.

FORLIS.

Voilà donc ce devoir unique, indispensable!
Je tombe de mon haut!

LA COMTESSE.

C'est un homme admirable

Et qui tire des sons singuliers et nouveaux.

Ses doigts sont surprenants, ce sont autant d'oiseaux.
Doux et tendre, d'abord il vole terre à terre,

Puis, tout à coup, bruyant, il devient un tonnerre.

Rien n'égale, en un mot, monsieur Vacarmini.

FORLIS.

Vacarimini, madame, ou Tapagimini,

Tout merveilleux qu'il est, n'est pas un personnage
Qui mérite, sur moi, d'obtenir l'avantage.

Les destinées du violon avaient changé du temps de la régence. Les amateurs goutèrent alors les compositions de Corelli. On entendit d'habiles violonistes italiens, et le préjugé qui frappait de réprobation ce noble instrument s'était évanoui lorsque parut le célèbre Tartini. Cela n'empêcha pas les rimeurs de médire encore du violon par habitude. L'apos

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trophe de Voltaire et la scène de Boissy, que je viens de citer, le prouvent suffisamment. Cet épisode ironique est de mauvais goût; il tend au galimatias. Un violoniste, annoncé comme ayant un talent merveilleux, est ensuite appelé Vacarmini, Tapagimini, son archet produisant les effets du tonnerre. Ne dirait-on pas qu'il s'agit d'un centaure organiste se ruant des quatre pieds sur les claviers de Notre-Dame ? Insipide plaisanterie ! lazzies dignes des tréteaux de la Foire ! L'auteur ouvre un large bec pour souffler dans un galoubet.

Oui sans doute, voilà ce que nous sommes en droit de penser aujourd'hui ; mais alors, en 1740, les esprits étaient montés sur le ton de l'hyperbole au regard de la musique. On se battait à coups de pamphlets et d'épigrammes, de satires même depuis 1700. L'abbé Raguenet avait outrageusement navré la psalmodie française en la comparant aus opéras italiens; Le Cerf de la Viéville, seigneur de Freneuse, avait riposté quatre fois aux attaques virulentes de Raguenet; d'autres champions s'étaient unis à ces deux chefs de secte. Trois concerts de haute importance avaient été successivement établis afin de joindre l'exemple au précepte. Le Concert des Amateurs (de musique italienne) fondé par la marquise de Prie et le financier Crozat, sous le patronage de Philippe d'Orléans, régent. La traduction en prose des airs italiens que l'on y chantait, figurant sur les programmes, était de Fontenelle, qui se plaisait à dire : Je suis le bel esprit de ce concert. » Le concert des Mélophilètes, où l'on exécutait de la musique française dont on s'efforçait de hater le perfectionnement. Le Concert spirituel enfin, qui suivit, en 1725, les errements de notre grande scène lyrique. Intri gante, musicienne et claveciniste d'un talent reconnu, Mme de Prie voulut tenter un coup d'état, en amenant à Paris l'admirable compagnie italienne qui chantait à Londres. Senesino, la Cuzzoni y brillaient au premier rang, et Bononcini composait des opéras pour ces virtuoses illustres. Francine, directeur de notre Académie royale de Musique, fut assez adroit pour faire échouer l'entreprise, bien que le traité,

signé par M. de Maurepas et Crozat, dans le cabinet du régent, semblåt en assurer l'exécution.

Rameau débute, en 1733, par Hippolyte et Aricie, et les mélophilètes se rangent sous sa bannière pour combattre les partisans de l'Italie, et ceux de la musique de Lulli. Paris n'avait pas de journaux où les trois partis auraient pu s'attaquer ou se défendre, leur polémique vint se refugier au théâtre. Le Je ne sais quoi, le Badinage, les Talents à la mode, comédies en vers, sont trois plaidoyers où de Boissy traite à fond les questions relatives aux musiques belligérantes à cette époque. Ces mémoires sur procès, que nous lisons à peine aujourd'hui comme renseignements historiques, étaient alors accueillis avec empressement, avec passion; le public y prenait le plus vif intérêt, il préludait à la fameuse guerre des Bouffons qui devait éclater en 1752.

Ces explications données, on voit que les détails introduits dans les scènes des Dehors trompeurs, comédie estimée, n'ont rien de choquant et d'exagéré. Son Vacarmini même n'est point une impertinence, puisqu'en 1733 un violoniste italien, portant ce nom singulier, s'était fait entendre à Paris avec le plus grand succès. Témoin ces lignes d'un écrit de l'époque : -Les Italiens n'ont point d'autre nouveauté que Vacarmini, fameux violon, dont ils renforcent leur orchestre. 25 mai 1733. » La Cour et Paris en 1732-33, Revue rétrospective, seconde série,

tome v.

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En 1762, un autocrate de Russie, jouant du violon, se montrait le digne allié du roi de Prusse Frédéric II, virtuose sur la flûte, auletes, tibicen. Nous en avons la preuve dans une lettre de Catherine II, racontant la mort de l'empereur son mari. Pierre III but excessivement ce jour-là, car il avait tout ce qu'il voulait, hors la liberté. Il ne m'a demandé cependant que sa maîtresse, son chien, son nègre et son violon; mais, crainte de scandale et d'augmenter la fermentation dans les esprits, je ne lui envoyai que les trois dernières choses. >>

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- M. le duc de Richelieu fut arrété chez lui à neuf heures

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