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ce que je dis, on le fera: c'est mon épigraphe, mon refrain, dès longtemps estampé sur le Journal des Débats, et l'expérience m'a déjà prouvé trois fois, qu'il frappait juste comme l'archet de Baillot ou de Paganini.

A 1889 la quatrième épreuve.

Lorsque Mme de Sévigné s'applaudissait de n'avoir mis que vingt-huit journées pour aller de Paris à la capitale de la Provence; vitesse alors plus que satisfaisante; si quelque neveu de Nostradamus avait dit à la châtelaine des Rochers: -Madame, bien avant deux siècles, on fera le même trajet par terre, sans chevaux, sans hippogriffes, et sur des roues en vingt-huit heures! » L'ingénieuse marquise n'aurait-elle pas entonné sur-le-champ une de ces litanies charmantes, dont elle a fourni le modèle en proclamant le mariage de Lauzun? Après avoir épuisé les mots inscrits dans les dictionnaires français, n'en aurait-elle pas forgé de nouveaux pour signaler au monde entier la folie de l'astrologue impertinent et stupide? Et pourtant!...

LES AMANTS MAGNIFIQUES.

MOLIÈRE, 1670.

Cette comédie-ballet fournit à Molière l'occasion de mystifier un poète de cour dont il avait à confondre l'orgueil. Benserade, chargé par le roi Louis XIV de la composition du Ballet des Muses, s'était vu forcé d'appeler Molière à son aide. Celui-ci avait écrit pour cette fête Mélicerte et la Pastorale comique. Le peu de succès de cette dernière production avait encouragé l'avantageux Benserade à prendre des airs de hauteur avec son collaborateur plus modeste. Ayant eu des premiers connaissance des Amants magnifiques, il dit, à l'occasion de ces deux vers du troisième intermède,

Et tracez sur les herbettes
Les images de vos chansons.

qu'il fallait sans doute lire :

Et tracez sur les herbettes
Les images de vos chaussons.

Molière probablement n'attachait pas une grande importance au distique ainsi parodié; mais il n'était pas d'humeur à se laisser turlupiner par un faquin. - Le mépris, disait-il, est comme une pilule qu'on peut bien avaler, mais qu'on ne peut macher sans faire la grimace. » Il jura de se venger et tint parole aussitôt. Benserade jouissait à la cour, d'une immense réputation comme poète de ballets; la fadeur et la recherche de ses compositions précieuses, où l'on rencontre pourtant des traits fort ingénieux, l'avaient entouré d'un grand nombre d'admirateurs. Molière, pour en venir à ses fins,

inséra dans le premier intermède des Amants magnifiques, pour le roi, qui représentait Neptune, des vers tout à fait dans le genre de ceux du poète bel-esprit. Il ne s'en déclara pas l'auteur, et ne mit que le prince dans sa confidence. Tous les courtisans, dupes de cette ruse, accablèrent de flatteries le complaisant Benserade, qui, par ses faibles dénégations, acheva de leur persuader que les stances étaient de lui. Quels durent être son dépit et sa confusion quand Molière, levant le masque, se déclara l'auteur de ce prétendu chef-d'œuvre ? Ce fut alors qu'il sentit combien était vrai le dernier vers du quatrain qu'il avait consacré lui-même au poète comique dans le Ballet des Muses:

Le célèbre Molière est dans un grand éclat;
Son mérite est connu de Paris jusqu'à Rome.
Il est avantageux partout d'être honnête homme,
Mais il est dangereux avec lui d'être un fat.

-Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très vraie, et qui vous divertira. Le roi se mêle depuis peu de faire des vers; MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre. Il fit l'autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin il dit au maréchal de Gramont: - M. le maréchal, lisez, >> je vous prie, ce petit madrigal et voyez si vous en avez >> jamais vu un si impertinent: parce qu'on sait que depuis » peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons. >> Le maréchal, après avoir lu, dit au roi :- Sire, votre majesté » juge divinement bien de toutes choses, il est vrai que voilà >> le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu. » Le roi se mit à rire et lui dit : N'est-il vrai que pas celui

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» qui l'a fait est bien fat? Sire, il n'y a pas moyen de lui >> donner un autre nom. -Oh! bien, dit le roi, je suis ravi » que vous m'en ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai » fait. Ah! sire, quelle trahison ! que votre majesté me le >> rende, je l'ai lu brusquement. - Non, M. le maréchal, les >> premiers sentiments sont toujours les plus naturels. »

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>> Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le roi en fit là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité. » Mme DE SÉVIGNÉ, Lettres, no 22, 30 novembre 1664.

Boyer travailla pour le théâtre pendant un demi-siècle, et ne vit jamais réussir aucun de ses ouvrages. Afin d'éprouver si leur chute ne devait pas être imputée à la prévention défavorable que le public avait manifestée contre lui, il donna sa tragédie d'Agamemnon sous le nom de Pader d'Assezan, jeune homme arrivé nouvellement à Paris. La pièce fut applaudie avec enthousiasme. Racine même, le plus grand fléau de Boyer, se déclara pour l'auteur débutant. Tendant le jarret au milieu du parterre, alongeant le cou, Boyer au comble de la joie, s'écria d'une voix sonore et triomphante : - Elle est pourtant de Boyer, malgré mons Racine. >>

Le lendemain cette même tragédie fut sifflée; et l'on publia le sonnet que voici.

On dit qu'Agamemnon est mort;
Il court un bruit de son naufrage;
Et Clytemnestre tout d'abord
Célèbre un second mariage.

Le roi revient, et n'a pas tort
D'enrager de ce beau ménage;
Il aime une nonne bien fort,
Et prêche à son fils d'être sage.

De bons morceaux par-ci, par-là,
Adoucissent un peu cela;
Bien des gens ont crié merveilles.

J'ai fort crié de mon coté;

Mais comment faire? en vérité,

Les vers m'écorchaient les oreilles.

Un motet, chanté devant la duchesse d'Urbin, fut écouté

de la manière la plus indifférente, parce que l'auteur n'avait pas été nommé. Dès que l'on eut appris que cette composition était du célèbre Josquin Deprès, les marques d'une admiration excessive éclatèrent de toutes parts. CORTEGGIANO DE CASTIGLIONE.

Le motet Verbum bonum et suave était chanté depuis longtemps à la chapelle pontificale de Rome, comme une œuvre de Josquin Deprès, et considéré comme une des meilleures productions de l'époque, lorsque Adrien Villaert, qui plus tard acquit une grande renommée, quitta la Flandre pour visiter l'Italie. Villaert entendit exécuter ce motet à Rome, et fut assez imprudent pour s'en déclarer l'auteur. Dès ce moment, le chef-d'œuvre fut mis au rebut et cessa de figurer sur le répertoire. ZARLINO.

La duchesse de Polignac étant grosse, afin d'être plus à portée de faire sa cour à la reine Marie-Antoinette pendant l'été, pria Mme de Boufflers de vouloir bien lui louer sa villa d'Auteuil, renommée pour ses jardins. Cette dame lui répondit par les vers suivants :

Tout ce que vous voyez conspire à vos desirs,

Vos jours toujours sereins coulent dans les plaisirs,
L'empire en est pour vous l'inépuisable source;
Ou si quelque chagrin en interrompt la course,
Le courtisan, soigneux à les entretenir,
S'empresse à l'effacer de votre souvenir.

Moi je suis seule ici, quelque ennui qui me presse,
Je n'en vois dans mon sort aucun qui s'intéresse,
Je n'ai pour tout plaisir, madame, que ces fleurs,
Dont le parfum exquis vient charmer mes douleurs.

Mme de Polignac ayant montré les vers, tournure obligeante de la refuser, ses flatteurs les trouvèrent plats, mauvais, pitoyables, croyant qu'ils étaient de Mme de Boufflers: on ne manqua point de rendre à celle-ci le jugement rigoureux et solennel qu'en avait porté la société de la duchesse. - J'en suis mortifiée pour le pauvre Racine, car ils sont de lui; >>

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