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CHRISOTINE.

Je m'en irai seulette;

Cherche qui te suivra :
Es-tu bien satisfaite,

Inhumaine Perrette,

De m'avoir fait quitter les airs de l'Opéra ?

PERRETTE.

Monsieur, je n'y entends plus rien. Votre fille ne parle, ne répond qu'en chantant. Elle est folle, ou du moins elle se moque de vous et de moi.

CHRISOTINE, à son père, à sa mère.

Je viens en fille obéissante
Recevoir vos commandements,
Et me plaindre d'une servante,

Qui m'interrompt à tous moments,

Et ne souffre pas que je chante

D'Hermione et Cadmus les tendres sentiments.

CHRISARD.

Parlez comme les autres, Chrisotine, ou je donnerai tel arrêt contre les opéras, qu'il n'en sera jamais parlé dans le ressort de ma juridiction.

CHRISOTINE.

A quelle injuste violence

Se porterait votre courroux!

Père, Baptiste (1), opéra, ma naissance,

Me faudra-t-il décider entre vous?

CHRISARD.

Comment, misérable, vous étes partagée entre Baptiste et votre père? Quel déréglement d'esprit ! Quelle corruption de mœurs !

CHRISOTINE.

O douce mère!

Rigoureux père!

Cadmus ! pauvre Cadmus !

Je ne te verrai plus.

CHRISARD.

Il n'y a qu'un mot, Chrisotine: Ou vous ne chanterez plus, ou vous sortirez de ma maison.

(1) Lulli.

CHRISOTINE.

Je te suivrai, Cadmus, je veux te suivre, Alceste;
Thésée est en péril, on ne le quitte pas :

De vos héros, Lulli, je suivrai tout le reste.

CHRISARD.

A quoi songez-vous ?

CHRISOTINE.

Je ne les suivrai point, vous arrétez mes pas.

CHRISARD.

Ma fille, obéissez et ne chantez plus.

CHRISOTINE.

Je le ferai si je puis, ô mon père!

Il serait plus doux de se taire,

Que parler comme le vulgaire.

Vous m'avez toujours élevée dans des manières si éloignées de celle des bourgeois, que vous ne devez pas trouver étrange que je suive le plus tôt qu'il m'est possible celles de la cour. Sachez, mon père, que depuis le dernier opéra, il n'y a pas un homme de condition qui parle autrement qu'en chantant. Quand on se rencontre le matin, ce serait une incivilité grossière que de ne se pas saluer avec du chant.

-

Monsieur, comment vous portez-vous?

Je me porte à votre service,
Après diner, que ferons-nous?

Allons voir la belle Clarisse.

Et cela se chante naturellement, comme on fait à l'Opéra, quand on s'entretient de choses indifférentes. Si l'on donne une commission à quelque valet, on ne manque pas de la mettre en musique aussi bien que le salut. Holà, ho! Lapierre, Picard :

Ho! la Verdure, la Montagne :
Que quelqu'un aille de ma part
Trouver mon frère à la campagne,
Pour savoir s'il fait le dessein

De venir en ville demain.

Les discours les plus ordinaires se chantent ainsi, et l'on ne sait plus ce que c'est, parmi les honnêtes gens, de parler autrement qu'en musique.

CHRISARD.

Les gens de qualité chantent-ils quand ils sont avec les dames?

CHRISOTINE.

S'ils chantent! s'ils chantent! C'est dommage qu'un homme du monde voulût entretenir une compagnie avec la pure et simple parole, comme autrefois; on le traiterait bien d'homme du vieux temps; les laquais se moqueraient de lui.

Et dans la ville?

CHRISARD.

CHRISOTINE.

Tous les gens un peu considérables imitent la cour. Il n'y a plus qu'aux rues Saint-Denis, Saint-Honoré, sur le pont Notre-Dame, où la vieille coutume se pratique encore. L'on y vend, l'on y achète sans chanter. Chez Gautier, à l'Orangerie; chez tous les marchands qui fournissent les dames d'étoffes, de galauteries, de bijoux, tout se chante; et si les marchands qui suivent la cour, ne chantaient pas, on confisquerait leurs marchandises. On dit qu'il y a un ordre sévère pour cela. On ne fait plus de prévôt des marchands qui ne sache la musique, et que M. Lulli n'examine, pour voir s'il est capable de connaître et de faire observer les règles du chant.

Acte II, scène 4.

LE GRONDEUR.

BRUÉIS ET PALAPRAT, 1691.

ACTE I, SCÈNE VI.

M. GRICHARD.

Je t'ai défendu cent fois de racler ton maudit violon; cependant j'ai entendu ce matin...

LOLIVE.

Ce matin? Ne vous souvient-il pas que vous me le mites hier en mille pièces ?

ACTE II, SCÈNE II.

CLARICE.

Comment, Monsieur, quels apprêts? Les habits, le festin, les violons, les hautbois, les mascarades, les concerts, et le bal surtout, que je veux avoir tous les soirs pendant quinze jours...

J'ai déjà retenu quatre laquais qui jouent parfaitement du violon...

Le violon était alors le plus méprisé de tous les instruments. C'est toujours le discordant, l'aigre, l'importun, le maudit violon.

Violon est un mot

Que jamais n'accompagne une épithète honnête.

Les auteurs, comiques ou non, placent l'instrument objet de leur aversion entre les mains des laquais. Certaines dames ne prenaient à leur service que des valets sachant bien ou mal jouer du violon, et les obligeaient à s'escrimer de l'archet pendant leurs heures de loisir Elles s'assuraient ainsi de leur discrétion; lorsque les cordes sonnaient ou juraient sous l'archet, les ménétriers n'écoutaient pas aux portes. 1700.

-Le violon n'est rien moins que noble, on voit peu de gens de condition qui en jouent et beaucoup de bas musi

ciens qui en vivent; » dit la Viéville de Freneuse en 1700. Si le roi Louis XIV avait eu la fantaisie d'essayer quelques gammes sur le violon, tous ses courtisans se seraient escrimés de l'archet.

-On aura des philosophes aimables, des docteurs savants, tous les livres nouveaux et un jeu de mail; on lira des vers, et l'on en composera; on fera de la musique; les maîtres joueront du luth et du clavecin, les domestiques du violon. >> Mile DE MONTPENSIER, Mémoires, tome vi', Plan de vie pastorale; 1655.

Brantôme rapportant la mort de Mlle de Limeuil (Isabelle), fille d'honneur de la reine, s'exprime ainsi : - Durant sa maladie, dont elle trépassa, jamais le bec ne lui cessa, ainsi causa toujours; car elle estoit fort grande parleuse, brocardeuse et très bien, et fort à propos, et très belle avec cela. Quand l'heure de sa mort fut venue, elle fit venir à soy son vallet, ainsi que les filles de la cour en ont chacune le leur, et s'appeloit Julien, qui jouoit très bien du violon. — Julien, lui dit-elle, prenez vostre violon, et sonnez-moi toujours, jusques à ce que me voyez morte, car je m'y en vois, la Défaite des Suisses (1), et le mieux que vous pourrez : et quand vous serez sur le mot tout est perdu, sonnez-le par quatre ou cinq fois, le plus piteusement que vous pourrez. »

:

>> Ce que fit l'autre, et elle mesme lui aidoit de la voix et quand ce vint à tout est perdu, elle le récita par deux fois; et se tournant de l'autre costé du chevet, elle dit à ses compagnes Tout est perdu à ce coup et à bon escient; » et ainsi elle décéda. Voilà une mort joyeuse et plaisante.» Les Dames galantes (2).

1 La Bataille ou Défaite des Suisses à la journée de Marignan, à quatre voix, pièce infiniment remarquable de Jannequin (Clément), publiée à Lyon en 1544. Une cinquième voix y fut ajoutée par Verdelot, sans rien changer à la partition, pour l'édition de Paris, donnée en 1559.

(2) Mme Favart, à sa dernière heure, composa son épitaphe, la mit en musique, et la chanta dans les intervalles des plus cruelles douleurs.

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