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Mme de Longueville se pamait d'aise en écoutant un sopraniste fameux; et, répugnant à prononcer le mot dont on se servait alors pour désigner les chanteurs de la même espèce, elle dit à M. de Sennecterre : - Mon Dieu, que cet incom

modé chante bien ! >>

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Le prieur Jean Bertaut, frère de Mme de Motteville, ne manquait pas d'esprit, bien s'en faut; mais il était ennuyeux en diable et plein de vanité. Pour le distinguer de Bertoldo, le virtuose, dont on avait francisé le nom, les plaisants de la cour disaient: Bertaut l'incommode et Bertod l'incommodé.

Ce mot fut parodié cinquante ans plus tard, en 1695. Mascaron avait refusé de faire l'oraison funèbre de l'archevêque de Paris, Harlay de Champvalon, assurant qu'il était incommodé: - Dites plutôt que la matière est incommode,» lui répliqua-t-on.

Bertoldo, Bertold, Berthod, Bertod, ces quatre noms se rapportent à la même personne.

Tristan l'Hermite a dédié la Lyre d'Orphée, poème, à

Bertold.

Antoine Bannieri, de Rome, page de la musique de Louis XIV, était juste du même âge que ce prince. Le jeune Bannieri, possédant une des plus belles voix enfantines que l'on eût entendues, était le roi des sopranes de la chambre et de la chapelle. Ces deux princes, marchant de conserve, chantaient depuis dix ans sur la même clé; lorsque Louis, dont la voix avait pris les allures graves d'un baryton, s'aperçut que Bannieri s'obstinait à sopraniser. Au lieu d'être obscurci, détraqué par l'action de la mue, l'organe du page conservait son timbre argentin, sa pureté, son brillant diapason qu'il augmentait même de plusieurs notes à l'aigu. Cette voix angélique devenait chaque jour plus séduisante et plus volumineuse. Le baryton Louis XIV soupçonna quelque facétie, quelque tour d'escamoteur ou de page; il voulut savoir par quel moyen précieux le jeune virtuose avait préservé sa voix des atteintes de la puberté. Bannieri fut obligé d'avouer que, proprio motu, sotto voce, piano, piano, in estrema

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confidenza, il avait eu recours au procédé connu. - Mais qui donc t'a prété sa main? - Sire, j'ai donné ma parole d'honneur de ne point le nommer, et je supplie votre majesté de ne pas m'y contraindre. Tu fais bien, car il serait pendu. >> Le roi voulut d'abord chasser le page malicieux; mais ce page chantait si bien ! Bannieri septuagénaire obtint cependant la permission de se retirer. Il cessa de sopraniser à la chapelle, mais il vocalisait, chantait encore pour ses amis. trente-deux ans plus tard, en 1740, à l'âge de cent deux ans.

On exaltait le célèbre virtuose Conti dit Senesino devant la princesse Visconti. - Oui, j'en conviens, dit-elle, superbe voix, talent divin, mais mauvais cœur. Mon frère le cardinal en a fait faire un admirable sopraniste, et l'ingrat n'en a jamais témoigné la moindre reconnaissance. >>

La reine Anne d'Autriche avait pour surintendant de sa musique Lorenzani. Deux jours après la mort de cette princesse, Carlandré (Carlo-Andrea), musicien de la chapelle royale, rencontra Lorenzani triste, pâle, abattu par le chagrin que lui causait la perte de sa place et de sa protectrice. Lorenzani lui parla très longuement de ses infortunes. Carlandré, les bras croisés, la tête inclinée sur la poitrine, soupirant à chaque instant, l'écoutant avec un silence de compassion, finit dire: par Tu n'es pas le seul malheureux ! le sort vient de me frapper aussi d'une atteinte cruelle. Ed a me ancora è arrivata una gran disgrazia. Che cosa è? demanda Lorenzani vivement alarmé. Niente, niente, répondit Carlandré d'un air contristé, d'un ton lugubre, en secouant la Ma ancora, che cosa è?

tête :

Carlandré, se voyant pressé de conter sa mésaventure, répliqua douloureusement: Quelli diavoli di sorci m'hanno mangiato un pezzo di mortadella di Verona grande così! Ces diables de souris m'ont mangé un morceau de mortadelle de Vérone grand comme cela ! »

D'Arcy, page de la musique de Henri IV, page non incommodé, mourut à l'âge de cent vingt-trois ans, et jouit d'une santé parfaite pendant cette longue carrière. Il venait

souvent faire sa cour à Louis XIV, qui prenait plaisir à sa conversation. D'Arcy lui parlait très librement, et s'épar gnait les mots de sire, de majesté, termes parasites, ornements qui suivant son opinion, alongeaient, embarrassaient inutilement le discours. J'ai, lui disait-il, plus de gloire que vous, car j'ai servi sous votre grand-père, votre père et vous même.

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Quel est votre genre de vie?» lui demandait un jour ce prince. Je mange quand j'ai faim: j'ai des provisions de bouche à coté de mon lit. L'appétit se fait-il sentir? je le satisfais et me rendors. A mon réveil, je me promène dans mon parc ce que je fais au moins deux fois par jour. Mais quel âge avez-vous, mon cher d'Arcy? Oh! c'est ce qui vous reste à savoir. »

Revenons à la Sérénade. Je n'ai pas besoin de signaler à votre attention l'excellent trait de plaisanterie qui termine le discours de Scapin. Il ne faut pas moins de voix pour accompagner tous les instruments. >>

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Romantiques forcenés, oserez-vous dire que les pointes de nos classiques sont émoussées? Le comique de l'ancien temps a-t-il vieilli? je vous le demande.

Dans la scène vire de la Sérénade, ici rapportée, nous voyons poindre le mot violoniste, qui n'était pas encore en usage, et ne fut adopté généralement qu'en 1812 cent dix-huit ans après sa première exhibition.

En réunissant douze basses à huit concordants, à six basses-tailles, Regnard prouve encore une fois que nos contemporains se trompaient lourdement lorsqu'ils donnaient le nom de basse-taille à la voix de basse. Molière, Racine, Boileau justifient aussi la rectification que j'ai faite à notre vocabulaire en substituant baryton, à concordant, à bassetaille, afin que la voix de basse ne puisse jamais être confondue avec la basse-taille ou baryton. Les musiciens doivent parler juste, et dire avec le chantre du Lutrin:

Et Gorillon la basse et Grandin le faucet.

LES VENDANGES DE SURÈNE.

DANCOURT, 1695.

SCÈNE XXII.

Mme DUBUISSON.

C'est mademoiselle Du Hasard, si je ne me trompe,

LORANGE, en fille.

Oui, ma chère madame Dubuisson, c'est moi-même.

THOMASSEAU.

Tu connais cette personne-là, ma voisine?

Mme DUBUISSON.

Vraiment oui, c'est une de nos amies, une fort honnête fille, qui postule pour chanter gratis à l'Opéra, afin de se faire connaître.

:

Eugène de Thuret, directeur de l'Académie royale de Musique en 1734, imagina le premier de se faire payer une redevance par les demoiselles qui voulaient figurer sur son théâtre ce brevet d'invention est sa propriété. Monnet, directeur de l'Opéra-Comique, suivit bientôt ce précieux exemple. Voici comment s'exprime un auteur contemporain sur cette nouvelle industrie: Une fille qui desire se faire connaître, et se flatte de réussir par sa beauté, se présente à Thuret, à Monnet. Tous deux, dans la plus grande pénurie de sujets, disent qu'ils ont trop de monde. Une jeune personne qui veut monter sur les planches, et se faire voir aux Américains, aux Anglais, aux Hollandais, et même aux Allemands, tous gens ruinables, sacrifie quelque chose, et demande d'abord de s'essayer gratis. Le directeur fait valoir alors les prérogatives singulières dont jouissent les filles de spectacles, qui n'étant plus sujettes à la correction paternelle, à la rigueur de la police, peuvent être dénaturées et

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galantes avec impunité. Ces priviléges abominables qui ne sont que trop réels, déterminent les postulantes à faire un abandon sur les produits de leur industrie particulière, et s'engagent dès lors à payer une certaine somme par mois, afin d'être mises en possession de l'indécence privilégiée. » Un homme de génie, empruntant à 10,000 pour cent, faisant voguer sa galère à travers les écueils de mille procès ou jugements avec contrainte par corps, échappant aux huissiers au moyen des trappes de son théâtre; un directeur qui méritait des récompenses nationales pour avoir soutenu, gouverné son spectacle pendant treize ou quatorze ans, au milieu de toutes les difficultés, les angustie qui doivent arréter en sa course un entrepreneur de ce genre, Harel fit mieux encore. Un jour, il adressa l'allocution suivante à ses jolies et béné voles comparses :

- Mesdemoiselles, je vous admets à figurer sur le premier théâtre de Paris, celui de la Porte-Saint-Martin, honneur à nul autre pareil. Sans vous obliger à revétir les habits du magasin, je vous autorise à fournir vos costumes, afin qu'une louable émulation vous engage à faire assaut d'élégance et de parure. En échange de tant de faveurs, de tant de précieux avantages, vous me comptez chaque mois une rétribution misérable, parce que c'est un usage établi depuis des siècles, et que les anciennes coutumes doivent être respectées. Mais il est un chapitre que mes prédécesseurs ont oublié dans les réglements qui vous concernent: c'est celui des amendes; et nous allons pourvoir à cet objet d'une haute importance pour le bien du service. Fières de votre indé pendance, triomphantes de ne toucher aucune récompense pécuniaire, vous allez mener joyeuse vie à Saint-Cloud, à Romainville, à la Chaumière, à l'Ile Saint-Denis. L'heure du spectacle va sonner. - Qu'importe, dites-vous, vive la liberté ! Le directeur ne saurait nous mettre à l'amende, il ne peut exercer une retenue sur des appointements qui n'ont jamais existé. »

- Cette excuse, indigne d'une artiste qui se respecte, me

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