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récits chantés par des musiciens dont les voix sortaient par -une ouverture faite au parquet de la scène, l'opéra des Bamboches attirait la foule en 1674. Trois comédies de Boissy, le Je ne sais quoi, 1731; les Talents à la mode, 1739; le Badinage, 1740, écrites à cette époque, nous représentent les disputes qui s'élevèrent alors au sujet de la prééminence de la musique italienne sur la musique française, de Rameau sur Lulli, de la danse grave sur la danse légère, que l'on traitait alors de baladinage.

Les Opéras, comédie de Saint-Évremond, le Concert ridicule et le Ballet extravagant, farces que Palaprat mit au jour en 1689 et 1690, l'attestent aussi.

Dans ce Ballet extravagant, Raisin l'ainé, de Villiers, les deux squelettes de la scène, représentaient des Romains, et Champmeslé, Rosélis, rois de théâtre, entripaillés à la manière de Montfleury, figuraient deux Sabines. Après avoir tenté vainement d'enlever leurs Sabines, ces Romains se laissaient enlever par elles.

-Cette pièce fut donnée dans les grandes chaleurs de l'été, pendant la saison des bains. Cette occupation, autant de nécessité que de plaisir, attire tout le monde : le Cours s'établit à la porte Saint-Bernard; ceux qui n'y vont pas pour se baigner, y vont pour se promener, et les dames ne sont pas exemptes des railleries que la malignité des hommes leur fait, peut-être injustement, sur ce choix de leur promenade (1. Les spectacles sont désertés en ce temps-là, tous ceux qui venaient au Ballet extravagant y riaient aux larmes : mais le nombre des rieurs n'était pas grand. La pièce, suivant les règles, ne fut jouée que neuf ou dix fois. MM. les

(1) - Quand cette saison n'est pas venue, les femmes de la ville ne s'y promènent pas encore, et quand elle est passée, elles ne s'y promènent plus. » LA BRUYÈRE, Caractères.

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comédiens la reprirent sur leur compte après la Saint-Martin. Je n'ai jamais vu de fureur pareille à celle que Paris eut pour cette pièce; et je suis bien aise de trouver cette occasion de rendre un témoignage public du procédé de MM. les comédiens à mon égard. Dans le temps des étrennes, on apporta chez moi un diamant de quarante pistoles avec un billet très galant et très honnête dont je ne connus point l'écriture, et je fus plus de deux ans à savoir que cette galanterie venait de MM. les comédiens. » PALAPRAT, Discours sur le Ballet extravagant.

Dans les premiers temps du théâtre français, les auteurs vendaient la propriété de leurs pièces aux comédiens, qui les payaient le moins possible. Alexandre Hardy n'a pas toujours reçu trente-six livres pour le prix d'une tragé die en cinq actes, en vers. En 1653, les acteurs de l'Hotel de Bourgogne avaient promis cent écus à Tristan pour les Rivales; ils ne voulurent donner que la moitié de la somme convenue, quand ils surent que cette comédie était de Quinault. Celui-ci finit par obtenir un neuvième sur la recette, chaque fois que l'on représentait sa pièce. Telle est l'origine. des droits d'auteur. Ce neuvième cessait d'être payé lorsque Ja pièce n'était pas jouée dix fois sans interruption. Ces mots favorisaient singulièrement les entrepreneurs de spectacles. Ils savaient à propos rompre le cours des représentations, afin de reprendre l'ouvrage plus tard, avec plus de soin et de meilleurs acteurs. L'article XV du Règlement concernant l'Opéra, du 11 janvier 1713, imposait silence aux auteurs dépossédés par cet odieux artifice. Une pièce tombée dans les règles était celle qui n'arrivait pas sans interruption à sa dixième représentation. Elle devenait la propriété du théâtre.

Si la pièce atteignait victorieusement le nombre dix, le droit était payé dix fois encore; mais toute redevance était supprimée après la vingtième représentation. Vous avez vu Palaprat remercier les comédiens des quatre cents livres, données mystérieusement pour une pièce qu'ils avaient fait

tomber dans les règles, et dont le succès prodigieux venait de pousser leur conscience à cet acte de libéralité.

Voltaire ne toucha que 3,600 livres pour les vingt représentations de Mérope. Piron dut se contenter de 3,000 livres pour la Métromanie, et Crébillon de 1,400 pour Électre. Les 108 représentations de Dardanus, données sans la moindre interruption, lors de la reprise de cet ouvrage en 1758, sous les yeux des auteurs, leur auraient produit, à chacun, 5,400 livres, au prix infime de 50 livres. La Bruère et Rameau n'avaient plus le droit d'exiger un sou; la série des représentations était depuis longtemps rompue. Leur pièce, qui devait rapporter plus d'un million au théâtre, devenue opéra de fond, appartenait en entier à l'Académie royale de Musique.

A la Comédie-Française, lorsqu'une pièce ne produisait pas, en hiver, 550 livres, en été, 350 livres au-dessus des frais journaliers, la pièce était dévolue aux comédiens, après la seconde épreuve de ce genre.

- Le Concert ridicule et le Ballet extravagant ont été la source des badinages qu'on a vus depuis avec plaisir en plus de vingt comédies je veux parler des plaisanteries intarissables sur l'Opéra, et sur la différence des galants d'hiver et des galants d'été, qu'on a répétées toujours avec succès non-seulement sur le Théâtre-Français, mais sur le Théâtre-Italien, qui de son vivant fut toujours le singe et le copiste de ce qui avait réussi sur la scène française.» PALAPRAT, Idem.

LES OPÉRAS,

Comédie en cinq actes.

SAINT-ÉVREMOND, 1676.

CHRISARD.

Qu'avez-vous fait ? N'est-ce pas vous qui lui avez fourni tous ses romans et ses autres livres d'amourettes? N'est-ce pas vous qui l'avez habillée cent fois en bergère, avec ce beau penon de Tirsblet? Parbieu, vous m'avez fait plus de dépenses en houlettes, que ne valent mes gages de conseiller. Les opéras lui ont tourné la cervelle. Ce chant, ces danses, ces machines, ces dragons, ces héros, ces dieux, ces démons, l'ont démontée : sa pauvre tête n'a pu résister à tant de chimères à la fois; et je pense qu'elle aimerait mieux se laisser mourir de faim et de soif, que de demander à manger, à boire sans musique. Elle dit une chose que je ne crois pas trop : c'est qu'il n'y a pas un homme de condition à la cour, qui ne chante en parlant comme on fait à l'Opéra. Ma fille dirait-elle bien vrai ?

GUILLAUT.

Je ne voudrais pas jurer le contraire. Quand on trouve bon au théâtre qu'un maître parle à son valet en chantant, que l'on s'y donne des coups d'épée en chantant, on n'est pas trop éloigné de parler aux siens de même à son logis...

CHRISARD.

Ma fille est folle; plût à Dieu qu'elle fût dans un couvent?

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Deux mille francs de plus la feront recevoir partout: on se battra dans les religions à qui l'aura.

CHRISARD.

Et Chrisotine se battra pour n'y aller pas. Il faut autre chose qu'un crucifix pour époux à Chrisotine. Voyez-vous, ma femme, tous ces opéraslà n'aboutissent qu'à donner une grande envie d'opérer... Croyez-vous qu'il y ait au monde un couvent qui reçoive Chrisotine, ou qui ne la mette dehors, si elle y est reçue? Quand les religieuses chanteront matines, elle chantera l'opéra; quand elles prieront la Vierge, elle invoquera

Vénus; et quand le chapelain dira la messe pour les bonnes sœurs, elle ne parlera que de la beauté des sacrifices. On la mettra dehors, notre petite payenne, on la mettra dehors; et nous serons obligés de la reprendre, aussi folle au sortir du monastère, qu'elle peut l'être aujourd'hui dans la maison... Perrette, que fait Chrisotine?

PERRETTE.

Elle dort d'un sommeil qu'elle a trouvé dans le dernier opéra. Appre nez-en les vers, monsieur Guillaut, vous la ferez mieux dormir avec cela qu'avec tout l'opium des apothicaires. Mais tenez, voilà ses livres, faitesen ce que vous voudrez...

GUILLAUT.

Je suis fou des vers et de la musique; et je vais tous les ans à Paris, autant pour voir ce qu'on fait sur les théâtres, que pour apprendre ce qu'on dit aux écoles de médecine. Mais revenons à nos opéras.

CHRISARD.

Ouvrons ce petit, le premier en ordre. C'est l'opéra d'Issy, fait par Cambert (1).

GUILLAUT.

Ce fut comme un essai d'opéra, qui eut l'agrément de la nouveauté : mais ce qu'il eut de meilleur encore, c'est qu'on y entendit des concerts de flûtes; ce qu'on n'avait pas encore entendu sur aucun théâtre depuis les Grecs et les Romains.

CHRISARD.

Celui-ci est Pomone du même Cambert (2).

GUILLAUT.

Pomone est le premier opéra français qui ait paru sur le théâtre. La poésie en était fort méchante, la musique belle. Monsieur de Sourdéac en avait fait les machines. C'est assez dire pour nous donner une grande idée de leur beauté. On voyait les machines avec surprise, les danses avec plaisir; on entendait le chant avec agrément, les paroles avec dégoût.

CHRISARD.

En voici un autre: Les Peines et les Plaisirs de l'Amour.

(1) La Pastorale en musique est ainsi désignée par Saint-Évremond parce que Perrin et Cambert la firent exécuter par des amateurs à Issy.

(2) Pomone est le premier opéra français dont on ait donné des représentations publiques, le 10 mars 1671, dans le jeu de paume de la rue Mazarine, situé sur la place occupée aujourd'hui par le passage du PontNeuf.

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