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Rameau ne put jamais faire comprendre une seule phrase de sa musique à Voltaire; et pourtant ils écrivaient ensemble le Temple de la Gloire et Samson. La symphonie héroïque de Beethoven, les finales de Don Juan, le trio de Guillaume Tell, exécutés à ravir, ou bien un sac de clous avec adresse remué, secoué, tracassé, n'en doutez pas, seront pour nos poètes une seule et même chose. Comme les dilettantes de Ventadour, ils n'en feront pas moins de l'enthousiasme, quand on leur aura dit cent fois que c'est admirable, sublime, prodigieux. Les mots de chant, accord, mélodie, harmonie, réeit, récitatif, mélopée, etc., seront jetés au hasard dans leurs épîtres et leurs dithyrambes. Frappant sans cesse à faux, ces vocables prouveront que nos rimeurs n'en connaissent pas la signification. Rassurons-nous; des prosateurs académiciens nous expliqueront à leur guise ces expressions qui, pour eux, sont des termes de chimie : leur glose arrivera pour embrouiller l'affaire.

Molière a parlé de la musique de son temps en homme instruit; ses comédies sont des monuments historiques

bien précieux de notre art musical. Lisez, si vous voulez rire, lisez les drôleries que ce brave Auger, de l'Académie française, a fait tomber sur les pages de l'auteur du Sicilien, du Bourgeois gentilhomme, etc. Les commentaires d'Auger et de ses rivaux sont imprimés sur beau papier, avec illustrations, images et vignettes assortissantes; et Molière, toujours caustique et malin, les traîne à sa suite pour les livrer au ridicule, jusqu'au moment où l'Académie française croira que son honneur l'oblige à mettre un terme à ce scandale révoltant.

Després, Le Duchat, Ménage, Bret, Nicot, La Harpe, Aimé-Martin, Petitot, se sont montrés prudents; ils ont gardé le silence, leur glose sur les œuvres de Molière ne signale aucun des nombreux passages relatifs à la musique. Voltaire avait gardé la même réserve à l'égard de Corneille. Singuliers commentateurs qui prennent soin de nous expliquer ce que tout le monde sait, ou peut savoir, et se récusent toutes les fois que leur jugement serait indispensable. Cela ne vous rappelle-t-il pas la caricature des musiciens ganaches s'arrêtant à l'endroit. difficile? Oh! que des notes de La Harpe sur le bémol et le bécarre du Sicilien eussent été curieuses! Après l'inimaginable commentaire qu'il nous a donné sur Gluck et sur Grétry, ce butor académicien, ce digne rival de Geoffroy, devait aborder et traiter Molière avec la même impudence. Il faut avoir la fureur, la rage d'expectorer un fleuve, un océan d'absurdités sur la musique, pour les colloquer dans un cours de littérature. Quelle nécessité? je vous le demande. N'est-ce pas tenir mal à propos de stupides propos? Le rhéteur éloquent, le critique judicieux, spirituel même, dont nous avons ap

plaudi les analyses littéraires, devient tout à coup porcépic, cormoran, buse, huître, crustacé, lorsqu'il s'aventure dans le domaine des musiciens.

Que diriez-vous d'une histoire romaine où l'on verrait que l'empereur Gothon, l'un des douze Lézards, avalait trente douzaines de Gaulois à son déjeuner avant d'être sorti du ventre de sa mère Frédégonde? Tatone et Suécite, écrivains célèbres, étant cités pour affirmer ce fait d'une étrange nouveauté. Le comte Orloff nous a dotés d'une Histoire de la Musique en Italie, écrite dans ce goût. Ces deux volumes, infiniment curieux, fabriqués par une société d'académiciens français, siégeant rue Bergère, à la table du gentilhomme russe; ces deux volumes, publiés à Paris, chez Dufart, en 1822, ont été traduits en allemand, en italien, et réimprimés, toujours aux frais du noble comte Grégoire Wladimir, qui les a signés de son nom! Quelle nécessité, quelle manie de faire ainsi publiquement ses preuves d'une imbécillité magistrale? Quelle imprudence de signer sa condamnation, d'accaparer tant de turpitudes, quand on est réellement innocent, et pas du tout académicien!

-Malherbe prétendait se connaître en musique et en gants. Voyez un peu le beau rapport qu'il y a de l'une à l'autre dit Tallemant des Réaux. »

On réimprime tous les jours les auteurs qui brillent au premier rang sur notre scène; on ne manque pas d'ajouter à ces éditions nouvelles, de longues notices, une infinité de remarques trop souvent inutiles, et quelquefois entachées d'erreurs plus ou moins grossières. Aucun annotateur encore ne nous a donné l'explication des passages, des vers, des mots qui se rapportent à la

musique. La comédie est la véritable image de la société, des mœurs, des usages, du costume d'un siècle déjà bien loin de nous. Ce que les auteurs comiques de ce temps disent sur la musique est parfaitement inintelligible pour les spectateurs comme pour les lecteurs d'aujourd'hui. Ces détails, qui passent inaperçus, que cinq ou six musiciens de notre temps pourraient comprendre, et que les autres interpréteront de travers, sont infiniment précieux pour l'histoire de l'art. Ils servent à prouver beaucoup de faits, que l'on serait réduit à présenter comme des conjectures.

Peu de temps après la mort d'Eschyle, vous le savez, les Athéniens firent peindre ce poète dans un tableau de la bataille de Marathon, et cette image fut solennellement placée dans le temple de Bacchus. Un des plus grands orateurs d'Athènes, Lycurgue, parvint dans la suite à lui faire élever une statue d'airain, ainsi qu'à ses deux illustres rivaux Euripide et Sophocle; il fit même établir un scribe public, dont l'office était de lire de temps en temps leurs ouvrages aux acteurs, soit pour conserver la pureté du texte, soit pour en expliquer le sens et l'esprit (1).

Je serai ce scribe à mon tour, le nom est heureux, il me portera bonheur. Croyez que les Notes d'un Musicien ne seront pas tout à fait dépourvues d'un certain intérêt littéraire.

(1) La république florentine fonda, pour l'interprétation du Dante, une chaire que Boccace remplit le premier. Il ouvrit son cours, le 23 octobre 1373, dans l'église de Saint-Étienne. Les chaires dantesques, multipliées ensuite par toute l'Italie pendant plus de quatre siècles, ont cessé de nos jours; l'influence autrichienne les a fait supprimer.

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