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Je descends aux enfers,

De là je monte aux cieux, et, parcourant les airs,
Je dors; et mon sommeil est un enchantement.
Je fais le tout en badinant,

Quel galant menuet! que ma loure est jolie !
Applaudissez mon carillon,

Mon passe-pied, mon rigaudon,
Voyez quel effort de génie !
Din dan don, digue, digue don.
Dans mes chansonnettes,
De tendres sornettes
Charment tous les cœurs;
On y voit des chaînes si belles,
On y voit nouvelles ardeurs,
On Ꭹ voit des ardeurs nouvelles.
Partout j'ai mis des coulez, murmurez,

Des régnez, des courez, volez,

Des triomphe, victoire, et gloires immortelles.
Que vous dirai-je, enfin? tous les traits les plus beaux,
Les plus attendrissants des opéras nouveaux.

En 1702, le musicien Du Fresny donnait à nos paroliers le patron de l'air bouffe qu'ils ont placé dans une vingtaine d'opéras comiques, où le chanteur Martin devait tenir le premier rôle. Ce virtuose aurait brillé d'un éclat bien plus vif, si nos musiciens avaient traité leur thème avec plus d'esprit, de talent et surtout plus de verve. Cet air repiqué partout, suivant Martin à la piste, n'a jamais été qu'un ambitieux amphigouri. De cette longue et stérile suite d'airs écrits pour Martin, un seul a mérité d'être conservé, c'est celui du Sénéchal de Jean de Paris, Qu'à mes ordres ici tout le monde se rende. Il est précisément du petit nombre de ceux qui n'avaient pas été calqués sur l'ancien modèle de 1702. A la variété des images, l'air bouffe de Du Fresny, dont il avait composé la musique, joignait une critique ingénieuse des opéras de son époque. Il a soin de placer des roulades sur les mots favoris, choisis, consacrés pour les amener, tels que volez, triomphe, victoire, etc. Du Fresny composait la musique de ses comédies à divertissements. Cet air pittoresque, et

beaucoup d'autres moins importants, sont gravés dans ses œuvres, en six volumes in-12, Paris, Briasson, 1731.

Si Molière, Du Fresny, Beaumarchais ont introduit la musique dans leurs comédies d'une manière si brillante et si spirituelle, c'est qu'ils étaient musiciens.

LA JOUEUSE.

RIVIÈRE DU FRESNY, 1709.

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ACTE I, SCÈNE I.

TRIOLET.

Paix là, messieurs, paix là! hé de grâce qu'on se taise dans l'antichambre. Messieurs les laquais, taisez-vous, je vous prie : laissez là vos violons, il me faut un moment de silence. Voyons un peu si ce salon sera avantageux pour ma voix, la, la, la, la : il résonne beaucoup : la, la, lire... pas trop pourtant. Voyons si mes cadences y paraitront perlées, la, la, la, ta, a, a, a, la, la.... et s'il rend bien les ports de voix. La, la; ah! oui, je crois que ce lieu-ci fera briller ma voix. Un maître à chanter doit prendre tous ses avantages. Holà, ho! laquais de monsieur Orgon, qu'on apporte ici le clavecin.

SCÈNE II.

TRIOLET, LIsette.

LISETTE.

Holà, ho, laquais de madame Orgon, qu'on apporte ici la table à jouer.

TRIOLET.

Apportez aussi vos basses, vos bassons...

LISETTE.

Vite donc, le tapis vert, les cartes, les flambeaux.

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Des violons, des violons. Tu as beau crier, Lisette, monsieur Orgon a défendu qu'on jouât dans ce salon.

LISETTE.

Vous avez beau vous égosiller, monsieur Triolet, madame Orgon a défendu qu'on chante dans son salon.

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TRIOLET.

Monsieur Orgon est le maître du salon; il tient à son appartement.

LISETTE.

Hé! ne voilà-t-il pas l'appartement de madame? le salon nous appartient.

TRIOLET.

En effet, la chose est problématique; et quand monsieur et madame Orgon se sont fait séparer de corps et de biens, on devait régler en justice, si le salon serait pour la musique de monsieur, ou pour le jeu de madame.

LISETTE.

Il faut opter cependant; car la musique et le jeu sont aussi incompatibles dans un même lieu, que l'humeur de monsieur et madame Orgon dans un même ménage.

TRIOLET.

C'est pour cela qu'ils ont fait couper leur ménage en deux. Mais je fais réflexion que nous ne chanterions pas en repos ici; nous serions trop près de votre brelan.

LISETTE.

Nous serions aussi trop près de votre charivari...

SCÈNE IV.

TRIOLET, à part.

Adressons-nous à l'autre fille de chambre de madame Orgon : depuis qu'elle est musicienne de monsieur, elle n'a plus aucune liaison avec mon ennemie...

FROSINE.

Il vous a promis un petit présent comme à moi.

TRIOLET.

Il m'a prié d'exhorter mon écolière à vouloir bien être mariée par raison. Il y a de mes confrères que l'on paie pour inspirer de l'amour à leurs écolières; cela est défendu cela: mais j'inspirerai de la raison à la mienne, cela m'est permis, quoique ce ne soit pas mon métier.

FROSINE.

Je crains bien que quelque jeune étourdi ne lui ait inspiré autre chose...

TRIOLET.

Je remarquai l'autre jour, en lui donnant leçon, qu'elle s'arrétait sur les passages tendres; et qu'elle faisait des soupirs qui n'étaient pas notés.

SCÈNE V.

TRIOLET, à Jacinte.

Vous entendrez ici une harmonie bizarre; le bruit des carrosses avec le son des violons; les musiciens fredonnent, et les chevaux hennissent. On entend les joueurs hurler, et les musiciennes glapir; les bassons ronfler, et les joueuses brailler enfin l'on n'entend ici que préluder, disputer, accorder, quereller, jurer et chanter....

ACTE II, SCÈNE II.

LA MARQUISE.

Quoi! vous ne rendez jamais visite à votre femme?

ORGON,

Quel moment prendrais-je pour lui rendre visite? Elle ne fait que jouer et dormir. Toujours ou dans la salle du jeu ou dans son lit je n'entre point là moi. Çà, en attendant ma femme, chantons quelque chose, Frosine.

LA MARQUISE.

Oui, oui, car je ne l'ai pas bien entendue là dedans, j'ai toujours causé avec Jacinte : j'aime beaucoup la musique moi, mais je ne veux pas qu'elle m'empêche de causer, c'est l'usage d'entendre ainsi les concerts, la symphonie ne sert à présent que de basse continue à la conversation....

SCÈNE IX.

TRIOLET.

Depuis deux ans, j'élève mademoiselle votre fille dans les principes du beau chant; ce sont deux années d'éducation que vous me devez.

LA JOUEUSE.

L'éducation d'une fille est si précieuse qu'on ne peut la payer.

TRIOLET.

Je ne vous importunerais pas sans certaines conjonctures.

LA JOUEUSE.

Les conjonctures du lansquenet m'ont rendue insolvable, cependant je m'acquitterai si vous voulez.

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